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Ariane Web: Conseil d'État 385903, lecture du 28 septembre 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:385903.20160928

Décision n° 385903
28 septembre 2016
Conseil d'État

N° 385903
ECLI:FR:CECHR:2016:385903.20160928
Publié au recueil Lebon
6ème - 1ère chambres réunies
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP CAPRON ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 28 septembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Par un arrêt n° 70449 du 24 septembre 2014, la Cour des comptes a dit n'y avoir lieu à déclarer comptables de fait des deniers du groupement de coopération sanitaire (GCS) des urgences de la Côte fleurie le centre hospitalier de la Côte fleurie, M. B...et M. H..., a réservé la situation de MmeF..., a déclaré comptables de fait conjointement et solidairement, d'une part, M.G..., M. de la Bourdonnaye, la polyclinique de Deauville, M. A...et M. D...à raison de la désignation d'un administrateur provisoire du groupement autorisé à s'ingérer dans le recouvrement des recettes et le paiement des dépenses de celui-ci du 13 avril 2010 au 30 décembre 2011, et, d'autre part, M.G..., M. de la Bourdonnaye et la polyclinique de Deauville à raison de la poursuite des opérations, après le retrait du centre hospitalier et la fin de l'expérimentation du groupement du 30 décembre 2011, et, enfin, a enjoint aux comptables de fait de mettre aussitôt que possible un terme aux irrégularités et de produire, dans un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt susvisé, le compte de la gestion de fait et toute justification sur la nature et la matérialité des recettes et des dépenses faites dans l'intérêt du GCS pour les deux périodes visées par l'arrêt, la preuve du reversement dans la caisse du GCS des reliquats qu'ils retiendraient encore et la reconnaissance, par l'autorité compétente, de l'utilité publique des dépenses de la gestion de fait.

1° Sous le n° 385903, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 novembre 2014, 24 février et 22 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...G..., M. E...de la Bourdonnaye et la polyclinique de Deauville demandent au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


2° Sous le n° 385922, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 novembre 2014 et 24 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. I...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code de la santé publique ;
- loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Capron, avocat de M. G...et autres et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A...;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier de la Côte Fleurie, établissement public de santé situé à Honfleur, dont le directeur était M.A..., et la polyclinique de Deauville, établissement privé dont M. de la Bourdonnaye était le président directeur général et M. G...le directeur administratif et financier, ont décidé de mutualiser les services des urgences de ces deux établissements en créant à cet effet, en application des articles L. 6133-5 et suivants du code de la santé publique, le groupement de coopération sanitaire (GCS) des urgences de la Côte Fleurie ; que la convention constitutive du groupement a été approuvée par le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de Basse-Normandie (ARH), à titre expérimental, le 30 décembre 2008, conformément aux dispositions de l'article L. 6133-3 du code de santé publique alors en vigueur, mais n'a pas été signée par les deux établissements ; qu'une nouvelle convention a été signée le 8 avril 2010, mais n'a pas été approuvée par le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Basse-Normandie, désormais compétent aux lieu et place du directeur de l'ARH ; que, toutefois, M. G...a été nommé en qualité d'administrateur provisoire du groupement le 13 avril 2010, puis d'administrateur le 28 juin 2011 ; que le GCS ayant connu de sérieuses difficultés de fonctionnement, le directeur général de l'ARS a, par une décision du 29 juillet 2011, à la demande de M.A..., mis fin à cette expérimentation à compter du 30 décembre 2011, le GCS étant alors mis en liquidation ; que, par un réquisitoire du 8 décembre 2011, le procureur général près la Cour des comptes a saisi la Cour d'une présomption de gestion de fait des deniers du GCS ; que, par l'arrêt du 24 septembre 2014 attaqué, la Cour des comptes a dit n'y avoir lieu à déclarer comptables de fait le centre hospitalier de la Côte fleurie, les directeur et directeur adjoint de l'ARH, a réservé la situation du liquidateur, et a déclaré comptables de fait conjointement et solidairement MM.G..., de la Bourdonnaye etA..., ainsi que la polyclinique de Deauville et le directeur général de l'ARS, M. D...; que MM. G...et de la Bourdonnaye et la polyclinique de Deauville, d'une part, et M.A..., d'autre part, se pourvoient en cassation contre cet arrêt ; qu'il y a lieu de joindre leurs pourvois pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant, qu'aux termes du XI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963 : " Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d'un comptable public, s'ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d'un poste comptable ou dépendant d'un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou valeurs qu'elle a irrégulièrement détenus ou maniés. / Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d'un organisme public et pour toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou valeurs n'appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d'exécuter en vertu de la réglementation en vigueur. / Les gestions de fait sont soumises aux mêmes juridictions et entraînent les mêmes obligations et responsabilités que les gestions régulières (...) " ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il appartient au juge des comptes d'apprécier la légalité des actes administratifs et de les interpréter lorsque cette question conditionne son office ; qu'il en résulte qu'en retenant qu'elle ne pouvait se faire juge de la légalité d'une décision administrative qui affecte l'exercice de sa juridiction, sauf si l'acte est entaché d'un vice d'une gravité particulière tenant par exemple à l'incompétence de son auteur ou à la violation d'une disposition d'ordre public, la Cour des comptes a commis une erreur de droit ;

4. Mais considérant qu'aux termes de L. 6133-1 du code de santé publique dans sa rédaction applicable à la date de constitution du groupement de coopération sanitaire des urgences de la Côte fleurie : " Le groupement de coopération sanitaire est doté de la personnalité morale. Il constitue une personne morale de droit public lorsqu'il est exclusivement constitué d'établissements ou d'organismes publics, ou d'établissements ou d'organismes publics et de professionnels médicaux libéraux membres à titre individuel. Il constitue une personne morale de droit privé lorsqu'il est exclusivement constitué d'établissements ou de personnes privés. Dans les autres cas, il peut se constituer sous la forme de personne morale de droit privé " ; qu'aux termes de l'article R. 6133-1 du même code dans sa rédaction en vigueur à la même date : " La convention constitutive du groupement de coopération sanitaire (...) comporte, en outre, les mentions suivantes : / 1° La dénomination et le siège du groupement ; (...) / 3° Sa nature juridique ; (...) / 11° Les règles relatives à son administration, son organisation et à sa représentation ; (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 6133-11 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La convention constitutive du groupement est transmise pour approbation au directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de la région dans laquelle le groupement a son siège (...) / Le groupement jouit de la personnalité morale à compter de la date de publication de l'acte d'approbation mentionné au premier alinéa du présent article, au recueil des actes administratifs de la région dans laquelle le groupement a son siège ainsi que dans le recueil des actes administratifs des autres régions lorsque les membres du groupement ont leur siège dans des régions distinctes " ; qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, qu'un groupement de coopération sanitaire jouit de la personnalité morale dès lors que l'acte approuvant sa convention constitutive a été publié selon les modalités prévues à l'article R. 6133-11 et, d'autre part, que ni la légalité de l'acte d'approbation ni la validité de la convention constitutive ainsi approuvée n'ont d'incidence sur l'acquisition de la personnalité juridique par le groupement ; qu'il s'ensuit que le moyen soulevé devant la Cour des comptes, tiré par MM. de la Bourdennaye et G...de ce qu'ils ne pouvaient pas être déclarés comptables de fait dès lors que, la convention constitutive initiale du GCS n'ayant pas été signée par les parties et la nouvelle convention signée en 2010 n'ayant pas été approuvée par le directeur général de l'ARS, le groupement était dépourvu de personnalité morale, est inopérant ; que ce motif, qui répond à un moyen soulevé devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie sur ce point le dispositif ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que c'est sans entacher son arrêt d'erreur de droit, de dénaturation ou d'insuffisance de motivation que la Cour des comptes a jugé que le GCS de la Côte Fleurie était juridiquement constitué à la date de publication de l'acte d'approbation de sa convention constitutive ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte également des dispositions citées au point 4 que, lorsqu'un groupement de coopération sanitaire est constitué d'organismes publics et privés, sa nature juridique et son régime comptable sont déterminés par sa convention constitutive ; qu'en énonçant qu'il ressortait des pièces du dossier, notamment de la convention constitutive de 2008 et de l'instruction comptable M 9-5, que le GCS devait être doté d'un comptable public, la Cour a implicitement mais nécessairement estimé que le groupement était une personne morale de droit public, ainsi que cela ressort des termes mêmes de l'article 2 de la convention constitutive ; qu'elle n'a entaché sur ce point son arrêt d'aucune insuffisance de motivation ou défaut de réponse à moyens ; que c'est, par suite, par un motif surabondant que la Cour a relevé que l'existence d'une personne morale ne constituait pas une condition de la gestion de fait ; que les moyens du pourvoi dirigé contre ce motif sont, dès lors, inopérants ;

7. Considérant, en quatrième lieu, que la procédure de gestion de fait permet de saisir en leur chef toutes les personnes ayant contribué à la mise en place de la gestion de fait, même si elles n'ont pas manipulé de deniers publics ; qu'elles peuvent être déclarées comptables de fait si elles ont participé, fût-ce indirectement, aux irrégularités financières, ou si elles les ont facilitées, par leur inaction, ou même tolérées ;

8. Considérant que, dans l'arrêt attaqué, la Cour des comptes a relevé que M. A..., directeur du centre hospitalier de la Côte fleurie, avait directement contribué à la mise en place de la gestion de fait, dès lors notamment qu'il avait signé l'accord particulier du 13 avril 2010 entre la polyclinique de Deauville et le centre hospitalier approuvant la désignation de M. G..., directeur administratif et financier de la polyclinique, comme administrateur provisoire et confiant à ce dernier notamment les missions d'entreprendre toutes les formalités administratives de mise en place de la facturation et de procéder aux formalités d'ouverture d'un compte bancaire ; que la Cour a également retenu que, malgré ses demandes et interventions en vue de la nomination d'un comptable public du groupement, M. A...avait laissé prospérer les irrégularités comptables alors qu'il avait la possibilité juridique d'y mettre un terme ; qu'en déduisant de ces constatations souveraines, qui sont exemptes de dénaturation, que l'intéressé devait être solidairement déclaré comptable de fait, la Cour, qui n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation ou d'une contradiction de motifs, n'a commis ni d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits ;

9. Considérant, en cinquième lieu, que les dispositions du XI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 rappelées au point 2 ne font pas obstacle à ce qu'une personne morale puisse être déclarée gestionnaire de fait, seule ou concomitamment avec ses dirigeants ou préposés, dès lors que les irrégularités constatées trouvent leur origine dans des manquements propres de l'organisme concerné ; qu'en estimant, au terme d'une appréciation souveraine des pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation, que le centre hospitalier de la Côte fleurie n'avait pas pris part, en tant que personne morale, à l'organisation des irrégularités financières ayant affecté le fonctionnement du GCS, pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu de le déclarer comptable de fait, la Cour des comptes n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits ;

10. Considérant, en sixième lieu, d'une part, que la Cour des comptes a relevé que tout ou partie des organes de la polyclinique de Deauville avaient été confondus avec ceux du groupement, que le fonctionnement du GCS avait été pris en charge par la polyclinique, que les moyens de celui-là avaient été accaparés par celle-ci et qu'ainsi, dès l'origine, elle avait organisé la gestion de fait et pris une part active aux irrégularités ; qu'elle a, d'autre part, relevé qu'au-delà de ses fonctions de président-directeur général de la polyclinique, M. J...s'était personnellement immiscé dans la gestion de fait, comme en témoignaient ses interventions dans la procédure de désignation de l'agent comptable, pour la retarder voire l'empêcher, et surtout le fait qu'il avait été habilité à faire fonctionner le compte ouvert au nom du GCS auprès d'une banque ; qu'en déduisant de ces constatations souveraines, qui sont exemptes de dénaturation, que la polyclinique de Deauville, en tant que personne morale, et M. J..., en tant que personne physique, devaient être déclarés comptables de fait, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, notamment au regard des principes rappelés au point 7, ni d'erreur de qualification juridique des faits ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. G...et autres et M. A...ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent ; que leurs pourvois doivent être rejetés, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le centre hospitalier de la Côte fleurie, au titre de ces mêmes dispositions ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de M. G...et autres et de M. A...sont rejetés.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de la Côte fleurie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM. I...A...et C...G..., au centre hospitalier de la Côte fleurie et au procureur général près la Cour des comptes. Les autres requérants sous le n° 385903 seront informés de la présente décision par la SCP Capron, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.


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