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Ariane Web: Conseil d'État 390234, lecture du 16 décembre 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:390234.20161216

Décision n° 390234
16 décembre 2016
Conseil d'État

N° 390234
ECLI:FR:CECHR:2016:390234.20161216
Publié au recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
Mme Sabine Monchambert, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
HAAS, avocats


Lecture du vendredi 16 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le groupement d'employeurs Plusagri a demandé au tribunal administratif de Montpellier :
- d'annuler la décision du 9 décembre 2010 par laquelle le directeur régional adjoint des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Languedoc-Roussillon (DIRRECTE) l'a astreint, à titre de pénalité, au versement d'une somme de 231 525 euros sur le fondement de l'article L. 5212-12 du code du travail, ainsi que la décision du ministre du travail du 11 avril 2011 rejetant son recours gracieux contre cette décision ;
- subsidiairement de réformer la décision du 9 décembre 2010 en limitant le calcul de la pénalité au nombre de salariés en contrat à durée déterminée au 31 décembre 2009.

Par un jugement n° 1102114 du 21 mai 2013, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, annulé les décisions des 9 décembre 2010 et 11 avril 2011 et, d'autre part, déchargé le groupement d'employeurs Plusagri de la sanction administrative prononcée à son encontre.

Par un arrêt n° 13MA03061 du 17 mars 2015, la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à l'appel du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 mai 2013 et rejeté la demande du groupement d'employeurs Plusagri.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mai et 19 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le groupement d'employeurs Plusagri demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 mars 2015 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sabine Monchambert, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat du groupement d'employeurs Plusagri.




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 5212-2 du code du travail, applicable, en vertu de l'article L. 5212-1 de ce code, à tout employeur occupant vingt salariés et plus : " Tout employeur emploie, dans la proportion de 6 % de l'effectif total de ses salariés, à temps plein ou à temps partiel, des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés, mentionnés à l'article L. 5212-13 ". Il peut s'acquitter de cette obligation de différentes façons et notamment, en vertu de l'article L. 5212-9 du même code, " en versant au fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés (...) une contribution annuelle pour chacun des bénéficiaires de l'obligation qu'il aurait dû employer ". L'article L. 5212-10 précise que : " Les modalités de calcul de la contribution annuelle, qui ne peut excéder la limite de 600 fois le salaire horaire minimum de croissance par bénéficiaire non employé, sont déterminées par décret. / Pour les entreprises qui n'ont occupé aucun bénéficiaire de l'obligation d'emploi, n'ont passé aucun contrat prévu à l'article L. 5212-6 ou n'appliquent aucun accord collectif mentionné à l'article L. 5212-8 pendant une période supérieure à trois ans, la limite de la contribution est portée, dans des conditions définies par décret, à 1 500 fois le salaire horaire minimum de croissance ". Aux termes de l'article L. 5212-5 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'employeur fournit à l'autorité administrative une déclaration annuelle relative aux emplois occupés par les bénéficiaires de l'obligation d'emploi par rapport à l'ensemble des emplois existants. / Il justifie également qu'il s'est éventuellement acquitté de l'obligation d'emploi (...). / A défaut de toute déclaration, l'employeur est considéré comme ne satisfaisant pas à l'obligation d'emploi ". Enfin, selon l'article L. 5212-12 du même code : " Lorsqu'ils ne satisfont à aucune des obligations définies aux articles L. 5212-2 et L. 5212-6 à L. 5212-11, les employeurs sont astreints à titre de pénalité au versement au Trésor public d'une somme dont le montant est égal à celui de la contribution instituée par le second alinéa de l'article L. 5212-10, majoré de 25 % ". La majoration de la somme dont le versement est ainsi exigé des employeurs, par rapport à celle dont ils auraient dû s'acquitter pour satisfaire à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, revêt le caractère d'une sanction.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le groupement d'employeurs Plusagri, qui comptait moins de vingt salariés permanents en 2009, n'a pas déposé, au titre de cette année, la déclaration annuelle prévue à l'article L. 5212-5 du code du travail. Par une décision du 9 décembre 2010, confirmée sur recours hiérarchique le 11 avril 2011, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon a mis à la charge du groupement d'employeurs Plusagri le versement de la somme de 231 525 euros à titre de pénalité pour méconnaissance de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés en 2009. Par un jugement du 21 mai 2013, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du directeur régional du 9 décembre 2010 et celle du ministre chargé du travail du 11 avril 2011. Le groupement d'employeurs Plusagri se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 mars 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté sa demande.

3. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, la règle en cause n'est pas suffisamment claire, de sorte qu'il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné.

4. D'une part, il résulte des dispositions combinées des articles L. 1111-2 et L. 5212-2 du code du travail que l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés qui incombe à un employeur est calculée par référence à l'effectif total de ses salariés sous réserve de la dérogation prévue à l'article L. 5212-3 en ce qui concerne les entreprises de travail temporaire, tandis que l'article L. 5212-14 du même code prévoit que : " Pour le calcul du nombre de bénéficiaires de l'obligation d'emploi, chaque personne est prise en compte à due proportion de son temps de présence dans l'entreprise au cours de l'année civile, quelle que soit la nature ou la durée de son contrat de travail (...) ". Si le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2015-497 QPC du 20 novembre 2015, jugé que les groupements d'employeurs qui, en vertu de l'article L. 1253-1 du code du travail, ont pour but de mettre à la disposition de leurs membres des salariés liés à ces groupements par un contrat de travail, pouvaient, sans que le principe d'égalité soit méconnu, être soumis à des dispositions différant de celles applicables aux entreprises de travail temporaire, il a néanmoins assorti sa déclaration de conformité de l'article L. 5212-14 du code du travail à la Constitution d'une réserve destinée à assurer que les salariés mis à disposition de leurs membres par des groupements d'employeurs soient comptabilisés pour apprécier le respect de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés par ces groupements. La loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels a d'ailleurs complété l'article L. 5212-14 par des dispositions spécifiques aux groupements d'employeurs.

5. D'autre part, devant la cour, le groupement d'employeurs Plusagri faisait valoir que les groupements d'employeurs avaient été assimilés aux entreprises de travail temporaire qui, en vertu de l'article L. 5212-3 du code du travail, ne sont assujetties à l'obligation d'emploi que pour leurs salariés permanents, en se prévalant des positions prises par plusieurs directeurs départementaux du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle en réponse aux interrogations de groupements d'employeurs compte tenu des ambiguïtés de la législation applicable, y compris un courrier que le directeur départemental adjoint des Pyrénées-orientales lui avait adressé le 15 septembre 2009 sur sa propre situation, et des informations concordantes données par l'association chargée de la gestion du fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés, relatives à l'assimilation des groupements d'employeurs aux entreprises de travail temporaire pour l'application des dispositions relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés.

6. Par suite, en annulant le jugement du tribunal administratif de Montpellier au motif que le groupement requérant ne pouvait se prévaloir d'aucune doctrine de l'administration, au lieu de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par le groupement requérant, si la règle dont le manquement avait été sanctionné par l'administration était, à la date à laquelle il aurait pu satisfaire aux obligations correspondantes, suffisamment claire pour qu'il apparaisse de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés que le défaut de déclaration annuelle, du fait de la comptabilisation des seuls salariés permanents du groupement, était susceptible d'être sanctionné, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que le groupement d'employeurs Plusagri est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille qu'il attaque. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner l'autre moyen du pourvoi.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser au groupement d'employeurs Plusagri au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 mars 2015 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros au groupement d'employeurs Plusagri au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au groupement d'employeurs Plusagri et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.


Voir aussi