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Ariane Web: Conseil d'État 416541, lecture du 22 décembre 2017, ECLI:FR:CEORD:2017:416541.20171222

Décision n° 416541
22 décembre 2017
Conseil d'État

N° 416541
ECLI:FR:CEORD:2017:416541.20171222
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du vendredi 22 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 et 21 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Innov'sa, la société Vermeiren France et la société Drive Devilbiss demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 octobre 2017 par lequel la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont modifié les modalités de prise en charge des " sièges coquilles de série " définies au titre Ier de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Les sociétés requérantes soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'arrêté contesté, d'une part, aura des conséquences graves et irréversibles sur leur situation économique et sur leurs effectifs et, d'autre part, aura pour effet de priver des patients de l'accès à des dispositifs médicaux dont ils ont besoin ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- cette décision a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière, en ce que le quorum de treize membres de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS) n'était pas atteint au cours de la séance du 8 novembre 2016 au cours de laquelle celle-ci a statué sur la prise en charge des " sièges coquilles de série " ;
- le groupe de travail chargé par la commission d'examiner la question ne présentait pas les garanties d'impartialité requises ;
- la commission n'a pas examiné toutes les indications existantes ni la situation de tous les groupes de populations concernés, en méconnaissance de l'article R. 165-11 du code de la sécurité sociale ;
- la restriction de la prise en charge aux personnes de plus de soixante ans classées en GIR 1 ou 2 est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- cette restriction méconnaît le principe d'égalité en ce qu'elle introduit sur le fondement de ces critères une différence de traitement entre personnes ayant le même besoin ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que ni l'âge, ni le classement GIR ne sont constitutifs d'indications thérapeutiques ou diagnostiques ou de conditions de prescriptions au sens de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ;
- l'exclusion de la prise en charge simultanée d'un " siège coquille de série " et d'un véhicule pour handicapé ou de coussins de prévention des escarres est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît le principe d'égalité ;
- la décision est entachée d'incompétence et d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle donne une définition des groupes iso-ressources 1 et 2 différente de celle prévue à l'annexe 2.1 du code de l'action sociale et des familles ;
- elle méconnaît le principe de sécurité juridique, en ce qu'elle ne prévoit pas pour les fabricants un délai suffisant pour s'adapter aux nouvelles contraintes réglementaires.


Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2017, la ministre de la solidarité et de la santé conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

Par un mémoire, enregistré le 21 décembre 2017, la Haute Autorité de la Santé a produit des observations.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les sociétés Innov'sa, Vermeiren France et Drive Devilbiss, d'autre part, la ministre des solidarités et de la santé et la Haute autorité de la santé ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du vendredi 22 décembre 2017 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des sociétés Innov'sa, Vermeiren France et Drive Devilbiss ;

- le représentant de la société Innov'sa ;

- le représentant de la société Drive Devilbiss ;

- les représentants de la ministre des solidarités et de la santé ;

- les représentants de la Haute autorité de la santé ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Les trois sociétés requérantes demandent, sur le fondement de ces dispositions, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 octobre 2017 par lequel la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont modifié les modalités de prise en charge des " sièges coquilles de série ".

3. En l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que le quorum n'aurait pas été atteint lors de la séance du 8 novembre 2016 de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS), en raison de la présence de membres suppléants, n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. De même, la circonstance que deux experts du centre d'études et de recherches sur l'appareillage des handicapés ont participé au groupe de travail chargé par la CNEDIMTS d'examiner les conditions de prescription des " sièges coquilles de série " et ont été entendus par la commission le 21 juillet 2015 n'est, eu égard à la mission d'évaluation et d'accréditation des véhicules pour personnes handicapées que remplit cet organisme public, pas davantage de nature à créer un tel doute.

4. Aux termes de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, l'inscription de dispositifs médicaux sur la liste des produits remboursables peut être " subordonnée au respect de spécifications techniques, d'indications thérapeutiques ou diagnostiques et de conditions particulières de prescription et d'utilisation ". Aux termes de l'article R. 165-11 du même code, l'évaluation préalable par la CNEDIMTS du service attendu d'un dispositif médical est " réalisée pour chaque indication thérapeutique, diagnostique ou de compensation du handicap en distinguant, le cas échéant, des groupes de population et précise les seules indications pour lesquelles la commission estime l'inscription fondée ". Sur le fondement de ces dispositions, l'arrêté attaqué, suivant en cela les propositions émises par la commission, a restreint la prise en charge des " siège coquilles de série " à leur délivrance aux adultes " de plus de soixante ans ayant une impossibilité de se maintenir en position assise sans un système de soutien, évalué[s] dans les groupes iso-ressources (GIR) 1-2 selon la grille AGGIR ". Contrairement à ce qui est allégué par les sociétés requérantes, les " indications thérapeutiques ou diagnostiques " et les " conditions particulières de prescription et d'utilisation " visées à l'article L. 165-1 peuvent être valablement définies par référence à l'âge des patients ou à leur état de dépendance, apprécié selon la grille AGGIR fixée en application de l'article L. 232-2 du code de la santé et des familles. En l'état de l'instruction, il n'apparaît pas que les ministres aient voulu définir une grille d'analyse de la dépendance autre que celle prévues par ce même code. Par ailleurs, en proposant de limiter la prise en charge aux personnes définies par ces critères, la CNEDIMTS a implicitement mais nécessairement évalué le service attendu de ces dispositifs médicaux pour les groupes de populations exclus par cette définition. Les sociétés requérantes soutiennent enfin que la restriction de prise en charge ainsi opérée, qui devrait faire passer le nombre de sièges remboursés annuellement de plus de 70 000 à environ 3 000, est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît le principe d'égalité en ce qu'elle prive de remboursement des personnes qui ont le même besoin que les personnes éligibles mais ne satisfont pas aux critères d'âge et de degré de dépendance ainsi posés. L'administration soutient toutefois, en se fondant sur les conclusions de la CNEDIMTS, d'une part, que la limitation de la prescription aux personnes âgées de plus de 60 ans très dépendantes a visé à dissuader de recourir à ce dispositif des personnes encore mobiles dont il pourrait accélérer la sédentarisation, et, d'autre part, que les personnes ne répondant pas à ces critères peuvent recourir à d'autres dispositifs pris en charge par l'assurance maladie tels que les fauteuils roulants, les " corsets-sièges " et les " sièges de série modulables et évolutifs ". Compte tenu de ce motif et des alternatives ainsi existantes, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la rupture d'égalité ne paraissent pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.

5. Les mêmes moyens sont soulevés à l'encontre de la disposition de l'arrêté attaqué selon laquelle la prise en charge d'un " siège coquille " exclut celle d'un fauteuil roulant ou de coussins de prévention des escarres. L'administration soutient en défense, d'une part, que le " siège coquille " étant réservé aux personnes âgées physiquement très dépendantes et utilisable pour un usage intérieur et pour un usage extérieur sur terrain aménagé, le recours au fauteuil roulant n'est, pour ces personnes, ni nécessaire ni approprié et, d'autre part, qu'en vertu de l'arrêté attaqué, l'assise des " sièges coquilles " doit être réalisée dans un matériau répondant aux spécifications édictées pour les coussins de prévention des escarres, ce qui rend inutile le recours à de tels coussins. Au vu des explications ainsi avancées, le moyen tiré de l'erreur manifeste dont serait entachée l'exclusion du remboursement de ces deux dispositifs médicaux n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué. Les sociétés requérantes ne peuvent en outre utilement arguer de ce que cette exclusion ne serait pas prévue pour les " sièges de série modulables et évolutifs ", dont les spécifications et les conditions de prescription sont différentes.

6. Les sociétés requérantes soutiennent enfin que l'arrêté attaqué, qui fixe au 1er janvier 2018 l'entrée en vigueur de la définition des conditions de prise en charge tenant à l'âge et l'état de dépendance des patients et au 1er juillet 2018 celle des conditions tenant aux spécifications techniques des sièges, leur laisserait un délai insuffisant pour s'adapter à ces nouvelles règles et porterait pour ce motif atteinte au principe de sécurité juridique. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le projet de restriction du champ du remboursement des " sièges coquilles " aux personnes de plus de soixante ans relevant d'un GIR 1 ou 2 figurait dans le premier avis de la CNEDIMTS adopté le 8 septembre 2015, dans les projets d'arrêtés publiés les 22 juin et 2 août 2016 au Journal officiel et dans le nouvel avis adopté par la commission après procédure contradictoire le 22 novembre 2016. Eu égard à cette position constante de l'administration, qui était de nature à inciter les sociétés concernées à engager le redéploiement de leur activité, le moyen tiré de ce que les délais de mise en oeuvre de la nouvelle réglementation prévus par l'arrêté attaqué porteraient atteinte à la sécurité juridique ne paraît pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence, la requête des sociétés requérantes doit être rejetée, y compris leur demande présentée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société Innov'sa, de la société Vermeiren France et de la société Drive Devilbiss est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Innov'sa, à la société Vermeiren France, à la société Drive Devilbiss, à la ministre des solidarités et de la santé et à la Haute autorité de la santé.