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Ariane Web: Conseil d'État 410897, lecture du 11 avril 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:410897.20180411

Décision n° 410897
11 avril 2018
Conseil d'État

N° 410897
ECLI:FR:CECHR:2018:410897.20180411
Publié au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Arno Klarsfeld, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mercredi 11 avril 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 24 mai 2016 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui a rejeté sa demande d'asile et a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié ou à défaut de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Par une décision n° 16021185 du 25 janvier 2017, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 mai 2017 et le 22 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de lui reconnaître la qualité de réfugié ou à défaut lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides une somme de 3 000 euros à verser à son avocat, la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. B...A...;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du 2° du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui : " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ".

2. Aux termes du F de l'article 1er de la convention de Genève : " les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser (...) c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ". Aux termes de l'article L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le statut de réfugié n'est pas accordé à une personne qui relève de l'une des clauses d'exclusion prévues aux sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 [...] / La même section F s'applique également aux personnes qui sont les instigatrices ou les complices des crimes ou des agissements mentionnés à ladite section ou qui y sont personnellement impliquées ". Constituent des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ceux qui sont susceptibles d'affecter la paix et la sécurité internationale, les relations pacifiques entre Etats ainsi que les violations graves des droits de l'homme. L'exclusion du statut de réfugié prévue par le c) du F de l'article 1er précité de la convention de Genève est subordonnée à l'existence de raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité dans les agissements qu'il mentionne peut être imputée personnellement au demandeur d'asile. Il appartient en conséquence à la Cour nationale du droit d'asile de rechercher si les éléments de fait résultant de l'instruction sont de nature à fonder de sérieuses raisons de penser que le demandeur était personnellement impliqué dans de tels agissements.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A...né le 1er janvier 1985, de nationalité syrienne et d'origine alaouite est entré, à l'âge de 19 ans, en 2004, dans les services de renseignements de l'armée de l'air. En 2008, il a été nommé directeur des affaires administratives du bureau des opérations spéciales, sous l'autorité du colonel Souheil Al Hassan, son beau-frère, chef des forces spéciales au sein de la branche des opérations spéciales du service de renseignement de l'armée de l'air, installé sur la base d'Al-Mazza. En avril 2011, dans le cadre d'une opération visant à empêcher des manifestants hostiles au régime de parvenir jusqu'à la ville de Deraa encerclée par les forces militaires gouvernementales, M. A...a organisé, sur la demande de son beau-frère, une réunion des adjoints militaires de ce dernier à laquelle il a assisté et à l'issue de laquelle il a été décidé de tendre des embuscades aux manifestants. Cent quatre vingt employés du service ont été envoyés sur place et l'opération a conduit au massacre de plusieurs dizaines de civils.

4. La Cour nationale du droit d'asile a jugé qu'il existait des raisons sérieuses de penser que M. A...s'était rendu complice d'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies et a fait application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève pour l'exclure du statut de réfugié. En statuant de la sorte alors que, comme le constate la décision de la Cour, M. A..." se montre crédible lorsqu'il fait valoir qu'il n'était officiellement au sein du service de renseignement de l'armée de l'air qu'un officier de rang subalterne en charge de la logistique " et que premièrement, contrairement a ce qu'a affirmé la Cour, si M. A...a admis avoir participé à la réunion mentionnée au point 3, au cours de laquelle il n'avait pas de responsabilité décisionnelle, il a nié avoir eu connaissance préalable des massacres qui allaient se produire, que deuxièmement, aussitôt les massacres connus de lui, il a protesté auprès de son beau-frère, le colonel Hassan, que troisièmement, il a été arrêté et détenu peu de temps après pendant une durée de soixante-dix jours pour son opposition avec son beau-frère qui était son supérieur hiérarchique, et, qu'enfin, ayant pu fuir la Syrie après avoir sollicité et obtenu une grâce, il a fait, en Jordanie, pays où il avait trouvé refuge, défection publiquement au régime syrien, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'inexacte qualification juridique des faits.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que M. A...est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.

6. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocat peut donc se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le versement à cette SCP de la somme de 3 000 euros.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 25 janvier 2017 est annulée.
Article 2: L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3: L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à l'avocat de M. A..., la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, qui a renoncé à l'indemnité due au titre de l'aide juridictionnelle totale, une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4: La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


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