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Ariane Web: Conseil d'État 388209, lecture du 9 mai 2018, ECLI:FR:Code Inconnu:2018:388209.20180509

Décision n° 388209
9 mai 2018
Conseil d'État

N° 388209
ECLI:FR:CECHR:2018:388209.20180509
Publié au recueil Lebon
3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
M. Yohann Bénard, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 9 mai 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des rappels de cotisation minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2007 et 2008. Par un jugement n° 1203111 du 16 septembre 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE03426 du 2 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 23 février, 26 mai et 8 juin 2015 et le 4 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts ;
- le règlement n° 91-01 du 16 janvier 1991 du comité de la réglementation bancaire ;
- le règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du comité de la réglementation comptable ;
- le règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du comité de la réglementation comptable ;
- le règlement n° 2005-04 du 3 novembre 2005 du comité de la réglementation comptable ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, la caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne a été assujettie à des suppléments de cotisation minimale de taxe professionnelle au titre des années 2007 et 2008. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 décembre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 16 septembre 2013 rejetant sa demande en décharge de ces suppléments d'impôt.

2. Aux termes de l'article 1647 E du code général des impôts, alors en vigueur : " I. La cotisation de taxe professionnelle des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 ? est au moins égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie au II de l'article 1647 B sexies ". Aux termes du II de l'article 1647 B sexies du même code, dans sa version applicable aux années d'imposition en litige : " 1. La valeur ajoutée (...) est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers (...). 3. La production des établissements de crédit (...) est égale à la différence entre : / d'une part, les produits d'exploitation bancaires et produits accessoires ; / et, d'autre part, les charges d'exploitation bancaires (...) ".

3. Les dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation minimale de taxe professionnelle. Il y a lieu, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, de se reporter aux normes comptables, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, dont l'application est obligatoire pour l'entreprise en cause. La norme applicable est, pour un établissement de crédit, le règlement du comité de la réglementation bancaire du 16 janvier 1991 relatif à l'établissement et à la publication des comptes des établissements de crédit et le règlement du 12 décembre 2002 du comité de la réglementation comptable relatif au traitement comptable du risque de crédit, modifié par le règlement du 3 novembre 2005. Lorsqu'un poste comptable applicable aux établissements de crédit n'est pas spécifique aux activités de ces établissements, il y a lieu de l'interpréter à la lumière des dispositions équivalentes du plan comptable général, tel qu'il est défini par le règlement du comité de la réglementation comptable du 23 avril 1999.

Sur les dépenses de mécénat :

4. En l'absence de dispositions spécifiques pour la comptabilisation des dépenses de mécénat dans le règlement du 16 janvier 1991 mentionné au point 3 ci-dessus, il y a lieu de rattacher ces dépenses aux dons, lesquels doivent être enregistrés, selon le cas, dans un compte de " services extérieurs " rattaché au compte de classe 15 " charges générales d'exploitation " ou au compte de classe 22 " charges exceptionnelles ", comme le prévoit le règlement du 23 avril 1999 également mentionné au point 3, qui prescrit un enregistrement des dons, selon le cas, dans les charges d'exploitation mentionnées au compte 6238 " divers (pourboires, dons courants...) " ou dans les charges exceptionnelles mentionnées au compte 6713 " dons, libéralités ". Les dépenses de mécénat réalisées par une entreprise doivent, ainsi, être comptabilisées en charges exceptionnelles lorsqu'elles ne peuvent pas être regardées, compte tenu des circonstances de fait, notamment de leur absence de caractère récurrent, comme relevant de l'activité habituelle et ordinaire de l'entreprise et en charges d'exploitation dans le cas contraire. Dès lors, en jugeant que les dépenses de mécénat exposées par la société requérante, que cette dernière avait comptabilisées en charges d'exploitation, ne pouvaient pas être déduites pour le calcul de la valeur ajoutée en application des dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, au motif qu'elles ne correspondaient à l'acquisition d'aucun bien ou d'aucun service auprès d'un tiers, la cour a commis une erreur de droit. Il suit de là que la société requérante est fondée à demander, dans cette mesure et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi relatifs à ces dépenses, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

Sur les produits tirés de la reprise des provisions pour dépréciations liées à l'actualisation des créances futures :

5. Aux termes de l'article 13 du règlement du 12 décembre 2002 du comité de la réglementation comptable relatif au traitement comptable du risque de crédit, modifié par le règlement du 3 novembre 2005 : " L'établissement assujetti enregistre les dépréciations correspondant, en valeur actualisée, à l'ensemble de ses pertes prévisionnelles au titre des encours douteux ou douteux compromis.(...). Les flux contractuels initiaux, déduction faite des flux déjà encaissés, et les flux prévisionnels sont actualisés au taux effectif d'origine des encours correspondants pour les prêts à taux fixe ou au dernier taux effectif déterminé selon les termes contractuels pour les prêts à taux variable. ". Pour l'application de ces dispositions, lorsqu'un établissement de crédit provisionne en valeur actualisée les dépréciations correspondant à des pertes prévisionnelles au titre des encours douteux ou douteux compromis, il doit également comptabiliser en valeur actualisée les éventuelles garanties qui avaient été constituées par les contreparties. L'écoulement du temps conduit l'établissement de crédit à procéder à des reprises sur les provisions passées.

6. Le règlement du 16 janvier 1991 relatif à l'établissement et à la publication des comptes des établissements de crédit prévoit que le poste 18 " coût du risque " comprend les dotations et reprises de provision pour dépréciation des créances sur la clientèle. Ce règlement précise toutefois que : " Par exception, sont classés aux postes [intitulés " Intérêts et produits assimilés "] (...) du compte de résultat les dotations et reprises sur dépréciations, (...) les intérêts recalculés au taux d'intérêt effectif d'origine sur les créances restructurées inscrites en encours sains (...). Sur option, les intérêts recalculés au taux d'intérêt effectif d'origine des créances restructurées ayant un caractère douteux et la reprise liée au passage du temps de la dépréciation des créances douteuses et douteuses compromises, restructurées ou non (...) ". Il suit de là que le règlement du 16 janvier 1991 permet aux établissements de crédit d'opter pour l'inscription au compte de résultat de la reprise, liée au passage du temps, des provisions pour dépréciation des créances douteuses ou douteuses compromises soit au poste " intérêts et produits assimilés ", qui entre dans la catégorie des produits d'exploitation bancaire, soit au poste 18 " coût du risque ", qui n'entre pas dans le calcul du produit net bancaire.

7. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que la société requérante avait, comme le règlement du 16 janvier 1991 lui en donnait la faculté, enregistré les intérêts d'actualisation courant sur les flux futurs des créances douteuses dans un compte de produits d'exploitation intitulé " intérêts sur solvabilité actualisée ". En déduisant de ces constatations que ces montants devaient être inclus dans le calcul de la valeur ajoutée en application de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, au titre des " intérêts et produits assimilés " à comprendre dans la production bancaire, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

8. En second lieu, si la cour s'est également fondée, pour écarter le moyen tiré de ce que les produits litigieux ne devaient pas être pris en compte pour le calcul de la valeur ajoutée, sur le motif que la société requérante n'établissait pas que ces produits étaient la stricte contrepartie de dotations aux provisions exclues du calcul de la valeur ajoutée, ce motif doit être regardé comme présentant un caractère surabondant. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que la cour aurait entaché son arrêt de contradiction de motifs ou de dénaturation.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 8 que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a statué sur l'inclusion dans la valeur ajoutée des produits tirés de la reprise des provisions pour dépréciations liées à l'actualisation des créances futures.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 2 décembre 2014 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il a statué sur la prise en compte des dépenses de mécénat dans le calcul de la valeur ajoutée au sens de l'article 1647 B sexies du code général des impôts.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : L'Etat versera à la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne et au ministre de l'action et des comptes publics.


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