Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 406222, lecture du 3 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:406222.20181003
Decision n° 406222
Conseil d'État

N° 406222
ECLI:FR:CECHR:2018:406222.20181003
Publié au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Pierre Ramain, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 3 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 30 janvier 2015 par laquelle de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'amission au bénéfice de l'asile. Par une décision n°15012437 du 13 septembre 2016, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 décembre 2016 et 22 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de lui accorder la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire,

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. B...A...et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;



Considérant ce qui suit :


1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...A..., ressortissant de la République démocratique du Congo (RDC), est entré en France en 2008. Par une décision du 9 décembre 2008, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'admission au statut de réfugié. Ce rejet a été confirmé par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 30 juillet 2010. M. A... a saisi l'Office de deux demandes de réexamen de sa situation le 4 octobre 2010 et le 16 juin 2011, qui ont été rejetées. A la suite du rejet, par le préfet du Loiret, de sa demande de délivrance d'un titre de séjour le 24 septembre 2010, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français lui a été notifié le 2 novembre 2010.

2. M. A...a ensuite saisi la Cour européenne des droits de l'homme qui, par un arrêt définitif du 14 novembre 2013, a jugé que la mise à exécution de la décision de le renvoyer vers la République démocratique du Congo constituerait une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que l'intéressé courrait un risque réel de subir, dans son pays, des traitements inhumains et dégradants. A la suite de cette décision, M. A...a saisi l'OFPRA d'une nouvelle demande de réexamen de sa situation. Cette demande a été rejetée par une décision du 30 janvier 2015. Par une décision du 13 septembre 2016, contre laquelle M. A...se pourvoit en cassation, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté le recours contre cette décision, en jugeant notamment que les risques de subir des traitements inhumains et dégradants dans son pays ne pouvaient être regardés comme établis.

3. Aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention ". L'article 41 de cette même convention stipule que : " Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable ". En vertu de l'article 46 de la même convention : " 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties. / 2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. (...) ".

4. Il résulte des stipulations de l'article 46 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la complète exécution d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant un Etat partie à la convention implique, en principe, que cet Etat prenne toutes les mesures qu'appellent, d'une part, la réparation des conséquences que la violation de la convention a entrainées pour le requérant et, d'autre part, la disparition de la source de cette violation. Eu égard à la nature essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour, il appartient à l'Etat condamné de déterminer les moyens de s'acquitter de l'obligation qui lui incombe ainsi. L'autorité qui s'attache aux arrêts de la Cour implique en conséquence non seulement que l'Etat verse à l'intéressé les sommes que lui a allouées la Cour au titre de la satisfaction équitable prévue par l'article 41 de la convention mais aussi qu'il adopte les mesures individuelles et, le cas échéant, générales nécessaires pour mettre un terme à la violation constatée.

5. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : a) La peine de mort ou une exécution ; b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ".

6. L'arrêt par lequel la Cour européenne des droits de l'homme juge que la mise en oeuvre d'une mesure d'éloignement d'une personne vers le pays dont elle a la nationalité constituerait une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu du risque qu'elle courrait d'y être exposée à des traitements prohibés par cet article, constitue une circonstance nouvelle justifiant le réexamen de la situation de cette personne par l'OFPRA, sous le contrôle de la Cour nationale du droit d'asile. La complète exécution de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme implique nécessairement, non seulement que les autorités compétentes s'abstiennent de mettre à exécution la mesure d'éloignement, mais aussi, à tout le moins, que, sauf changement de circonstances et sous réserve de l'application de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la protection subsidiaire lui soit accordée en application de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en refusant d'octroyer à tout le moins à M. A... la protection subsidiaire, alors que, par un arrêt définitif du 14 novembre 2013, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que le renvoi de l'intéressé en République démocratique du Congo constituerait une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans relever ni qu'un changement de circonstances était intervenu depuis cet arrêt ni que M. A... relevait d'un des cas visés de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, la Cour nationale du droit d'asile a commis une erreur de droit.

8. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Dès lors, son avocat peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à ce titre à la charge de l'OFPRA la somme de 3 000 euros.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 13 septembre 2016 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : L'OFPRA versera à la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. A..., une somme de 3 000 euros, au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


Voir aussi