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Ariane Web: Conseil d'État 399952, lecture du 24 avril 2019, ECLI:FR:Code Inconnu:2019:399952.20190424
Decision n° 399952
Conseil d'État

N° 399952
ECLI:FR:CESSR:2019:399952.20190424
Publié au recueil Lebon
3ème - 8ème - 9ème - 10ème SSR
M. Vincent Daumas, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 24 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société anonyme Société Générale a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2004 et en 2005 ainsi que des pénalités correspondantes, en sa qualité de société-mère du groupe fiscal intégré comprenant la Société Générale Asset Management (SGAM) Banque. Par un jugement n° 0905895 du 3 février 2011, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 11VE02326 du 17 mars 2016, la cour administrative d'appel de Versailles, faisant droit à l'appel formé par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a annulé ce jugement et remis à la charge de la société les impositions supplémentaires dont la décharge avait été prononcée par le tribunal.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mai et 18 juillet 2016 et le 12 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Société Générale demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre ;

3°) à titre subsidiaire, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus, signée à Londres le 22 mai 1968 ;
- la convention signée le 16 mars 1973 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- la convention signée le 5 octobre 1989 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt C-385/00 du 12 décembre 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes (ECLI:EU:C:2002:750) ;
- l'arrêt C-513/04 du 14 novembre 2006 de la Cour de justice des Communautés européennes (ECLI:EU:C:2006:713) ;
- l'arrêt C-194/06 du 20 mai 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes (ECLI:EU:C:2008:289) ;
- l'arrêt C-436/08 et C-437/08 du 10 février 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne (ECLI:EU:C:2011:61) ;
- l'arrêt C-168/11 du 28 février 2013 de la Cour de justice de l'Union européenne (ECLI:EU:C:2013:117) ;
- l'arrêt C-10/14, C-14/14 et C-17/14 du 17 septembre 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne (ECLI:EU:C:2015:608) ;
- l'arrêt C-602/17 du 24 octobre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne (ECLI:EU:C:2018:856) ;
- l'arrêt C-174/18 du 14 mars 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne (ECLI:EU:C:2019:205) ;
- la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux n° 357189 du 7 décembre 2015 (ECLI:FR:CESSR:2015:357189.20151207) ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Daumas, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la Société Générale ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (...) ". Aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du même code, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : "Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45 (...) et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions / (...) ". Aux termes du 1 de l'article 220 de ce code, dans sa rédaction applicable à ces mêmes années d'imposition : "a) Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les revenus des capitaux mobiliers, visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant de l'impôt à sa charge en vertu du présent chapitre. / Toutefois, la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce dernier impôt correspondant au montant desdits revenus. / b) En ce qui concerne les revenus de source étrangère visés aux articles 120 à 123, l'imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu'il est prévu par les conventions internationales / (...) /".

2. Aux termes de l'article 10 de la convention conclue le 5 octobre 1989 entre la France et l'Italie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales : " 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'Etat dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat (...)'". Aux termes des stipulations de l'article 24 de la même convention : "'La double imposition est évitée de la manière suivante : / 1. Dans le cas de la France : / a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d'Italie et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la convention, sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France. L'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. Ce crédit d'impôt est égal : / - pour les revenus visés aux articles 10, 11, 12, 16 et 17 (...) au montant de l'impôt payé en Italie, conformément aux dispositions de ces articles. Il ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus (...) ".

3. Aux termes de l'article 9 de la convention conclue le 22 mai 1968 entre la France et le Royaume-Uni en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : "1. a) Les dividendes payés par une société qui est un résident du Royaume-Uni à un résident de France sont imposables en France. / b) Quand un résident de France a droit à un crédit d'impôt à raison d'un tel dividende en vertu du paragraphe 2 du présent article, l'impôt peut aussi être perçu au Royaume-Uni (...). / 2. Sous réserve des dispositions des paragraphes 3, 4 et 5 du présent article, un résident de France qui reçoit d'une société résidente du Royaume-Uni des dividendes dont il est le bénéficiaire effectif a droit, lorsqu'il est assujetti à l'impôt en France à raison de ces dividendes, au crédit d'impôt qui y est attaché et auquel une personne physique résidente du Royaume-Uni aurait eu droit si elle avait reçu ces dividendes et au paiement de l'excédent de ce crédit d'impôt sur l'impôt du Royaume-Uni dont il est redevable (...)". En vertu des stipulations de l'article 24 de la même convention, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : "'Les doubles impositions des revenus sont évitées de la manière suivante : / (...) b) Dans le cas de la France : / (...) ii) La France accorde au résident de France, qui perçoit des revenus visés aux articles 9 et 17 ayant leur source au Royaume-Uni et ayant supporté l'impôt au Royaume-Uni conformément aux dispositions desdits articles, un crédit d'impôt correspondant au montant de l'impôt payé au Royaume-Uni. Ce crédit d'impôt, qui ne peut excéder le montant de l'impôt français afférent aux revenus susvisés, est imputé sur les impôts visés à l'alinéa b du paragraphe 1 de l'article 1er de la présente Convention, dans l'assiette desquels ces revenus sont compris (...)".

4. Aux termes de l'article 10 de la convention conclue le 16 mars 1973 entre la France et les Pays-Bas en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales : "1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces dividendes peuvent être imposés dans l'Etat dont la société qui paie les dividendes est un résident et selon la législation de cet Etat (...)". En vertu des stipulations de l'article 24 de la même convention : "Il est entendu que la double imposition sera évitée de la façon suivante : / (...) B. - En ce qui concerne la France : / (...) b) En ce qui concerne les revenus visés aux articles 8, 10, 11, 16 et 17 qui ont supporté l'impôt néerlandais conformément aux dispositions de ces articles, la France accorde aux personnes qui sont résidentes de France et qui perçoivent de tels revenus, un crédit d'impôt d'un montant égal à l'impôt néerlandais. / Ce crédit d'impôt, qui ne peut excéder le montant de l'impôt perçu en France sur les revenus en cause, s'impute sur les impôts visés à l'article 2, paragraphe 3, alinéa b) dans les bases desquels lesdits revenus sont inclus (...)".

5. Il résulte des dispositions du b du 1 de l'article 220 du code général des impôts citées au point 1 que l'imputation sur l'impôt dû en France de la retenue à la source acquittée à l'étranger à raison des revenus de source étrangère auxquels cette disposition fait référence est limitée au montant du crédit d'impôt correspondant à cette retenue à la source tel qu'il est prévu par les conventions fiscales internationales. Dans l'hypothèse où une convention fiscale conclue entre la France et un autre Etat afin d'éviter les doubles impositions prévoit, comme le font celles qui sont mentionnées aux points 2 à 4, que, lorsqu'une société soumise à l'impôt sur les sociétés en France perçoit des dividendes d'une société résidente de l'autre Etat qui sont soumis à une retenue à la source dans cet Etat, la France a le pouvoir d'imposer la première société sur ces dividendes, mais que celle-ci a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt sur les sociétés, sans toutefois que ce crédit d'impôt ne puisse excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus, ce montant maximal doit être déterminé, en l'absence de toute stipulation contraire dans la convention fiscale, en appliquant l'ensemble des dispositions du code général des impôts relatives à l'impôt sur les sociétés, dont celles de l'article 39, applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209, c'est-à-dire en déduisant du montant des dividendes distribués, avant toute retenue à la source, et sauf exclusion par des dispositions spécifiques, les charges justifiées, qui ne sont exposées que du fait de l'acquisition, de la détention ou de la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, qui sont directement liées à cette perception et qui n'ont pas pour contrepartie un accroissement de l'actif.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Versailles que la Société Générale Asset Management (SGAM) Banque a réalisé en 2004 et 2005, d'une part, des opérations de prêts de titres, d'autre part, des opérations de structuration de fonds. Les opérations de prêts de titres comportaient la remise, par l'emprunteur, de titres destinés à garantir ceux qui étaient prêtés par SGAM Banque, dont elle devenait ainsi temporairement propriétaire. L'article 6 (G) (i) du contrat-type dit OSLA (Overseas Securities Lender's Agrement) signé entre SGAM Banque et ses cocontractants prévoyait que SGAM Banque était tenue, en principe, de leur restituer des titres équivalents à ceux qui avaient été remis en garantie, afin qu'ils bénéficient du versement des dividendes attachés à ces titres. L'article 6 (G) (ii) stipulait également que, à défaut de restitution de titres permettant à l'emprunteur de percevoir les dividendes, SGAM Banque devait payer à ce dernier une somme d'argent ou lui remettre des biens, pour une valeur égale au montant de ces dividendes. Les opérations de structuration de fonds consistaient notamment en la gestion par SGAM Banque de paniers d'actions correspondant à des profils de gestion fixés par ses cocontractants. Dans ce cadre, SGAM Banque percevait les dividendes attachés aux titres entrant dans la composition des paniers d'actions, dont elle s'était portée acquéreuse, mais elle était tenue, au titre de la performance vendue à ses cocontractants, de leur reverser une somme correspondant au montant des dividendes perçus ainsi qu'à l'augmentation de la valeur des titres. En contrepartie, ses cocontractants versaient à SGAM Banque une rémunération fixe pour gestion du panier d'actions.

7. Dans le cadre de ces deux types d'opérations, SGAM Banque a perçu, s'agissant de titres de sociétés résidentes d'Italie, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, des dividendes diminués des retenues à la source acquittées respectivement dans ces trois Etats. A l'issue d'une vérification de comptabilité de SGAM Banque, l'administration fiscale a remis en cause l'imputation sur le montant de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos en 2004 et 2005 d'une fraction des crédits d'impôt correspondant à ces retenues à la source que la société avait imputés sur l'impôt sur les sociétés dont elle était redevable en France. Par un jugement du 3 février 2011, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la Société Générale, en sa qualité de société-mère du groupe fiscal intégré dont SGAM Banque est membre, a été assujettie à la suite de ce rehaussement. Par un arrêt du 17 mars 2016, la cour administrative d'appel de Versailles, faisant droit à l'appel formé par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a annulé ce jugement et remis à la charge de la société les impositions supplémentaires dont la décharge avait été prononcée par le tribunal. La Société Générale demande l'annulation de cet arrêt.

8. La Société Générale soutient que la cour a commis une erreur de droit en écartant le moyen tiré de ce que l'application des règles rappelées au point 5 conduit à méconnaître la liberté de circulation des capitaux protégée par le droit de l'Union. Elle fait valoir que les opérations portant sur des titres de sociétés étrangères réalisées par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés en France seraient désavantagées par rapport à celles qui portent sur des titres de sociétés françaises, au motif que le mode de calcul du plafond des crédits d'impôt dont l'attribution est prévue par les conventions fiscales conclues par la France, afin d'éliminer la double imposition des dividendes résultant de leur imposition, d'une part, par l'Etat de la source des dividendes, d'autre part, par la France, ne permettrait qu'une imputation insuffisante de l'impôt prélevé par l'Etat de la source sur l'impôt sur les sociétés français. Elle se prévaut à cet égard des arrêts de la Cour de justice du 17 septembre 2015 Miljoen, X et Société Générale, C-10/14, C-14/14 et C-17/14 et du 28 février 2013 Beker, C-168/11.

9. Le Conseil d'Etat observe que les règles rappelées au point 5 ont pour objet de compenser le désavantage susceptible de résulter de l'exercice parallèle des compétences fiscales dont disposent les différents Etats membres et que, pour procéder à cette compensation, le plafond d'imputation est calculé en appliquant aux dividendes de source étrangère soumis à une retenue à la source les dispositions de droit commun du code général des impôts, les charges venant en déduction du montant de ces dividendes avant retenue à la source étant également déduites pour la détermination de l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France. Ces règles traduisent l'engagement de la France de renoncer à percevoir, le cas échéant en totalité, les recettes fiscales qu'elle retirerait de l'imposition à l'impôt sur les sociétés des dividendes de source étrangère. Le Conseil d'Etat relève que l'imputation d'un crédit d'impôt supérieur à celui qui résulte de l'application de ces règles serait susceptible de conduire non seulement à une telle renonciation mais aussi à ce que la France supporte tout ou partie de la charge de l'impôt auquel ces dividendes sont soumis par l'Etat dans lequel ils trouvent leur origine.

10. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation adoptées par l'Union, les Etats membres demeurent.compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation et que la préservation de cette répartition est un objectif légitime reconnu par la Cour (arrêt du 17 septembre 2015, Miljoen, X et Société Générale C-10/14, C-14/14 et C-17/14, point 76) En particulier, le droit de l'Union, dans son état actuel, ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les Etats membres s'agissant de l'élimination de la double imposition à l'intérieur de l'Union. Dès lors, la circonstance que l'Etat membre de la source de dividendes et l'Etat membre de résidence de l'actionnaire qui en est le bénéficiaire sont tous deux susceptibles d'imposer ces dividendes n'implique pas que l'Etat membre de résidence soit tenu, en vertu du droit de l'Union, de prévenir les désavantages qui pourraient découler de l'exercice par les deux Etats membres de la compétence ainsi répartie (arrêt de grande chambre du 14 novembre 2006, Kerckhaert et Morres, C-513/04, point 22 ; arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, C-436/08 et C-437/08, point 170). Toutefois, en ce qui concerne l'exercice de leur pouvoir d'imposition, réparti le cas échéant dans le cadre de conventions bilatérales préventives de la double imposition, les Etats membres sont tenus de se conformer aux règles de l'Union (arrêt du 12 décembre 2002, de Groot, C-385/00, point 94 ; arrêt du 28 février 2013, Beker, C-168/11, point 34 ; arrêt du 14 mars 2019, Jacob et Lennertz, C-174/18, point 25). Plus particulièrement, si le droit de l'Union n'impose pas à un Etat membre de procéder à une compensation du désavantage résultant d'une imposition en chaîne provenant exclusivement de l'exercice parallèle des compétences fiscales dont disposent les différents Etats membres, il incombe à un Etat membre qui a décidé de prévoir une telle compensation d'exercer cette faculté conformément au droit de l'Union (arrêt de grande chambre du 20 mai 2008, Orange European Smallcap Fund, C-194/06, point 47). Cependant, dès lors que l'objectif d'une convention préventive de la double imposition consiste à éviter que le même revenu ne soit imposé dans chacune des deux parties contractantes et non de garantir que l'imposition à laquelle est assujetti le contribuable dans une partie contractante ne soit pas supérieure à celle à laquelle il serait assujetti dans l'autre partie contractante, un traitement fiscal désavantageux découlant de la répartition de la compétence fiscale entre deux Etats membres, l'un en tant qu'Etat de résidence du contribuable, l'autre en tant qu'Etat de la source des revenus concernés, et de la disparité entre les régimes fiscaux de ces deux Etats ne saurait être considéré comme constituant une discrimination ou une différence de traitement interdite (arrêt du 24 octobre 2018, Sauvage et Lejeune, C-602/17, point 28).

11. En l'absence de jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne sur la marge d'appréciation laissée aux Etats membres lorsqu'ils adoptent un mécanisme d'élimination de la double imposition applicable en cas de distribution à une société résidente d'un Etat membre de dividendes qui trouvent leur source dans un autre Etat, fondé sur l'octroi à cette société d'un crédit d'impôt imputable, dans la limite du montant de l'impôt correspondant, dans son Etat de résidence, à ces dividendes, la réponse au moyen soulevé par la Société Générale dépend de la réponse à la question de savoir si, au regard de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la circonstance que l'application des règles rappelées au point 5, afin de compenser la double imposition de dividendes versés à une société imposable à l'impôt sur les sociétés dans l'Etat membre dont elle est résidente par une société résidente d'un autre Etat et soumis, du fait de l'exercice par cet Etat de sa compétence fiscale, à une retenue à la source, soit susceptible de laisser subsister un désavantage au détriment des opérations portant sur des titres de sociétés étrangères réalisées par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés dans le premier Etat implique-t-elle que celui-ci, dès lors que le choix a été fait de compenser la double imposition, aille au-delà de la renonciation à percevoir les recettes fiscales qu'il retirerait de l'imposition à l'impôt sur les sociétés des dividendes en cause '

12. Cette question est déterminante pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat et présente une difficulté sérieuse d'interprétation. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur le pourvoi de la Société Générale.


D E C I D E :
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Article 1er : Il est sursis à statuer sur le pourvoi présenté par la Société Générale jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante : au regard de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la circonstance que l'application des règles rappelées au point 5 de la présente décision, afin de compenser la double imposition de dividendes versés à une société imposable à l'impôt sur les sociétés dans l'Etat membre dont elle est résidente par une société résidente d'un autre Etat et soumis, du fait de l'exercice par cet Etat de sa compétence fiscale, à une retenue à la source, soit susceptible de laisser subsister un désavantage au détriment des opérations portant sur des titres de sociétés étrangères réalisées par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés dans le premier Etat implique-t-elle que celui-ci, dès lors que le choix a été fait de compenser la double imposition, aille au-delà de la renonciation à percevoir les recettes fiscales qu'il retirerait de l'imposition à l'impôt sur les sociétés des dividendes en cause '

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Société Générale, au ministre de l'action et des comptes publics et au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques.


Voir aussi