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Ariane Web: Conseil d'État 434334, lecture du 15 novembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:434334.20191115

Décision n° 434334
15 novembre 2019
Conseil d'État

N° 434334
ECLI:FR:CECHR:2019:434334.20191115
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Céline Guibé, rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public


Lecture du vendredi 15 novembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Les Sablières de l'Atlantique, en défense à la requête d'appel du ministre de la culture tendant à l'annulation du jugement n° 1210174 du 2 décembre 2014, par lequel le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande de décharge de la redevance d'archéologie préventive résultant d'un avis d'imposition du 3 décembre 2012, a produit deux mémoires, enregistrés le 24 janvier et le 7 mars 2019 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 18NT04279-QPC du 5 septembre 2019, enregistrée le 5 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 5e chambre de la cour administrative d'appel de Nantes, avant qu'il soit statué sur la requête d'appel du ministre de la culture, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'article L. 524-7 du code du patrimoine.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et un mémoire enregistré le 17 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les Sablières de l'Atlantique soutient que les dispositions du II de l'article L. 524-7 du code du patrimoine, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi énoncé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la même Déclaration.

Par un mémoire, enregistré le 25 septembre 2019, le ministre de la culture soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier que les dispositions contestées ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2003-480 DC du Conseil constitutionnel du 31 juillet 2003 et que la question posée ne présente pas un caractère sérieux.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2003-707 du 1er août 2003 ;
- la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 ;
- la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 ;
- le code du patrimoine, notamment son article L. 524-7 ;
- la décision n° 2003-480 DC du Conseil constitutionnel du 31 juillet 2003 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Guibé, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 524-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est institué une redevance d'archéologie préventive due par les personnes (...) projetant d'exécuter des travaux affectant le sous-sol et qui : / a) Sont soumis à une autorisation ou à une déclaration préalable en application du code de l'urbanisme ; / b) Ou donnent lieu à une étude d'impact en application du code de l'environnement ; (...) ". En vertu du II de l'article L. 524-7 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 8 de la loi du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés : " Lorsqu'elle est perçue sur des travaux visés aux b et c de l'article L. 524-2, son montant est égal à 0,50 ? par mètre carré. Ce montant est indexé sur l'indice du coût de la construction. / La surface prise en compte est selon le cas : / - la surface au sol des installations autorisées pour les aménagements et ouvrages soumis à autorisation administrative qui doivent être précédés d'une étude d'impact en application de l'article L. 122-1 du code de l'environnement ; / - la surface au sol des aménagements et ouvrages non soumis à autorisation administrative qui doivent être précédés d'une étude d'impact en application de l'article L. 122-1 du code de l'environnement sur la base du dossier transmis pour prescription de diagnostic éventuelle en application des articles L. 522-1 et suivants du présent code ; / (...) / La redevance n'est pas due pour les travaux et aménagements réalisés sur des terrains d'une superficie inférieure à 3 000 mètres carrés ".

3. Par une décision n° 403028 du 3 décembre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé qu'à la date des faits en litige, l'autorisation d'extraire des granulats provenant du sous-sol des fonds marins ne pouvait être délivrée qu'après la réalisation d'une étude d'impact en application du code de l'environnement, susceptible de justifier que le titulaire d'une telle autorisation soit assujetti au paiement de la redevance d'archéologie préventive en vertu du b de l'article L. 542-4 du code du patrimoine.

4. La société Les Sablières de l'Atlantique soutient, d'une part, que les dispositions du II de l'article L. 524-7 du code du patrimoine méconnaissent le principe d'égalité devant la loi en tant qu'elles prévoient, en dépit de leur différence de situation, des règles d'imposition identiques pour les personnes exécutant des travaux affectant le sous-sol terrestre et pour celles qui exécutent des travaux affectant le sous-sol marin et, d'autre part, qu'elles emportent, pour les personnes exerçant une activité d'extraction de sables sous-marins, une charge excessive, en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques.

5. D'une part, les dispositions du II l'article L. 524-7 du code du patrimoine sont applicables au litige dont est saisie la cour administrative d'appel de Nantes.

6. D'autre part, si ces dispositions sont issues de l'article 10 de la loi du 1er août 2003 relative à l'archéologie préventive, que le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2003-480 DC du 31 juillet 2003, l'article 17 de la loi du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement et l'article 8 de la loi du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés ont apporté des modifications significatives aux règles d'assiette ainsi qu'aux modalités de calcul de la redevance qu'elles instituent. Les dispositions contestées sont ainsi différentes de celles qui ont fait l'objet de la décision du Conseil constitutionnel en date du 31 juillet 2003.

7. Enfin, le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant les charges publiques, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du II de l'article L. 524-7 du code du patrimoine dans sa rédaction issue de l'article 8 de la loi du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Les Sablières de l'Atlantique, au Premier ministre et au ministre de la culture.
Copie en sera adressée à la cour administrative d'appel de Nantes.




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