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Ariane Web: Conseil d'État 420472, lecture du 8 juillet 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:420472.20200708

Décision n° 420472
8 juillet 2020
Conseil d'État

N° 420472
ECLI:FR:CECHR:2020:420472.20200708
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Pearl Nguyên Duy, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 8 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'ordonner son relogement sur le fondement de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation. Par un jugement n° 1705186 du 8 août 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mai et 9 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Piwnica et Molinié, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. B... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commission de médiation du Val d'Oise a, par une décision du 4 novembre 2016, déclaré M. B... prioritaire et devant être relogé en urgence sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation. L'intéressé a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article L. 441-2-3-1 du même code, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Val d'Oise d'exécuter cette décision. Par un jugement du 8 août 2017, contre lequel M. B... se pourvoit en cassation, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Lorsque le délai de recours contentieux a été interrompu par une demande d'aide juridictionnelle, il recommence à courir à compter du jour où la décision prise sur cette demande devient définitive ou, si elle lui est postérieure et en cas d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à la plus tardive des deux dates de désignation de l'auxiliaire de justice ou de notification de la décision à l'intéressé.

3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à M. B... le 9 août 2017 et que l'intéressé a introduit dès le 25 août 2017, soit dans le délai du recours en cassation, une demande d'aide juridictionnelle devant le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Versailles. Celui-ci l'a transmise au bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 32 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Le bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat ayant accordé l'aide juridictionnelle à M. B... le 14 mars 2018, le pourvoi de ce dernier, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 9 mai 2018, n'était pas tardif. La fin de non-recevoir opposée par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales doit, par suite, être écartée.

Sur le bien-fondé du pourvoi

4. D'une part, aux termes de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation : " I.- Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence et qui n'a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement. / (...) Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne, lorsqu'il constate que la demande a été reconnue comme prioritaire par la commission de médiation et doit être satisfaite d'urgence et que n'a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, ordonne le logement ou relogement de celui-ci par l'Etat et peut assortir son injonction d'une astreinte. (...) ".

5. D'autre part, le troisième alinéa de l'article L. 441-2-1 du code de la construction et de l'habitation dispose que toute demande de logement social " fait l'objet (...) d'un enregistrement dans le système national d'enregistrement (...). Chaque demande est identifiée par un numéro unique délivré au niveau national ". Aux termes du dixième alinéa du même article : " Aucune attribution de logement ne peut être décidée, ni aucune candidature examinée par une commission d'attribution si la demande n'a pas fait l'objet d'un enregistrement assorti de la délivrance d'un numéro unique ". Enfin, l'article R. 441-2-8 du même code dispose, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Une demande ne peut faire l'objet d'une radiation du fichier d'enregistrement que pour l'un des motifs suivants (...) : / a) Attribution d'un logement social au demandeur (...) ; / b) Renonciation du demandeur adressée par écrit (...) ; / c) Absence de réponse du demandeur à un courrier envoyé à la dernière adresse indiquée par l'intéressé (...) ; / d) Rejet pour irrecevabilité de la demande au regard des conditions législatives et réglementaires d'accès au logement social (...) ; / e) Absence de renouvellement de la demande dans le délai imparti par la notification adressée au demandeur (...) ".

6. Il résulte des dispositions précitées que le juge, saisi sur le fondement de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation, s'il constate qu'un demandeur de logement a été reconnu par une commission de médiation comme prioritaire et devant être logé ou relogé d'urgence et que ne lui a pas été offert un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités définis par la commission, doit ordonner à l'administration de loger ou reloger l'intéressé, sauf si celle-ci apporte la preuve que l'urgence a complètement disparu. Toutefois, un comportement du bénéficiaire de la décision de la commission de médiation qui serait de nature à faire obstacle à l'exécution de cette décision peut délier l'administration de l'obligation de résultat qui pèse sur elle. La seule circonstance que, postérieurement à la décision de la commission de médiation, le bénéficiaire de cette décision soit radié du fichier des demandeurs de logement social en application des dispositions citées ci-dessus, n'a pas, par elle-même, pour effet de délier l'Etat de l'obligation qui pèse sur lui d'en assurer l'exécution. Il n'en va ainsi que si la radiation résulte de l'exécution même de la décision de la commission de médiation ou si les faits ayant motivé cette radiation révèlent, de la part de l'intéressé, une renonciation au bénéfice de cette décision ou un comportement faisant obstacle à son exécution par le préfet.

7. Pour rejeter la demande dont il était saisi, le tribunal administratif a jugé que la radiation de M. B... du fichier des demandeurs de logement social en raison du non-renouvellement de sa demande, intervenue le 24 janvier 2017, faisait obstacle à ce que l'intéressé exerce le recours mentionné à l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation. En se fondant sur ce seul motif pour rejeter la demande de M. B..., le tribunal administratif a commis une erreur de droit. M. B... est, dès lors, fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

8. M. B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. B..., sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 8 août 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Piwnica et Molinié une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


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