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Ariane Web: Conseil d'État 450878, lecture du 1 avril 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:450878.20210401

Décision n° 450878
1 avril 2021
Conseil d'État

N° 450878
ECLI:FR:CEORD:2021:450878.20210401
Mentionné aux tables du recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. Guillaume Goulard, rapporteur
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du jeudi 1 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

I. Sous le n° 450878, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 et 29 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Illumina demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'Autorité de la concurrence a adressé à la Commission européenne, sur le fondement de l'article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, une demande d'examen de son opération d'acquisition de la société Grail ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la décision attaquée doit pouvoir faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat eu égard à ses effets juridiques propres ;
- la condition d'urgence est satisfaite compte tenu, d'une part, de l'échéance au 6 avril 2021 du délai de vingt-cinq jours à l'issue duquel la Commission européenne sera réputée accepter l'examen de l'opération, ce qui dessaisirait les autorités nationales et priverait d'utilité son recours et, d'autre part, des effets difficilement réversibles attachés à l'engagement d'un examen par la Commission, pour la poursuite de l'opération d'acquisition de la société Grail et, plus largement, pour la lutte contre le cancer ;
- la décision attaquée ne relevait pas de la compétence de la présidente de l'Autorité de la concurrence ;
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière en l'absence d'information préalable des parties et de recueil de leurs observations sur un éventuel renvoi, en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense garantis par les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et du point 344 des lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations ;
- elle est tardive, le délai de quinze jours mentionné au second alinéa du paragraphe 1 de l'article 22 du règlement du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ayant commencé à courir, en application de ces dispositions, à compter de la publication du communiqué de presse annonçant l'opération d'acquisition le 21 septembre 2020 ;
- elle est entachée d'erreurs de fait, d'une part, en ce qu'elle mentionne que des produits similaires à celui en cours de développement par la société Grail seraient déjà commercialisés ou sur le point de l'être et, d'autre part, en ce qu'elle omet de faire état des contrats régissant les relations de la société Illumina avec ses clients ;
- l'Autorité de la concurrence a commis une erreur de droit et méconnu le principe de sécurité juridique en demandant l'examen d'une opération n'atteignant pas les seuils en termes de chiffre d'affaires au seul motif que cette opération serait susceptible de produire des effets anticoncurrentiels, alors que le renvoi de telles opérations, qui échappaient jusqu'à présent à tout contrôle a priori, devrait en tout état de cause être réservé à des cas dans lesquels le risque d'atteinte à la concurrence est à la fois manifeste et d'une particulière gravité ;
- l'Autorité de la concurrence a commis une erreur d'appréciation en se fondant, pour estimer que l'opération en cause menacerait d'affecter de manière significative la concurrence, sur le risque d'une restriction ou d'un renchérissement de l'accès aux séquenceurs génomiques au détriment des concurrents potentiels de la société Grail, alors que, selon les critères pertinents pour l'analyse des opérations de concentration verticale, l'absence de crédibilité d'un risque de verrouillage des intrants découle en l'espèce de l'absence de capacité et d'intérêt de la société Illumina à s'engager dans une telle stratégie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2021, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête. Elle soutient, à titre principal, que le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour statuer sur la demande d'examen de l'opération, à titre subsidiaire, que la requête n'est pas recevable en l'absence de décision ou même d'acte faisant grief et, à titre encore plus subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun moyen n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la demande adressée à la Commission.

Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a présenté des observations, enregistrées le 26 mars 2021.


II. Sous le n° 450881, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 et 29 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Grail demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'Autorité de la concurrence a adressé à la Commission européenne, sur le fondement de l'article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, une demande d'examen de son acquisition par la société Illumina ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence d'informer immédiatement la Commission européenne de la suspension de l'exécution de la décision du 9 mars 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soulève les mêmes moyens que ceux qui sont invoqués par la société Illumina à l'appui de sa requête.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2021, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête. Elle soutient, à titre principal, que le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour statuer sur la demande d'examen de l'opération, à titre subsidiaire, que la requête n'est pas recevable en l'absence de décision ou même d'acte faisant grief et, à titre encore subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun moyen n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la demande adressée à la Commission.

Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a présenté des observations, enregistrées le 26 mars 2021.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu
- le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les sociétés Illumina et Grail et, d'autre part, l'Autorité de la concurrence et le ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 30 mars 2021, à 14h30 :

- Me François Moliné, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Illumina ;

- les représentants de la société Illumina ;

- Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Grail ;

- les représentants de la société Grail ;

- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Vu les trois notes en délibéré, enregistrées les 31 mars et 1er avril 2021, présentées par l'Autorité de la concurrence ;


Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes, enregistrées sous les nos 450878 et 450881, présentées par la société Illumina et la société Grail tendent à la suspension de l'exécution de l'acte du 9 mars 2021 par laquelle l'Autorité de la concurrence a adressé à la Commission européenne, sur le fondement de l'article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 10 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, une demande d'examen de l'opération d'acquisition de la société Grail par la société Illumina. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 10 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises : " 1. Un ou plusieurs Etats membres peuvent demander à la Commission d'examiner toute concentration, telle que définie à l'article 3, qui n'est pas de dimension communautaire au sens de l'article 1er, mais qui affecte le commerce entre Etats membres et menace d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats membres qui formulent cette demande. (...) 2. La Commission informe sans délai les autorités compétentes des Etats membres et les entreprises concernées de toute demande reçue conformément au paragraphe 1. / Tout autre Etat membre a le droit de se joindre à la demande initiale dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date à laquelle la Commission l'a informé de la demande initiale. (...) 3. La Commission peut, dans un délai de dix jours ouvrables suivant l'expiration du délai fixé au paragraphe 2, décider d'examiner la concentration si elle estime que celle-ci affecte le commerce entre Etats membres et menace d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats membres qui formulent cette demande. Si la Commission ne prend pas de décision dans ce délai, elle est réputée avoir adopté une décision d'examen de la concentration conformément à la demande. (...) Le ou les Etats membres ayant formulé la demande n'appliquent plus leur droit national de la concurrence à la concentration concernée. / 4. (...) L'article 7 est applicable pour autant que la concentration n'ait pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu'une demande a été déposée. (...) 5. La Commission peut informer un ou plusieurs Etats membres qu'elle considère qu'une concentration répond aux critères énoncés au paragraphe 1. Dans ce cas, elle peut inviter ce ou ces Etats membres à présenter une demande sur la base du paragraphe 1 ".

4. La demande, adressée par l'Autorité de la concurrence à la Commission européenne, sur le fondement des dispositions citées au point 3, tendant à l'examen d'une opération de concentration, n'est pas détachable de la procédure d'examen de cette opération, menée par la Commission sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne. Dès lors, quels que soient les effets d'une telle demande pour les entreprises concernées, le juge administratif n'est pas compétent pour connaître d'une contestation dirigée contre cette demande de renvoi.

5. Il résulte de l'instruction que, par une note du 19 février 2021, la Commission européenne a invité les Etats membres, sur le fondement du paragraphe 5 de l'article 22 du règlement du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, à lui présenter une demande d'examen de l'opération d'acquisition de la société Grail par la société Illumina, au motif que cette opération répondait aux conditions énumérées au paragraphe 1 de cet article. Par un courrier du 9 mars 2021, l'Autorité de la concurrence a demandé à la Commission européenne, sur le fondement de ce même article, d'examiner cette opération. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le juge des référés n'est pas compétent pour connaître des conclusions tendant à la suspension de l'exécution d'une telle demande. Dès lors, les requêtes de la société Illumina et de la société Grail doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes des sociétés Illumina et Grail sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Illumina, à la société Grail et à l'Autorité de la concurrence.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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