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Ariane Web: Conseil d'État 427004, lecture du 22 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:427004.20210722

Décision n° 427004
22 juillet 2021
Conseil d'État

N° 427004
ECLI:FR:CECHR:2021:427004.20210722
Publié au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Catherine Brouard-Gallet, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER ; CABINET MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du jeudi 22 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 octobre 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur recours hiérarchique formé contre la décision du 16 mars 2015 de l'inspecteur du travail ayant autorisé son licenciement, a annulé cette décision et autorisé la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias, liquidateur judiciaire de la société Clinique Paris Montmartre, à la licencier pour motif économique. Par un jugement n° 1517654 du 15 mai 2017, le tribunal administratif a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 17PA02461 du 13 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire enregistrés les 11 janvier, 7 mars et 1er juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
-le code de commerce ;
-le code du travail ;
-le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... D..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias et à la SCP Munier-Apaire, avocat de Mme A... B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un jugement du 23 février 2015, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire sans poursuite d'activité de la société Clinique Paris Montmartre dont l'intégralité des parts sociales, qui étaient détenues depuis 2009 par la société Kapa Santé, avaient été acquises le 6 janvier 2015 par la société INA. Par une décision implicite du 9 mars 2015, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de l'Ile-de-France a homologué le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) établi par la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias, nommée liquidateur judiciaire, prévoyant le licenciement des soixante-dix-neuf salariés de la société Clinique Paris Montmartre. Mme B..., salariée protégée, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 octobre 2015 par laquelle le ministre chargé du travail a autorisé son licenciement pour motif économique. Par un jugement du 15 mai 2017, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision. La SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Clinique Paris Montmartre, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 novembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement.

2. D'une part, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 641-4 du code de commerce : " Les licenciements auxquels procède le liquidateur en application de la décision ouvrant ou prononçant la liquidation, le cas échéant au terme du maintien provisoire de l'activité autorisé par le tribunal, sont soumis aux dispositions de l'article L. 1233-58 du code du travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-58 du code du travail dans sa version applicable au litige : " I. En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en oeuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. (...) II. Pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés, l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 est validé et le document mentionné à l'article L. 1233-24-4, élaboré par l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, est homologué dans les conditions fixées aux articles L. 1233-57-1 à L. 1233-57-3, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1233-57-4 et à l'article L. 1233-57-7. (...). / Les délais prévus au premier alinéa de l'article L. 1233-57-4 sont ramenés, à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise, à huit jours en cas de redressement judiciaire et à quatre jours en cas de liquidation judiciaire. / L'employeur, l'administrateur ou le liquidateur ne peut procéder, sous peine d'irrégularité, à la rupture des contrats de travail avant la notification de la décision favorable de validation ou d'homologation, ou l'expiration des délais mentionnés au deuxième alinéa du présent II. (...).". Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code, dans sa version applicable au litige : " En l'absence d'accord collectif (...), l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : / 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; / 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; / 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1 ". Aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail dans sa version applicable au litige : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile. ".

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient (...) ".

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail que, pour apprécier si l'employeur ou le liquidateur judiciaire a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique d'un salarié protégé doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Toutefois, lorsque le licenciement projeté est inclus dans un licenciement collectif qui requiert l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel comprend, en application de l'article L. 1233-61 du code du travail, un plan de reclassement, et que ce plan est adopté par un document unilatéral, l'autorité administrative, si elle doit s'assurer de l'existence, à la date à laquelle elle statue sur cette demande, d'une décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, à défaut de laquelle l'autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée, ne peut ni apprécier la validité du plan de sauvegarde de l'emploi ni, plus généralement, procéder aux contrôles mentionnés à l'article L. 1233-57-3 du code du travail qui n'incombent qu'au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi compétemment saisi de la demande d'homologation du plan. Il ne lui appartient pas davantage, dans cette hypothèse, de remettre en cause le périmètre du groupe de reclassement qui a été déterminé par le plan de sauvegarde de l'emploi pour apprécier s'il a été procédé à une recherche sérieuse de reclassement du salarié protégé.

5. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'en jugeant que le liquidateur judiciaire de la société Clinique Paris Montmartre avait manqué à son obligation de recherche sérieuse de reclassement de Mme B... aux motifs que la société Kapa Santé devait être regardée, à ce titre, comme faisant partie du même groupe que la société Clinique Paris Montmartre, compte tenu de la persistance de liens étroits avec celle-ci et de son organisation, ses activités et son lieu d'exploitation, et que la recherche de reclassement interne n'avait pas été étendue à la société Kapa Santé, alors que le périmètre du reclassement interne arrêté dans le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de la société Clinique Paris Montmartre homologué par l'autorité administrative n'incluait pas la société Kapa Santé, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à qu'une somme soit mise à la charge de la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 13 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias et par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias et à Mme A... B....
Copie en sera adressée à ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.


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