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Ariane Web: Conseil d'État 442698, lecture du 10 mai 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:442698.20220510

Décision n° 442698
10 mai 2022
Conseil d'État

N° 442698
ECLI:FR:CECHR:2022:442698.20220510
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Flavie Le Tallec, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public


Lecture du mardi 10 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 442698, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 août 2020 et 19 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du 30 juin 2020 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2020-41 du 22 janvier 2020 fixant le périmètre du territoire de la métropole européenne de Lille sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;

2°) d'annuler ce décret.



2° Sous le n° 442699, par une requête, enregistrée le 12 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat et deux mémoires en réplique enregistrés le 19 janvier 2022, l'association UNPI Nord de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du 30 juin 2020 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation du même décret ;

2°) d'annuler ce même décret.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du I de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " A titre expérimental et pour une durée de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, dans les zones mentionnées à l'article 17 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d'habitat, la commune de Paris, les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, la métropole de Lyon et la métropole d'Aix-Marseille-Provence peuvent demander qu'un dispositif d'encadrement des loyers régi par le présent article soit mis en place./ Sur proposition du demandeur transmise dans un délai de deux ans à compter de la publication de la loi, un décret détermine le périmètre du territoire de la collectivité demandeuse sur lequel s'applique le dispositif, lorsque les conditions suivantes sont réunies :/ 1° Un écart important entre le niveau moyen de loyer constaté dans le parc locatif privé et le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif social ;/ 2° Un niveau de loyer médian élevé ;/ 3° Un taux de logements commencés, rapporté aux logements existants sur les cinq dernières années, faible ;/ 4° Des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements inscrites dans le programme local de l'habitat et de faibles perspectives d'évolution de celles-ci./ Pour chaque territoire ainsi délimité, le représentant de l'Etat dans le département fixe, chaque année, par arrêté, un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logements et par secteur géographique (...) ". Les III et VI du même article encadrent, au regard des loyers de référence définis au I, les modalités de détermination et d'évolution des loyers, lors de la conclusion du bail et à l'occasion de son renouvellement. Le décret contesté du 22 janvier 2020 a été pris en application de ces dispositions et dispose, en son article 1er, que : " Le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 est mis en place sur le territoire de la commune de Lille ".

2. L'association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord et l'association UNPI Nord de France demandent l'annulation, d'une part, des décisions implicites du Premier Ministre rejetant leurs demandes tendant à l'abrogation de ce décret. Elles demandent également l'annulation de ce décret. Ces deux requêtes présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

3. Le syndicat UNIS justifie d'un intérêt suffisant à l'abrogation et à l'annulation du décret attaqué. Son intervention au soutien de chacune des deux requêtes est, par suite, recevable.

Sur la légalité externe :

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la métropole européenne de Lille a, par une délibération du 5 avril 2019, autorisé son président à demander à l'Etat la mise en place d'un dispositif expérimental d'encadrement des loyers et que la demande a été présentée par M. Habsebroeck, vice-président auquel le président de la communauté avait, sur le fondement de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales, délégué ses fonctions en matière de logement et d'habitat. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le décret contesté serait intervenu au vu d'une demande irrégulière.

5. En deuxième lieu, en l'absence de tout texte fixant la composition du dossier de la demande adressée à l'Etat, le moyen tiré de ce que le décret contesté serait irrégulier, faute pour la métropole de Lille d'avoir transmis au ministre un dossier de candidature complet, est inopérant. Par ailleurs, la seule circonstance que le dossier de demande aurait été transmis par la métropole européenne de Lille en deux temps successifs n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ce décret.

Sur la légalité interne :

6. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Premier ministre se serait cru tenu de prendre, sur la demande de la métropole européenne de Lille, le décret contesté, sans procéder à l'examen des conditions posées par l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 cité ci-dessus.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que dans la commune de Lille, qui rassemble près de 50% du parc locatif privé de la métropole, le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif privé est plus de deux fois supérieur à celui du parc social, ce qui constitue un écart important, que le niveau du loyer (13 euros par mètre carré en 2017) est élevé au regard notamment du niveau des loyers de l'ensemble de la métropole, que le taux de logements commencés rapporté aux logements existants, qui ne dépasse pas 1,2% sur la période 2011-2016, soit l'un des plus bas des grandes villes françaises excepté Paris, est faible et que la production effective de logement présente, en raison de la densité de logements sur le territoire communal, troisième le plus élevé de France après Paris et Lyon, des perspectives limitées. Par suite, les requérantes, qui se bornent à alléguer que ces données seraient contestables et que des données actualisées auraient été nécessaires, ne sont pas fondées à soutenir que le décret litigieux a fait une inexacte application des dispositions du I de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018.

8. Enfin, les moyens tirés de ce que le décret contesté serait illégal en raison de la méconnaissance de modifications statutaires de l'agence départementale d'information sur le logement (ADIL) Nord-Pas de Calais et de ce que ce décret porterait atteinte aux principes d'égalité et de sécurité juridique ne sont pas assortis des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par la ministre de la transition écologique, les requêtes de l'association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord et de l'association UNPI Nord de France doivent être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions du syndicat UNIS sont admises.

Article 2 : Les requêtes de l'association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord et de l'association UNPI Nord de France sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord, à l'association UNPI Nord de France, au syndicat UNIS, au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, au ministre de la transition écologique, au Premier ministre et à la métropole européenne de Lille.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 mars 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Denis Piveteau, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Jean-Philippe Mochon, Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 10 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Flavie Le Tallec
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras