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Ariane Web: Conseil d'État 469677, lecture du 26 décembre 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:469677.20221226

Décision n° 469677
26 décembre 2022
Conseil d'État

N° 469677
ECLI:FR:CEORD:2022:469677.20221226
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
BARDOUL, avocats


Lecture du lundi 26 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Mme E... A..., épouse C..., et M. D... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet d'Ile-de-France, préfet de Paris, de leur attribuer un hébergement d'urgence dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2224711 du 2 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France de proposer à Mme A... et à M. C... un hébergement d'urgence pouvant les accueillir dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification cette ordonnance.

Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... et M. C... en première instance.


Elle soutient que :
- l'absence de prise en charge des intéressés ne saurait caractériser une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre du droit à l'hébergement d'urgence dès lors que, eu égard aux moyens dont il dispose, l'Etat a accompli des efforts significatifs pour accroître la capacité d'hébergement d'urgence dans le département de Paris et en Île-de-France ;
- les refus de prise en charge qui ont été opposés aux intéressés sont uniquement dus à la nécessité de protéger prioritairement des familles en plus grande détresse, notamment celles composées d'enfants en très bas âge et privés d'hébergement depuis plus longtemps que les requérants alors qu'il n'est pas établi qu'ils seraient sans ressources financières, ayant l'autorisation de travailler.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2022, Mme A... et M. C... concluent, à titre principal, au non-lieu à statuer, la préfecture leur ayant attribué un hébergement d'urgence en exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris, et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 20 décembre 2022, la Fondation Abbé B... pour le logement des défavorisés demande au juge des référés de rejeter la requête de la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement, et d'autre part, Mme A... et M. C... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 20 décembre 2022, à 15 heures :

- Me Bardoul, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... et M. C... ;

- le représentant de Mme A... et M. C... ;
- Mme A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction jusqu'au 22 décembre 2022 à 12 heures.

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 21 décembre 2022, présenté par la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement qui persiste dans ses précédentes conclusions ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 21 décembre 2022, présenté par Mme A... et M. C... qui persistent dans leurs précédentes conclusions ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

Sur l'intervention de la Fondation Abbé B... pour le logement des défavorisés :
2. L'association Fondation Abbé B... pour le logement des défavorisés justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Son intervention est dès lors recevable.
Sur l'appel de la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement :

3. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse (...) ". L'article L. 345-2-2 du même code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. (...) ". Aux termes de son article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

4. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Mme A... et M. C... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France de leur attribuer un hébergement d'urgence. La délégation interministérielle à l'hébergement et au logement relève appel de l'ordonnance du 2 décembre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à leur demande.

6. D'une part, contrairement à ce qui est soutenu en défense, la circonstance que, en exécution de l'ordonnance attaquée, le préfet de la région d'Ile-de-France a attribué un hébergement d'urgence à Mme A... et M. C... n'est pas de nature à priver d'objet l'appel formé par la délégation requérante.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que Mme A..., de nationalité française, et M. C..., de nationalité sénégalaise et titulaire d'une carte de résident, sont sans abri, ne disposant pas de moyen de subsistance alors même qu'ils sont en mesure de travailler, comme Mme A... l'a indiqué à l'audience. Alors que Mme A... est enceinte de quelques semaines et qu'ils ont trois enfants âgés de 7, 6 et 4 ans, ils n'ont pu bénéficier que de quelques nuits d'hébergement d'urgence. Toutefois, malgré les efforts de l'Etat pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Ile-de-France, l'ensemble des besoins les plus urgents, en constante augmentation, ne peut être satisfait. Tel est notamment le cas pour les familles avec des enfants alors même que par une instruction du 10 novembre 2022, le ministre chargé de la ville a mis en place un plan d'urgence " enfants à la rue " pour la période hivernale. Si le plan " Grand froid " déclenché le 12 décembre 2022 a permis de disposer de 399 places supplémentaires d'hébergement à Paris à la date du 20 décembre, ces dernières demeurent insuffisantes. Le 115 a ainsi reçu 14 464 appels le 19 décembre mais seuls 903 ont obtenu une réponse. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, rien ne permet de remettre en cause ces chiffres.

8. Le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne peut, compte tenu du cadre temporel dans lequel il se prononce, ordonner que des mesures utiles en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises. Il s'ensuit qu'en l'état de l'instruction et eu égard à cet office du juge des référés, le refus du préfet de procurer un hébergement d'urgence à Mme A... et M. C... ne révèle pas, compte-tenu de la présence de familles encore plus vulnérables dans un contexte de saturation des hébergements d'urgence, une situation justifiant que soit ordonné, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence, de prendre les mesures pour mettre à l'abri cette famille. Il s'ensuit que la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée. La demande présentée par Mme A... et M. C... afin de bénéficier d'un hébergement d'urgence, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance comme en appel, ne peut par suite qu'être rejetée.



O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Fondation Abbé B... pour le logement des défavorisés est admise.
Article 2 : L'ordonnance du 2 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 3 : La demande présentée par Mme A... et M. C... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris ainsi que leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement et à Mme E... A..., première dénommée.
Copie en sera adressée à la Fondation Abbé B... pour le logement des défavorisés.
Fait à Paris, le 26 décembre 2022
Signé : Nathalie Escaut