Le juge des référés du Conseil d’État refuse de suspendre une mesure d’assignation à résidence.
Après les attentats commis à Paris le 13 novembre dernier, l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955 a été déclaré par décret en conseil des ministres. Il a été prorogé, pour une durée de 3 mois à compter du 26 novembre, par la loi du 20 novembre 2015. Cette loi a également modifié la loi du 3 avril 1955, en particulier son article 6, qui permet au ministre de l’intérieur d’assigner certaines personnes à résidence.
Sur le fondement de cet article, le ministre de l’intérieur a assigné une personne sur le territoire de la commune de Bobigny. Cette personne a alors contesté la mesure d’assignation en présentant un référé-liberté devant le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil. La procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures.
Le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil ayant rejeté sa demande, la personne assignée à résidence a fait appel devant le juge des référés du Conseil d’État. Le juge des référés du Conseil d’État a tenu une première audience publique le jeudi 17 décembre. A la suite de cette audience, il a décidé de prolonger l’instruction afin que chaque partie précise son argumentation et lui fournisse davantage d’éléments. Au vu des éléments produits durant ce supplément d’instruction, il a tenu une seconde audience publique, le 22 décembre. L’instruction écrite et orale a ainsi permis que tous les éléments du dossier soient discutés par les parties, en particulier les faits relatés par les « notes blanches » produites par le ministre de l’intérieur, qu’aucune loi ni aucun principe n’interdit au juge administratif de prendre en considération.
Dans l’ordonnance qu’il a rendue aujourd’hui, le juge des référés du Conseil d’État relève que la décision d’assignation à résidence est fondée sur les éléments mentionnés dans une « note blanche » des services de renseignement. Celle-ci indique que le requérant est un militant de la cause islamiste radicale depuis plusieurs années ; qu’il a attiré l’attention pour être un fervent partisan de la mort en martyr et de l’instauration de la charia ; qu’il est très proche d’une personne connue comme prosélyte radical ; que le restaurant qu’il exploite est réputé pour abriter régulièrement des réunions de militants islamistes radicaux ; et qu’il participe au recrutement de jeunes présentant un profil de jihadistes potentiels, qu’il incite à rejoindre les rangs du groupement terroriste Daesh dans la zone irako-syrienne.
Le requérant a contesté la réalité de ces éléments et produit des témoignages attestant d’une vie professionnelle et familiale paisible et d’une bonne intégration dans la société française. Toutefois, à la suite du supplément d’instruction décidé à l’issue de la première audience publique, le ministre de l’intérieur a apporté des précisions sur les motifs retenus pour décider l’assignation à résidence du requérant, en produisant notamment une seconde « note blanche ». Le ministre a en particulier fait valoir que, contrairement à ce qu’il avait déclaré au cours de l’audience, le requérant entretient avec une personne connue comme un prosélyte radical des liens qui ne se limitent pas aux rapports de l’exploitant d’un restaurant avec ses clients. Il a indiqué que le requérant avait ainsi effectué avec cette personne des voyages à l’étranger.
Le juge des référés du Conseil d’État souligne qu’il est apparu au cours de la seconde audience publique qu’il a tenue qu’au moins l’un de ces voyages est certain : le requérant s’est effectivement rendu en Arabie saoudite en même temps que la personne connue comme un prosélyte radical et, contrairement à ce qu’il avait initialement prétendu, ils ne s’étaient pas rencontrés fortuitement dans l’avion mais avaient pris au préalable la décision de voyager ensemble.
En l’état du dossier et eu égard à l’ensemble de ces éléments, le juge des référés du Conseil d’État estime donc que l’assignation à résidence du requérant ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il rejette par conséquent l’appel dont il était saisi.