Le juge des référés du Conseil d’État rejette les demandes de suspension de cinq décrets portant déchéance de nationalité de personnes condamnées pour actes de terrorisme.
> Lire l'ordonnance 394349
> Lire l'ordonnance 394351
> Lire l'ordonnance 394353
> Lire l'ordonnance 394355
> Lire l'ordonnance 394357
L’essentiel :
Cinq personnes ayant fait l’objet, le 7 octobre dernier, de décrets de déchéance de nationalité en raison de leur condamnation pour actes de terrorisme ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de prononcer la suspension de ces mesures.
Le juge des référés a estimé, au vu de l’argumentation des requérants, qu’il n’existait pas de doute sérieux sur la légalité de ces décrets. Il a donc refusé de faire droit à ces demandes de suspension.
Les faits et la procédure :
Par cinq décrets du 7 octobre 2015, le Premier ministre a déchu de la nationalité française cinq personnes qui avaient été condamnées pour des actes de terrorisme commis entre 1995 et 2004. Ces cinq personnes ont, chacune en ce qui la concerne, demandé au Conseil d’État l’annulation de ces décrets. Dans l’attente du jugement au fond, elles ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre les décrets.
La procédure du référé-suspension, régie par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, permet en effet d’obtenir dans un bref délai la suspension d’un acte administratif en attendant que le juge se prononce définitivement sur sa légalité lorsque deux conditions sont simultanément réunies : il faut qu’il y ait une situation d’urgence justifiant la suspension et qu’il y ait un doute sérieux sur la légalité de la décision administrative contestée.
L’article 25 du code civil permet au Premier ministre de déchoir de la nationalité française certaines personnes qui ont acquis cette nationalité et qui en possèdent une autre. Cette déchéance peut notamment être prononcée lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. Avant la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, la déchéance était encourue, dans ce cas, lorsque les actes de terrorisme avaient été commis avant l’acquisition de la nationalité ou dans les dix ans suivant cette acquisition ; et elle ne pouvait être prononcée que dans les dix ans suivant la commission des faits. Ces deux délais de 10 ans ont été portés à 15 ans par la loi du 23 janvier 2006.
La déchéance est prononcée par décret du Premier ministre, après avis conforme du Conseil d’État ; l’avis est rendu par une formation consultative du Conseil d’État, indépendante de ses formations de jugement.
La décision du juge des référés du Conseil d’État :
En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté les cinq demandes de suspension en estimant que l’argumentation qui lui était soumise n’était pas, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décrets.
Il a relevé que chacun des requérants avait été condamné sur le fondement de l’article 421-2-1 du code pénal, qui prévoit que la participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d’un acte de terrorisme constitue, en elle-même, un acte de terrorisme. Il a donc estimé qu’il n’y avait pas de doute sérieux sur le fait que l’article 25 du code civil était bien applicable à la situation des requérants.
Il a également estimé que l’allongement de 10 à 15 ans du délai dans lequel, après la commission des faits, le Premier ministre peut prononcer la déchéance de nationalité, était applicable dès l’entrée en vigueur de la loi de 2006, même si les actes de terrorisme avaient été commis avant cette loi. Il en a déduit qu’il n’existait pas de doute sérieux sur le fait que le Premier ministre avait bien agi dans le délai applicable et qu’il n’avait pas méconnu le principe de non rétroactivité de la loi pénale.
Par ailleurs, il a relevé que le prononcé de cette déchéance de nationalité ne poursuit pas le même objectif que la condamnation pénale des intéressés pour les actes de terrorisme. Il a donc estimé que la critique des requérants, qui soutenaient que le principe selon lequel nul ne peut être condamné pénalement deux fois pour les mêmes faits avait été méconnu, ne faisait pas sérieusement douter de la légalité des décrets.
Enfin, après avoir relevé que le suivi d’une procédure contradictoire avait été respecté dans chacun des cas, il a estimé qu’en raison de la nature et de la gravité des faits reprochés à chacun des cinq requérants, il n’existait pas, en l’état de l’instruction, de doute sérieux quant à l’appréciation portée par le Gouvernement en décidant de prononcer les déchéances de nationalité.
Le juge des référés du Conseil d’État a donc refusé de suspendre les décrets contestés. Ceux-ci demeurent par conséquent applicables jusqu’à ce que le Conseil d’État se prononce définitivement sur leur légalité.