Le Conseil d’État confirme une décision par laquelle l’Autorité de la concurrence a autorisé une opération de concentration dans le secteur de la distribution de gaz de pétrole liquéfié (GPL), pour trois des quatre marchés en cause. Il annule, en revanche, cette décision pour ce qui concerne l’un de ces marchés.
L’essentiel :
L’Autorité de la concurrence avait autorisé la société UGI Bordeaux Holding à acquérir la totalité du capital de la société Totalgaz SAS, sous réserve de l’exécution de plusieurs engagements visant à remédier aux effets anticoncurrentiels de cette opération de concentration. Deux entreprises concurrentes de l’entité issue de l’opération de concentration contestaient la décision de l’Autorité de la concurrence.
Après une instruction approfondie, le Conseil d’État censure l’analyse concurrentielle menée par l’Autorité de la concurrence en ce qui concerne l’un des quatre marchés concernés par l’opération de concentration. L’Autorité de la concurrence devra donc compléter son analyse concurrentielle sur ce point. Le Conseil d’État estime également que les engagements ayant trait au point censuré de l’analyse concurrentielle ne suffisent pas à garantir le maintien d’une concurrence suffisante sur le marché concerné. L’Autorité de la concurrence devra réexaminer s’il y a lieu de compléter sa décision en conséquence.
En ce qui concerne les trois autres marchés concernés par l’opération de concentration, le Conseil d’État rejette les critiques, tant sur l’analyse concurrentielle que sur les engagements.
Les faits et la procédure :
En 2014, la société UGI Bordeaux Holding (UGI), qui contrôlait déjà la société Antargaz, active dans le secteur de la distribution de gaz de pétrole liquéfié (GPL), a décidé d’acquérir la totalité du capital de la société Totalgaz SAS (Totalgaz), laquelle fait partie du groupe Total et est également active dans ce secteur.
Par une décision n° 15-DCC-53 du 15 mai 2015, l’Autorité de la concurrence a autorisé cette opération de concentration sous réserve de l’exécution de plusieurs engagements pris par les parties à cette opération et visant à remédier aux effets anticoncurrentiels de celle-ci. Pour trois de ces engagements, l’Autorité de la concurrence avait accepté de prendre en compte deux « engagements alternatifs », c’est-à-dire des engagements appelés à se substituer aux engagements principaux dans l’hypothèse où ceux-ci se révèleraient insuffisamment certains. Elle avait occulté le contenu de ces deux « engagements alternatifs » dans sa décision.
Les sociétés Compagnie des gaz de pétrole Primagaz (Primagaz) et Vitogaz France (Vitogaz), qui constituent, avec la société Butagaz, les principales entreprises concurrentes de l’entité issue de l’opération de concentration, ont toutes les deux demandé au Conseil d’État d’annuler cette décision.
En parallèle de leur demande d’annulation, elles avaient demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre la décision. Par une ordonnance du 9 juillet 2015 (n° 390454, 390772), le juge des référés, après avoir tenu une audience, avait pour l’essentiel rejeté la demande de suspension : les sociétés requérantes n’étaient pas dans une situation d’urgence telle qu’elles ne puissent pas attendre que le Conseil d’État se prononce définitivement sur la légalité de la décision après une instruction complète.
Dans le cadre de l’instruction des demandes d’annulation, le Conseil d’État a ordonné une « enquête à la barre » (art. R. 623-1 et suivants du code de justice administrative). Une audience d’instruction s’est donc tenue le 28 janvier 2016 et a permis aux parties et au juge d’instaurer un dialogue approfondi. Le Conseil d’État a ensuite, après une première audience de jugement, rendu une première décision le 15 avril 2016, par laquelle il a invité l’Autorité de la concurrence à verser au débat contradictoire le contenu des deux « engagements alternatifs » occultés dans sa décision. Celle-ci y a procédé et, après de nouveaux échanges de mémoire entre les parties, le Conseil d’État a tenu une nouvelle audience de jugement le 22 juin 2016. Par la décision rendue aujourd’hui, il s’est prononcé définitivement sur la légalité de la décision de l’Autorité de la concurrence.
La décision du Conseil d’État :
Dans la décision qu’il a rendue aujourd’hui, le Conseil d’État commence par rejeter les critiques dirigées contre la régularité de la procédure suivie par l’Autorité de la concurrence.
Il examine ensuite l’analyse concurrentielle à laquelle l’Autorité de la concurrence a procédé. En effet, lorsqu’elle est saisie d’une opération de concentration, l’Autorité de la concurrence doit caractériser les effets anticoncurrentiels de cette opération et apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés qu’elle affecte, à partir d’une analyse prospective.
En l’espèce, l’Autorité de la concurrence a distingué quatre marchés de produits : la distribution de GPL combustible en moyen et gros vrac, la distribution de GPL combustible en petit vrac, la distribution de GPL combustible conditionné en bouteilles et la distribution de GPL utilisé comme carburant.
Pour trois de ces marchés (distribution de GPL combustible en moyen et gros vrac, distribution de GPL combustible conditionné en bouteilles, distribution de GPL utilisé comme carburant), le Conseil d’État rejette les critiques contre l’analyse concurrentielle de l’Autorité de la concurrence.
En revanche, pour le quatrième marché, celui de la distribution de GPL combustible en petit vrac, le Conseil d’État juge que l’Autorité de la concurrence a commis une erreur d’appréciation : le champ de l’analyse concurrentielle à laquelle elle s’est livrée n’est pas suffisamment large. Le Conseil d’État annule donc la décision de l’Autorité de la concurrence à cet égard. L’Autorité de la concurrence devra compléter son analyse concurrentielle sur ce point précis.
Le Conseil d’État examine ensuite les engagements des parties à l’opération de concentration. En effet, lorsque l’Autorité de la concurrence subordonne une autorisation de concentration au respect d’engagements, ces engagements doivent être proportionnés à ce qu’exige le maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l’opération.
Le Conseil d’État estime que les engagements ayant trait au point censuré de l’analyse concurrentielle ne suffisent pas à garantir le maintien d’une concurrence suffisante sur le marché concerné. Il annule donc à cet égard la décision de l’Autorité de la concurrence. L’Autorité de la concurrence devra donc réexaminer s’il y a lieu, sur ce point précis, de compléter sa décision en la subordonnant à de nouveaux engagements ou en l’assortissant de prescriptions ou d’injonctions dans la mesure nécessaire au maintien d’une concurrence suffisante.
Le Conseil d’État rejette en revanche les critiques relatives aux autres engagements, qu’il estime suffisants.