Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

2123
 
  CONDITIONS D’ADMISSION À L’AIDE SOCIALE  
 

Mots clés : Revenu minimum d’insertion - Convention internationale - Conditions de territorialité
 

Dossier no 982318

M. S...
Séance du 5 mai 2000

Décision lue en séance publique le 10 mai 2000

    Vu le recours formé le 10 août 1998 par Maître M..., avocat, au nom de M. Vicenzo S..., tendant :
    1o A l’annulation de la décision du 10 avril 1998 par laquelle la commission départementale d’aide sociale du Pas-de-Calais a confirmé la décision préfectorale du 8 juin 1997 lui refusant le bénéfice de l’allocation de revenu minimum d’insertion au motif que l’intéressé ne remplit pas les conditions de séjour ouvrant droit au versement de l’allocation à une personne de nationalité étrangère ;
    2o A ce que l’Etat soit condamné à lui verser une somme de 8 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
    Le requérant soutient qu’un étranger assigné à résidence par arrêté du ministre de l’intérieur se trouve en situation de séjour régulier sur le territoire national, comme l’a jugé la chambre criminelle de la cour de cassation dans son arrêt Pajaziti Envers du 18 septembre 1991 ; que c’est à tort que la commission départementale d’aide sociale a jugé que l’arrêté préfectoral du 15 octobre 1993 fixant les lieux et modalités de son assignation à résidence ne l’autorisait pas à travailler, alors qu’était contestée la légalité de la décision du 3 juillet 1997 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé de modifier les conditions de cette assignation ; que cette décision du 3 juillet 1997 a été annulée par un jugement du 7 mai 1998 du tribunal administratif de Lille ; que l’arrêté préfectoral du 15 octobre 1993 méconnaît le principe d’égalité de traitement entre les ressortissants communautaires en lui interdisant de travailler alors que le droit au travail d’un ressortissant communautaire résidant sur le territoire d’un Etat membre découle de son droit de séjour ; que le refus de lui verser l’allocation de revenu minimum d’insertion introduit, au regard du principe d’égalité de traitement des ressortissants communautaires, une discrimination qui ne saurait justifier aucune considération d’ordre public ; que l’impossibilité dans laquelle il se trouve de se procurer des revenus d’existence trouve son origine exclusive dans l’interdiction que lui fait le préfet de travailler ;
    Vu le nouveau mémoire, présenté le 31 août 1999 par Me M..., avocat, au nom de M. S..., qui conclut aux mêmes fins que le recours, par les mêmes moyens ;
    Il soutient en outre que la Cour de justice des communautés européennes a jugé qu’en application des dispositions de l’article 4 du règlement no 1408-71, un Etat membre ne peut exiger d’un ressortissant d’un autre Etat membre qu’il produise une carte de séjour en bonne et due forme, délivrée par l’administration nationale, pour bénéficier d’une prestation sociale ; qu’une telle carte de séjour n’a qu’une valeur déclaratoire et probante de la régularité du séjour ;
    Vu le nouveau mémoire, présenté le 16 novembre 1999 par Me M..., au nom de M. S..., qui conclut aux mêmes fins que le recours, par les mêmes moyens, et à ce que lui soit alloué une somme de 20 000 F en réparation du préjudice né de la méconnaissance des stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux termes desquelles toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ;
    Il soutient en outre que la combinaison de l’interdiction qui lui est faite de travailler et du refus de lui accorder le bénéfice de l’allocation de revenu minimum d’insertion est constitutive d’un traitement inhumain et d’une discrimination prohibés par les articles 3 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
    Vu la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu la loi no 88-1088 du 1er décembre 1988 et les décrets subséquents ;
    Vu la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;
    Vu la lettre du 17 avril 2000 invitant le requérant à présenter ses observations orales devant la juridiction ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 5 mai 2000 M. Olleon, rapporteur, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi susvisée du 1er décembre 1988 : « Toute personne résidant en France dont les ressources, au sens des articles 9 et 10, n’atteignent pas le montant du revenu minimum à l’article 3, qui est âgée de plus de vingt cinq ans ou assume la charge d’un ou plusieurs enfants nés ou à naître et qui s’engage à participer aux actions ou activités définies avec elle, nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle, a droit, dans les conditions prévues par la présente loi, à un revenu minimum d’insertion » ; qu’aux termes de l’article 8 de la même loi : « les étrangers titulaires de la carte de résident ou du titre de séjour prévu au troisième alinéa de l’article 12 de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, ou encore d’un titre de même durée que ce dernier et conférant des droits équivalents, sous réserve d’avoir satisfait sous ce régime aux conditions prévues au premier alinéa de l’article 14 de ladite ordonnance, ainsi que les étrangers titulaires d’un titre de séjour prévu par les traités ou accords internationaux et conférant des droits équivalents à ceux de la carte de résident, peuvent prétendre au revenu minimum d’insertion » ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. S..., de nationalité italienne, a fait l’objet le 15 octobre 1993 d’un arrêté du ministre de l’intérieur l’expulsant du territoire français ; que l’intéressé a, par un second arrêté du même jour, été assigné à résider dans le Pas-de-Calais jusqu’au moment où il lui serait possible de déférer à l’arrêté d’expulsion ; que l’arrêté du 15 octobre 1993 du préfet du Pas-de-Calais, modifié le 19 décembre 1994, qui astreint M. S... à demeurer dans la ville d’Arras, ne l’autorise pas à travailler ; que l’intéressé a déposé le 22 mai 1997 une demande tendant à obtenir le bénéfice de l’allocation de revenu minimum d’insertion ; que cette demande a été rejetée par le préfet le 8 juin 1997, au motif que l’intéressé ne remplissait pas les conditions de séjour des personnes de nationalité étrangère ;
    Considérant qu’il résulte des dispositions susrappelées qu’indépendamment du respect des autres conditions posées par la loi du 1er décembre 1988 et sous réserve de l’incidence des engagements internationaux introduits dans l’ordre juridique interne, une personne de nationalité étrangère doit, pour se voir reconnaître le bénéfice du revenu minimum d’insertion, être titulaire, à la date du dépôt de sa demande, soit d’une carte de résident ou d’un titre de séjour prévu par un accord international et conférant des droits équivalents, soit, à défaut, d’un titre de séjour l’autorisant à exercer une activité professionnelle pour autant que l’intéressé justifie en cette qualité d’une résidence ininterrompue de trois années sur le territoire français ;
    Considérant que la seule circonstance que M. S... ait été, à la date du dépôt de sa demande, sous le coup d’un arrêté ministériel l’expulsant du territoire français suffit à le faire regarder comme ne satisfaisant pas aux conditions de séjour posées par les dispositions de l’article 8 de la loi du 1er décembre 1988 ; qu’ainsi, le moyen tiré par le requérant de ce que l’arrêté préfectoral du 15 octobre 1993 méconnaîtrait, en lui interdisant de travailler, le principe d’égalité de traitement entre les ressortissants communautaires est, en l’espèce, inopérant ;
    Considérant que le requérant soutient que le refus de l’autorité administrative de lui ouvrir droit à l’allocation de revenu minimum d’insertion introduit, au regard du principe d’égalité des ressortissants communautaires, une discrimination que ne saurait justifier d’aucune considération d’ordre public ; qu’à supposer même que l’allocation de revenu minimum d’insertion relève du domaine d’application du droit communautaire, le respect du principe d’égalité de traitement s’apprécie, à l’intérieur d’un Etat membre, entre les nationaux et les ressortissants d’un autre Etat membre autorisés à résider sur le territoire du premier ; que le requérant, qui faisait, à la date du dépôt de sa demande, l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire français, ne peut en tout état de cause, être regardé comme séjournant régulièrement en France au sens des stipulations du traité instituant la communauté européenne, et n’est, par suite, pas fondé à se prévaloir de ce principe ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; que la décision par laquelle le préfet a refusé d’accorder à M. S... le bénéfice de l’allocation de revenu minimum d’insertion ne peut être assimilée à un traitement prohibé par ces stipulations ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ; qu’il résulte des termes mêmes de cet article que le principe de non discrimination qu’il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par ladite convention et par les protocoles additionnels à celle-ci ; que, dès lors, il appartient au requérant qui se prévaut de la violation de ce principe de désigner le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée ; que M. S... ne précise pas le droit ou la liberté, reconnus par la convention, qui seraient méconnus par la discrimination qu’il invoque ; que, par suite, il doit être regardé comme n’entrant pas, en tout état de cause, dans les prévisions des stipulations de l’article 14 de la convention et ne peut utilement s’en prévaloir ;
    Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. S... n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision attaquée de la commission départementale d’aide sociale du Pas-de-Calais ;
    Sur les conclusions de M. S... tendant à ce qui lui soit allouée une somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts ;
    Considérant qu’il n’appartient pas à la commission centrale d’aide sociale de statuer sur ces conclusions ;
    Sur les conclusions de M. S... tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
    Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamner à verser à M. S... la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens,

Décide

    Art. 1er. - Le recours susvisé de M. Vicenzo S... est rejeté.
    Art. 2. - La présente décision sera transmise au ministre de l’emploi et de la solidarité à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 5 mai 2000 où siégeaient Mme Hackett, président, M. Vieu, assesseur, et M. Olleon, rapporteur.
    Décision lue en séance publique le 10 mai 2000.
    La République mande et ordonne au ministre de l’emploi et de la solidarité en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président Le rapporteur

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer