Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Conseil d’Etat statuant au contentieux
Dossier no 214252

M. Z.
Séance du 30 mars 2001Lecture du 25 avril 2001
    Vu la requête, enregistrée le 9 novembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. W. Z., demeurant à la Farlède (83210) ; M. Z. demande au Conseil d’Etat d’annuler sans renvoi la décision du 20 mai 1999 par laquelle la commission centrale d’aide sociale a annulé, à la demande du département du Var, la décision du 26 mars 1998 de la commission départementale d’aide sociale du Var et a maintenu la récupération des sommes avancées au titre de l’aide sociale sur l’actif successoral net de Mlle Z. pour un montant de 88 500,00F ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu le code du travail ;
    Vu le code de justice administrative ;
    Après avoir entendu en audience publique :
    -  le rapport de M. Eoche-Duval, maître des requêtes,
    -  les observations de maître Roger, avocat de M. Z., de la SCP Bore, Xavier et Bore, avocat de la fondation Jérôme-Lejeune et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l’UNAPEI ;
    -  les conclusions de Mme Boissard, commissaire du Gouvernement ;
    Considérant que M. W. Z. se pourvoit en cassation contre la décision en date du 20 mai 1999 par laquelle la commission centrale d’aide sociale a annulé, à la demande du département du Var, la décision en date du 26 mars 1998 de la commission départementale d’aide sociale du Var et a maintenu, en ce qui le concerne, la récupération sur la succession de sa sœur Mlle Y. Z. à hauteur du montant de l’actif net successoral, soit 88 500,00 F, des sommes avancées par le département au titre de l’aide sociale ;
    Sur les interventions de la fondation Jérôme-Lejeune et de l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI) :
    Considérant que la fondation Jérôme-Lejeune, d’une part, l’UNAPEI, d’autre part, ont intérêt à l’annulation de la décision attaquée ; que leurs interventions sont, par suite, recevables ;
    Sur la régularité de la décision de la commission centrale d’aide sociale en date du 20 mai 1999 :
    Considérant que le dernier alinéa de l’article 129 du code de la famille et de l’aide sociale repris à l’article L. 134-9 du code de l’action sociale et des familles dispose que : « Le demandeur, accompagné de la personne ou de l’organisme de son choix, est entendu lorsqu’il le souhaite » ; que ces dispositions imposent à la commission centrale d’aide sociale de mettre les parties à même d’exercer la faculté qui leur est ainsi reconnue ; qu’à cet effet, elle doit, soit avertir les parties de la date de la séance, soit les inviter à l’avance à lui faire connaître si elles ont l’intention de présenter des explications verbales pour qu’en cas de réponse affirmative de leur part, elle les avertisse ultérieurement de la date de la séance ; qu’aucune de ces formalités n’ayant été accomplie en l’espèce à son égard, M. Z., qui avait la qualité de partie à l’instance constituée par l’appel du département du Var devant la commission centrale d’aide sociale, est fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise à l’issue d’une procédure irrégulière et à en demander, par ce motif l’annulation ;
    Considérant qu’en vertu de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
    Sur l’appel formé par le département du Var contre la décision en date du 26 mars 1998 de la commission départementale d’aide sociale du Var :
    Considérant, d’une part, qu’en vertu des dispositions combinées des articles 164 et 165 du code de la famille et de l’aide sociale, figurant au chapitre V de ce code intitulé « Aide sociale aux personnes âgées », les frais d’hébergement des personnes âgées admises dans un établissement hospitalier ou une maison de retraite peuvent être prises en charge en tout ou partie par l’aide sociale ; que l’article 157 réserve le bénéfice de cette prise en charge aux personnes ne disposant pas de ressources suffisantes qui ont atteint l’âge de soixante cinq ans ; que cet âge peut être ramené à soixante ans lorsque la personne a été reconnue inapte au travail par la commission d’admission à l’aide sociale ;
    Considérant, d’autre part, qu’il résulte des dispositions de l’article 166 du code de la famille et de l’aide sociale, figurant au chapitre VI intitulé « Aide sociale aux personnes handicapées » que les prestations prévues au chapitre V peuvent être accordées aux personnes handicapées avant qu’elles n’aient atteint l’âge de soixante ans ; que ces dernières peuvent en particulier être accueillies dans l’un des établissements visés à l’article 164 et bénéficier, sans condition d’âge, de la prise en charge de leurs frais d’hébergement par l’aide sociale lorsque leurs ressources sont insuffisantes ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mlle Z., née le 31 juillet 1933, a été placée, non par une décision de la commission visée à l’article L. 323-11 du code du travail mais par une décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Toulon prise en application des dispositions de l’article 166 du code de la famille et de l’aide sociale, pour les périodes du 15 juillet 1992 au 30 janvier 1995, puis du 2 février 1995 jusqu’à son décès le 26 mai 1996, dans une maison de retraite habilitée à recevoir des personnes admises au titre de l’aide sociale dénommée « Le comité des œuvres sociales de la Résistance (COSOR) » ; que ses frais d’hébergement ont été pris en charge à hauteur de 186 025,00 F par le département du Var au titre de l’aide sociale ; qu’après le décès de Mlle Z., le département du Var a été autorisé, sur le fondement de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale dans sa rédaction applicable à la date du décès de l’intéressée, à procéder à la récupération de ces dépenses sur la succession, dont l’actif net se montait à 88 500,00 F ; que, toutefois, à la demande de l’un des héritiers, M. W. Z., frère de Mlle Z., la commission départementale d’aide sociale du Var a annulé cette décision en tant qu’elle concernait ce dernier ;
    Considérant qu’aucun texte ni aucun principe général n’impose à l’administration, lorsqu’elle accorde une prestation d’aide sociale, d’informer les successeurs éventuels du bénéficiaire de l’exercice possible d’un recours en récupération sur la succession de ce dernier ;
    Considérant dès lors que c’est à tort que, pour annuler la décision du 23 juin 1997 par laquelle la commission cantonale de l’aide sociale de Toulon a autorisé la récupération sur la succession de Mlle Z. d’une partie des sommes avancées au titre de l’aide sociale à celle-ci, la commission départementale d’aide sociale du Var s’est fondée sur le motif que M. W. Z. n’avait pas été informé des conséquences que pouvait avoir à son égard le placement de sœur en maison de retraite ;
    Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. W. Z. devant la commission départementale d’aide sociale du Var ;
    Considérant, en premier lieu, que si l’article 168 du code de la famille et de l’aide sociale prévoit, dans son cinquième alinéa, que les frais d’hébergement des personnes handicapées prises en charge par l’aide sociale ne peuvent faire l’objet d’un recours en récupération sur la succession du bénéficiaire lorsque les héritiers de ce dernier sont « son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé de façon effective et constante la charge du handicapé », ces dispositions ne trouvent à s’appliquer que lorsque la personne handicapée est accueillie dans l’un des établissements visés par cet article, c’est-à-dire « les foyers de rééducation professionnelle et d’aide par le travail ainsi que les foyers et les foyers-logement réservés aux personnes handicapées » ; que la maison de retraite du COSOR n’entre pas dans la champ d’application de cet article ; que M. W. Z. ne peut donc, alors même qu’il a assumé la charge effective et constante de sa sœur, utilement invoquer le bénéfice de ces dispositions ;
    Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l’article 39 de la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des handicapées, invoquées par M. W. Z. ont trait uniquement aux conditions de récupération des dépenses exposées au titre de l’allocation compensatrice pour tierce personne et ne trouvent donc pas à s’appliquer pour la récupération des frais d’hébergement ;
    Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 43 de la loi précitée du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées : « Il n’y a pas lieu à l’application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d’aide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé » ; que ces dispositions ont pour objet, par dérogation aux dispositions de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, de limiter l’exercice du recours en récupération pour l’ensemble des dépenses d’aide sociale exposées au titre du chapitre VI du même code relatif à « l’aide sociale aux personnes handicapées », issu de l’article 48 de la loi précitée du 30 juin 1975 ; qu’elles ne s’étendent pas cependant aux prestations d’aide sociale versées, dans les conditions du droit commun, notamment d’âge et de ressources, en application des autres chapitres du code ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la circonstance que M. W. Z. a assuré, au sens des dispositions de l’article 43 de la loi du 30 juin 1975, la charge effective et constante de sa sœur pendant toute la période correspondant à son hébergement dans l’établissement du COSOR, fait obstacle à l’exercice du recours en récupération en ce qui concerne les prestations d’aide sociale dont a bénéficié Mlle Z. au titre du chapitre VI du code de la famille et de l’aide sociale, c’est-à-dire la prise en charge des frais d’hébergement exposés jusqu’au 31 juillet 1993, date à laquelle elle a atteint l’âge de soixante ans ; qu’en revanche, cette circonstance est sans effet sur la récupération des prestations d’aide sociale versées à Mlle Z. dans les conditions du droit commun, et en particulier de celles correspondant à la prise en charge des frais d’hébergement exposés à partir du 31 juillet 1993, dont la récupération est régie, comme pour toutes les personnes âgées admises en établissement au titre de l’article 164 du code de la famille et de l’aide sociale, par les dispositions de l’article 146 de ce code ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment de l’examen des pièces comptables de l’établissement, que les frais d’hébergement de Mlle Z. à la maison de retraite « Le COSOR », pour la période postérieure au 31 juillet 1993, s’élèvent à un montant supérieur à celui de la part de l’actif net successoral revenant à M. W. Z., soit 44 250,00F ;
    Considérant que, pour l’application des dispositions du premier alinéa de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, il appartient aux juridictions d’aide sociale, statuant en qualité de juges de plein contentieux, de se prononcer sur le bien-fondé de l’action engagée par la collectivité publique d’après l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de leur propre décision ; qu’elles ont la faculté, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, d’aménager les modalités de cette récupération et, le cas échéant, d’en reporter les effets dans le temps ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction que la succession de Mlle Z. se compose exclusivement du tiers indivis d’un bien immobilier qui reste occupé par M. W. Z. ; qu’eu égard à la situation de ce dernier, il y a lieu, tout en autorisant l’exercice du recours en récupération, d’en reporter les effets jusqu’à la vente de ce bien immobilier ou, au plus tard, à la date du décès de M. W. Z. ;
    Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le département du Var est fondé à demander la réformation en ce sens de la décision de la commission départementale d’aide sociale en tant qu’elle concerne M. W. Z. ;

Décide

    Art. 1er. - Les interventions de la fondation Jérôme Lejeune et de l’UNAPEI sont admises.
    Art. 2. - La décision de la commission centrale d’aide sociale du 20 mai 1999 est annulée en tant qu’elle concerne M. W. Z..
    Art. 3. - Le département du Var est autorisé à procéder à la récupération des sommes exposées au titre de l’aide sociale attribuée à Mlle Z. sur la part de l’actif net successoral revenant à M. W. Z. à hauteur de 44 250,00 F.
    Article 4. - La récupération autorisée par l’article précédent est reportée jusqu’à la vente du bien immobilier composant la succession ou, au plus tard, à la date du décès de M. W. Z..
    Art. 5. - La décision de la commission départementale d’aide sociale du Var en date du 26 mars 1998 statuant sur le litige opposant M. W. Z. au département du Var est réformée en ce qu’elle a de contraire aux articles 3 et 4 de la présente décision.
    Art. 6. - Le surplus des conclusions de la requête de M. W. Z. devant le Conseil d’Etat et de la demande du département du Var devant la commission départementale d’aide sociale du Var est rejeté.
    Art. 7. - La présente décision sera notifiée à M. W. Z., à la fondation Jérôme-Lejeune, à l’Union nationale des associations des parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI), au département du Var et au ministre de l’emploi et de la solidarité.