Dispositions spécifiques aux différents types d’aide sociale  

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  COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE COMPLÉMENTAIRE  
 

Mots clés : Couverture maladie universelle (CMU) - Décision - Délai
 

Dossier no 002470

M. D...
Séance du 20 septembre 2001

Décision lue en séance publique le 2 novembre 2001

    Conclusions du commissaire du Gouvernement, dossier no 002470 ;
    Le requérant a déposé le 31 janvier 2000 une demande visant à obtenir la protection complémentaire au titre de la couverture maladie universelle, auprès de la caisse primaire d’assurance maladie dont il dépend. Compétente par délégation du préfet, celle-ci, par une décision du 4 avril 2000, a accordé la prise en charge jusqu’au 31 janvier 2001. Puis, par une décision du 22 juin 2000, la caisse a procédé à une révision de sa première décision et prononcé un rejet de la demande à compter du 22 juin 2000, estimant que les ressources du foyer étaient supérieures au plafond réglementaire. C’est cette dernière décision que le requérant conteste devant la commission départementale d’aide sociale, puis, en appel, devant votre commission.
    Une question que pose ce dossier est celle des conditions dans lesquelles peut intervenir le retrait d’une décision accordant le bénéfice de la protection complémentaire, c’est-à-dire d’une décision créatrice de droits. Certes, il peut paraître choquant, à première vue, d’avancer l’hypothèse selon laquelle la caisse primaire d’assurance maladie, agissant au nom du préfet, ne pourrait revenir sur sa première décision. Mais l’application d’un principe du droit administratif, celui de la sécurité des situations juridiques et sociales, conduit à respecter les droits accordés par les décisions administratives, pour la période couverte par celles-ci. Les exceptions à ce principe ne peuvent découler que de la loi ou des textes pris pour son application.
    En ce qui concerne l’aide sociale, l’article 9 du décret no 54-611 du 2 septembre 1954 précise que les décisions accordant le bénéfice de l’aide sociale peuvent faire l’objet, pour l’avenir, d’une révision lorsque des éléments nouveaux modifient la situation au vu de laquelle ces décisions sont intervenues. En dehors du cas prévu par le deuxième alinéa du même article (décisions prises sur la base de déclarations incomplètes ou erronées), la révision ne peut être rétroactive. Si cette révision est possible pour l’avenir, et non à partir de la fin de la période prévue par la décision d’admission, c’est parce qu’en aide sociale il n’est pas en principe prévu de fixer la durée des prestations accordées, celles-ci étant servies tant qu’une révision n’intervient pas, dans les formes prévues pour l’admission.
    La loi no 92-722 du 29 juillet 1992 a prévu une exception à ce principe, en fixant expressément à un an la durée de la décision d’admission à l’aide médicale. De même, en ce qui concerne l’aide médicale de l’Etat prévue à l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles, une durée d’un an est prévue par le 2e alinéa de l’article L. 252-3.
    La loi no 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion comporte également des dispositions concernant la durée d’attribution de l’allocation de revenu minimum d’insertion. Selon l’article L. 262-27 du code de l’action sociale et des familles, il est procédé, au cours de la période d’attribution du revenu minimum d’insertion, au réexamen périodique du montant de l’allocation et les décisions déterminant le montant de l’allocation peuvent être révisées dès lors que des éléments modifient la situation au vu de laquelle ces décisions ont été prises. Aux termes de l’article L. 262-40, une prescription de deux ans est applicable, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration, à l’action intentée par un organisme payeur en recouvrement des sommes indûment payées.
    Des règles similaires sont prévues par la loi en matière d’allocation compensatrice (art. L. 245-7 (2e alinéa) du code de l’action sociale et des familles. Ces dispositions existent également pour l’assurance maladie (art. L. 332-1 du code de la sécurité sociale). Elles sont applicables à la protection complémentaire en matière de santé, le V de l’article L. 861-10 du même code s’y référant expressément.
    Cependant, la révision ou le retrait d’une décision accordant le bénéfice de la protection complémentaire de santé, normalement accordée pour un an (dernier alinéa de l’article L. 861-5), n’est prévue que dans deux hypothèses précisément définies par la loi no 99-641 du 27 juillet 1999. En premier lieu, selon le quatrième alinéa de l’article L. 861-5, dans le cas où la situation du demandeur exigerait une décision immédiate, « le bénéfice de cette protection est interrompu si la vérification de la situation du bénéficiaire démontre qu’il ne remplit pas les conditions ». En second lieu, les dispositions du I de l’article L. 861-10 prévoient que la décision attributive de la prestation est rapportée « en cas de réticence du bénéficiaire de la protection complémentaire en matière de santé à fournir les informations requises ou de fausse déclaration intentionnelle ».
    Dans le litige soumis à votre examen, il ressort des éléments du dossier et des informations recueillies lors de l’instruction, que, d’une part, la décision initiale du directeur de la caisse primaire n’a pas été prise en application du 4e alinéa de l’article L. 861-5 et que, d’autre part, la décision de rapporter la première décision en date du 4 avril 2000 n’était fondée sur aucune fausse déclaration intentionnelle du demandeur, ni sur des réticences de celui-ci à fournir les informations requises.
    La portée des conditions encadrant la révision ou le retrait de la décision d’admission à la protection complémentaire en matière de santé doit d’autant plus être strictement limitée aux situations prévues par la loi que la décision peut être tacite. En effet, elle est considérée comme acceptée en l’absence de notification de la décision au demandeur dans un délai, fixé, par les dispositions réglementaires (articles L. 861-5, 3e alinéa et R. 861-16 II, 2e alinéa), à deux mois à compter de la réception par la caisse d’assurance maladie compétente du dossier complet de demande. Lorsqu’il en est ainsi, la jurisprudence considère que l’administration se trouve dessaisie et ne pourrait revenir sur cette décision, même dans le délai de recours contentieux et même en cas d’illégalité (Conseil d’Etat, section, 14 novembre 1969, EVE).
    L’administration n’est cependant pas dépourvue de tous moyens d’action. En cas de fraude, elle dispose totalement de son pouvoir de retrait. Lorsqu’elle constate que la décision prise est illégale, à la suite d’une faute d’appréciation ou d’une instruction insuffisante, l’administration peut revenir sur sa décision initiale dans le délai du recours contentieux (Conseil d’Etat, no 58-698, 6e et 10e sous-sections réunies, 2 octobre 1987, no 161184, 6e et 2e sous-sections réunies, 19 janvier 1986) ou, si un recours a été formé, tant que la juridiction saisie n’a pas statué (Conseil d’Etat, 3 novembre 1922, cachet, Conseil d’Etat, 4 mai 1984, époux Poissonnier).
    Le Conseil d’Etat a jugé qu’une décision illégale créatrice de droits qui a été notifiée à l’intéressé mais qui n’a pas été publiée peut être indéfiniment rapportée puisque le délai imparti pour la contester reste ouvert à l’égard des tiers (Conseil d’Etat, assemblée, 6 mai 1966, Ville de Bagneux, 1er juin 1982, Plottet). Ce point de jurisprudence mérite examen dans la présente affaire. D’une part, la commission départementale d’aide sociale, compétente pour statuer sur les litiges portant sur les décisions prises en matière de protection complémentaire santé (art. L. 861-5, 3e alinéa, du code de la sécurité sociale), peut être saisie, aux termes de l’article L. 134-4 du code de l’action sociale et des familles, notamment par « tout habitant ou contribuable de la commune ou du département », c’est-à-dire des tiers ; et, d’autre part, les décisions créatrices de droits en matière d’aide sociale ne sont jamais publiées.
    L’articulation de ces deux éléments aurait pour conséquence que ces décisions pourraient être indéfiniment rapportées, du fait que le délai imparti pour les contester resterait ouvert à l’égard des tiers. Il faut cependant considérer que cette condition liée à la publication des décisions créatrices de droits ne joue que lorsque leur publication est légalement prévue. Tel n’est pas le cas en matière de protection complémentaire. En effet, aux termes du 3e alinéa de l’article L. 861-5 du code de la sécurité sociale, la décision relative à la demande de protection complémentaire « doit être notifiée au demandeur ».
    Sans aucun doute, le principe du retrait limité des décisions créatrices de droits analysé ci-dessus s’applique aux décisions d’attribution de la couverture complémentaire santé où les décisions sont prises au nom du préfet. Un dernier argument plus social, lié à la sécurité des situations sanitaires et sociales des personnes va dans le même sens. Aux termes de l’article R. 861-16 II du code de la sécurité sociale, une attestation du droit à la protection complémentaire mentionnant la période d’ouverture du droit est délivrée à chaque bénéficiaire. Celui-ci en tiendra compte pour planifier les soins nécessaires à lui-même et à sa famille. Il en fera état dans ses relations avec les professionnels de santé. La possibilité de remise en cause, sans limite, des décisions d’attribution, en dehors des cas de fraude, non seulement discréditerait ces relations mais entraînerait, au détriment des personnes les plus démunies, une précarité préoccupante de leurs droits sociaux, ce que manifestement la loi du 27 juillet 1999 a voulu éviter.
    Je conclus à l’acceptation du recours du requérant, au maintien des droits acquis du fait de la décision du 4 avril 2000, ainsi qu’à l’annulation de la décision de la caisse primaire d’assurance maladie en date du 22 juin 2000 et de celle de la commission départementale d’aide sociale en date du 9 octobre 2000.

L.  Dessaint