Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Donation
 

Conseil d’Etat statuant au contentieux
Dossier no 228997

M. Jean-Lezin Meheut
et Mme Josiane Meheut
Séance du 16 mai 2002

Lecture du 31 mai 2002

    Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 janvier et 2 mai 2001 au secrétariat du contentieux du conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Lezin Meheut, demeurant 2, square Alexis-le-Strat, à Rennes (35000) et Mme Josiane Meheut, demeurant 11, rue de la Ville-Junguenay, à Trégueux (22950) ; M. Jean-Lezin Meheut et Mme Josiane Meheut demandent au conseil d’Etat :
    1o  d’annuler la décision du 21 août 2000 de la commission centrale d’aide sociale rejetant leur recours tendant à l’annulation de la décision du 11 octobre 1996 de la commission départementale d’aide sociale des Côtes-d’Armor décidant la récupération de la dette d’aide sociale de 101 482,33 F au titre des sommes avancées à M. Jean Meheut au décès du conjoint survivant avec prise d’hypothèque légale sur les biens ;
    2o  de condamner le département des Côtes-d’Armor à leur verser une somme de 15 000,00 F sur le fondement de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de justice administrative ;
    Après avoir entendu en audience publique :
    -  le rapport de Mlle Courreges, auditeur ;
    -  les observations de la SCP Vincent, OHL, avocat de M. Jean-Lezin Meheut et de Mme Josiane Meheut ;
    -  les conclusions de Mlle Fombeur, commissaire du Gouvernement ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, dans sa rédaction en vigueur antérieurement à la loi du 24 janvier 1997 : « Des recours sont exercés par le département, par l’Etat, si le bénéficiaire de l’aide sociale n’a pas de domicile de secours, ou par la commune lorsqu’elle bénéficie d’un régime spécial d’aide médicale : a)  Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ; b)  Contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les cinq ans qui ont précédé cette demande ; c)  Contre le légataire (...) » ;
    Considérant que, pour l’application de ces dispositions, il appartient aux juridictions de l’aide sociale, eu égard tant à la finalité de leur intervention qu’à leur qualité de juges de plein contentieux, non seulement d’apprécier la légalité de la décision prise par la commission d’admission compétente pour autoriser ou refuser la récupération, mais aussi de se prononcer elles-mêmes, qu’elles soient expressément saisies de conclusions en ce sens ou non, sur le bien fondé de l’action engagée par la collectivité publique d’après l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l’une ou l’autre parties à la date de leur propre décision ;
    Considérant qu’en se bornant à examiner la légalité de la décision de récupération sans se prononcer sur son bien-fondé, la commission centrale d’aide sociale, qui était d’ailleurs saisie de conclusions des consorts Meheut tendant à la remise de la somme mise à leur charge, n’a pas exercé toute sa compétence ; qu’ainsi, elle a commis une erreur de droit ; que la décision de la commission centrale d’aide sociale doit, par conséquent, être annulée ;
    Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative : « Le conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
    Considérant que le moyen tiré de l’irrégularité de la décision de la commission départementale d’aide sociale, faute pour cette décision de comporter l’indication de la composition de la juridiction, présenté hors du délai de recours contentieux et reposant sur une cause juridique distincte de ceux soulevés dans le délai de recours est irrecevable ;
    Considérant que la circonstance que les bénéficiaires d’une donation n’aient pas été informés de l’existence du recours en récupération prévu par l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale ne fait pas obstacle à l’exercice d’un tel recours par le département ; qu’il en va de même de la circonstance, invoquée par les requérants, selon laquelle le département n’aurait pas pris d’hypothèque au moment de l’admission à l’aide sociale de M. Jean Meheut ;
    Considérant que si la donation faite par M. Jean Meheut à ses enfants a été consentie en avancement d’hoirie et ne révèle pas l’intention de l’intéressé de s’appauvrir volontairement, une action en récupération peut être engagée par le département sur le fondement des dispositions précitées du b) de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale ;
    Considérant qu’il convient de se prononcer sur le bien fondé de l’action en récupération engagée d’après l’ensemble des circonstances de fait ont il est justifié par l’une ou l’autre parties à la date de leur propre décision ; que la donation partage dont ont bénéficié les consorts Meheut porte uniquement sur la nue-propriété de la maison d’habitation de leur père ; que ce bien, dont la mère des requérants est l’usufruitière, ne peut être ni aliéné, ni hypothéqué ; que la situation financière des requérants est modeste ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de réduire de 7 500,00 Euro le montant de la somme pouvant être récupérée par le département des Côtes-d’Armor et de reporter l’exercice de cette récupération jusqu’au décès de la mère des requérants ;
    Sur les conclusions de M. Jean-Lezin Meheut et de Mme Josiane Meheut tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
    Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner le département des Côtes-d’Armor à payer aux consorts Meheut la somme de 1 000,00 Euro au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Décide

    Art.  1er.  -  La décision de la commission centrale d’aide sociale en date du 21 août 2000 est annulée.
    Art.  2.  -  La somme que le département des Côtes-d’Armor est autorisé à récupérer sur les donataires de M. Jean Meheut est réduite à 7 500,00 Euro. Cette action en récupération ne pourra être engagée qu’à compter du décès de la mère des requérants.
    Art.  3.  -  La décision de la commission départementale d’aide sociale des Côtes-d’Armor est réformée en ce qu’elle est contraire à la présente décision.
    Art.  4.  -  Le département des Côtes-d’Armor versera aux consorts Meheut la somme de 1 000,00 Euro sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Art. 5  -  Le surplus des conclusions de la requête des consorts Meheut devant la commission centrale d’aide sociale et devant le conseil d’Etat est rejeté.
    Art. 6  -  La présente décision sera notifiée à M. Jean-Lezin Meheut, à Mme Josiane Meheut, au département des Côtes-d’Armor et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.