Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Récupération sur donation - Assurance vie
 

Dossier no 001040

Mme P...
Séance du 24 juin 2002

Décision lue en séance publique le 2 juillet 2002

    Vu la requête formée par le président du conseil général de l’Hérault en date du 16 mars 2000 tendant à l’annulation de la décision du 17 février 2000 de la commission départementale d’aide sociale de l’Hérault annulant la décision de la commission d’admission à l’aide sociale du canton de Montpellier prononçant la récupération de la créance sur le capital en cas de décès versé aux 3 enfants de Mme Juliette P..., décédée le 2 août 1997, de l’allocation compensatrice pour un montant total de 464 564,23 F au titre d’un recours sur donation ;
    La requête du président du conseil général soutient que la souscription d’une assurance vie est assimilable à une libéralité, elle-même qualifiée de donation indirecte ou déguisée et soumise à ce titre au recours sur donation visé par l’article 146, 2e alinéa, en raison du caractère manifestement exagéré des primes versées et de l’absence d’aléa, et qu’il tire de la lecture de l’article L. 132-13 du code des assurances un argument pour ne pas réintégrer dans la succession lesdites primes, mais pour les soumettre au recours au titre de donation ; dans le cas d’espèce, le président du conseil général de l’Hérault affirme que le caractère manifestement exagéré des primes versées est avéré par le fait que les primes versées le 30 mars 1995 représentent le double de l’actif successoral évalué en 1997, et qu’en raison de son âge, quatre-vingt-six ans, la donatrice avait peu de chances de voir ce contrat arriver à son terme alors qu’elle aurait eu quatre-vingt-dix-sept ans ;
    Vu le mémoire présenté par Mme Françoise G..., enregistré le 22 juin 2000, faisant valoir qu’il n’y avait aucune dissimulation dans la souscription de l’assurance vie, une évaluation des dépenses entraînées par l’état de santé de sa mère et son soutien désintéressé et exemplaire ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu le code civil ;
    Vu le code des assurances ;
    Vu le code de la sécurité sociale ;
    Vu le décret du 15 mai 1961 ;
    Vu le décret du 17 décembre 1990 ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 24 juin 2002, M. Courault, rapporteur, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant qu’en admettant même que toute souscription d’un contrat d’assurance vie ne constitue pas au profit du bénéficiaire une donation indirecte susceptible d’être appréhendée par l’aide sociale sur le fondement de l’article 146 b du code de la famille et de l’aide sociale alors applicable à hauteur du montant des primes sans qu’il soit même besoin d’examiner les conditions dans lesquelles chaque contrat de la sorte a été souscrit du seul fait de l’appauvrissement du stipulant à ladite hauteur au profit du bénéficiaire acceptant sans contrepartie de celui-ci un tel contrat ne peut être requalifié en donation que si l’administration de l’aide sociale établit l’intention libérale du souscripteur au moment de la souscription du contrat alors requalifiable de donation entre vifs, alors même que l’acceptation du bénéficiaire ne se serait réalisée en fait, mais en rétro-agissant à la date de la signature du contrat, qu’au moment où le promettant lui a versé les sommes dues en application du contrat après le décès du stipulant ;
    Considérant qu’un contrat d’assurance vie à revenu garanti n’en est pas moins à raison de la stipulation pour autrui qu’il comporte au bénéfice des bénéficiaires, en l’espèce les trois filles de Mme P..., susceptible d’être le cas échéant requalifié en donation indirecte, si la preuve de l’intention libérale est apportée par l’administration ;
    Considérant que la preuve de l’intention libérale doit être rapportée alors même que le contrat peut être requalifié comme le soutient à bon droit le président du conseil général de l’Hérault, non comme donation déguisée mais comme donation indirecte ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 894 du code civil, « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ; qu’aux termes de l’article L. 732-14 du code des assurances « le capital ou la rente garantis au profit d’un bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant existant. Ces derniers ont seulement droit au remboursement de primes » dans le cas indiqué par l’article L. 132-13, 2e alinéa, selon lequel « les règles relatives au rapport à la succession ou à la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire » se s’appliquent pas... aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins qu’elles n’aient été manifestement exagérées au regard de ses facultés » ; que, compte tenu de ces dispositions, un contrat d’assurance vie ne peut être requalifié par le juge de l’aide sociale en donation que lorsqu’au regard de l’ensemble des circonstances de la souscription du contrat le stipulant s’y dépouille au profit du bénéficiaire de manière actuelle, et, nonobstant la possibilité de résiliation du contrat non aléatoire, ne se bornant pas ainsi à un acte de gestion sans patrimoine ; que, dans une telle situation, l’intention libérale doit être regardée comme établie et la stipulation pour autrui peut être requalifiée en donation sous réserve en cas de difficultés sérieuses d’une question préjudicielle à l’autorité judiciaire ;
    Considérant, en l’espèce, qu’eu égard à l’âge de la souscriptrice, au moment de la souscription (87 ans) au montant de la prime constituée d’un versement de 200 000 F rapportée tant aux revenus et aux charges de Mme P... qu’à son patrimoine (actif net successoral deux ans plus tard, sans allégation de modification de la situation entre temps de 92 000 F) et quand bien même le contrat avait également pour objet d’assurer à Mme P... un complément de revenus d’environ 960 F par mois lui permettant, ajouté à la participation de ses enfants d’environ 1 160 F, d’acquitter le prix de journée de l’établissement pour personnes âgées où elle était accueillie ; que ses revenus et l’allocation compensatrice ne suffisaient pas à couvrir, alors que d’autres placements auraient pu lui rapporter un produit analogue, l’administration doit être regardée comme justifiant de ce que Mme P... s’est en réalité dépouillée au profit de ses trois filles du montant de la souscription de la prime et que compte tenu, par ailleurs, de l’acceptation intervenue au plus tard après le décès de l’assistée et le versement par le promettant, du capital garanti, aux bénéficiaires, c’est par suite à tort que la commission départementale d’aide sociale de l’Hérault a, pour annuler la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Montpellier, considéré qu’« il n’y a pas d’élément suffisamment probant au dossier permettant d’admettre le caractère excessif des primes (...) et l’absence d’aléa » ; qu’il y a lieu toutefois, pour la commission centrale d’aide sociale saisie par l’effet dévolutif de l’appel d’examiner les autres moyens soulevés par les intimées en première instance et en appel ; que ces moyens sont tous relatifs à une demande de remise ou de modération de la créance de l’aide sociale ;
    Considérant qu’en admettant même que Mme Geneviève A... puisse être regardée en l’état du dossier transmis à la commission centrale d’aide sociale comme partie en première instance, elle ne soulève aucun moyen précis de la nature de ceux susceptibles de fonder en ce qui la concerne une remise ou une modération ; que sa seule participation à l’acquit de la somme de 1 160 F par mois sus-évoquée ne serait en tout état de cause pas de nature, en l’absence de tout élément fourni par ailleurs sur la situation financière de son foyer, à justifier l’octroi d’une telle mesure ;
    Considérant, par contre, que Mme veuve B... n’a, ainsi qu’il n’est pas contesté, d’autres revenus que le revenu minimum d’insertion ; que les capitaux perçus lors de la succession de sa mère et du versement du capital procédant du contrat d’assurance vie ont été employés en grande partie à des travaux de remise en état du logement social qu’elle occupe, apparemment non assuré par l’organisme bailleur ; qu’en cet état, il lui sera accordé remise de sa dette ;
    Considérant que si le dossier ne permet pas d’appréhender, avec certitude, les ressources de Mme veuve G... dont la situation financière s’est néanmoins dégradée après le décès de son époux en 1995, il ressort du dossier, sans aucune contestation d’ailleurs, qu’avant comme après l’entrée en maison de retraite en 1993 de Mme P..., c’est Mme veuve G... qui a assumé l’essentiel de la charge de sa mère d’abord en lui servant de tierce personne non rémunérée, ensuite en la recevant chez elle au prix de travaux d’aménagement à sa charge, enfin en assumant auprès d’elle, après son admission en maison de retraite, une charge effective et constante sur les plans matériel et moral ; que le médecin qui suivait sa mère atteste qu’« en vingt-cinq ans d’exercice (il) n’a pas été témoin d’une telle attention d’un enfant à l’égard de ses vieux parents » ; que le dévouement de Mme G... à l’égard de sa mère, qui, a excédé clairement ses obligations comme obligée alimentaire, est au nombre des circonstances susceptibles d’être prises en compte par le juge de l’aide sociale pour statuer sur une demande de remise ou de modération ; que dès lors que, par ailleurs, il n’est ni établi ni même allégué que la situation financière de Mme veuve G... ne serait pas modeste comme elle semble l’être, la commission accordera également à l’intéressée remise de sa dette, nonobstant le montant global des prestations avancées par l’aide sociale qui a été de 464 564,23 F ;
    Considérant qu’il appartient à Mme A..., si elle s’y croit fondée, de solliciter des délais de paiement auprès du payeur départemental ;

Décide

    Art. 1er. - Il y a lieu à récupération de la créance d’aide sociale au titre des prestations d’allocation compensatrice accordées à Mme P... à l’encontre de Mme A... à hauteur de sa quote-part dans la donation indirecte dont elle a bénéficiée par le versement des primes d’assurances souscrites par Mme P...
    Art. 2. - Le surplus des conclusions de la requête du président du conseil général de l’Hérault en tant qu’il concerne Mme G... et Mme veuve B... est rejeté.
    Art. 3. - La décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Hérault en date du 17 février 2000 et la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Montpellier du 19 mai 1998 sont réformées en ce qu’elles ont de contraire aux articles précédents.
    Art. 4. - La présente décision sera transmise au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 24 Juin 2002 où siégeaient M. Levy, président, Mme Kornmann, assesseur, M. Courault, rapporteur.
    Décision lue en séance publique le 2 juillet 2002.
    La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président Le rapporteur

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer