Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Récupération sur donation - Assurance vie
 

Dossier no 992728

Mme C...
Séance du 3 juillet 2002

Décision lue en séance publique le 22 juillet 2002

    Vu la requête formée le 30 août 1999 par le président du conseil général de la Dordogne, tendant à ce que la commission centrale d’aide sociale : 1o infirme la décision du 24 juin 1999 par laquelle la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne, sur la demande de Mme Claire D..., a annulé la décision du 25 mars 1999 par laquelle la commission cantonale d’admission à l’aide sociale de Saint-Astier a décidé la récupération à l’encontre de Mme D..., à concurrence de 16 616,94 Euro, d’une fraction des sommes avancées par l’aide sociale à Mme Alice C..., du vivant de l’intéressée, au motif qu’il n’était pas établi que la souscription par Mme C..., le 11 août 1989, d’un contrat d’assurance vie au bénéfice exclusif de Mme D... eût revêtu le caractère d’une donation déguisée ; 2o requalifie cette souscription de donation déguisée ; 3o décide la récupération à l’encontre de Mme D... d’une fraction de la créance d’aide sociale susmentionnée, à concurrence de 16 616,94 Euro ;
    Le président du conseil général de la Dordogne fait valoir que, eu égard au montant modeste des ressources et du patrimoine déclarés par Mme C..., tant à la date de souscription du contrat d’assurance litigieux qu’à celle de son décès, le montant de la prime d’assurance versée en 1989 est excessif ; que ce placement, consenti par Mme C... à titre gratuit, à l’âge avancé de soixante-treize ans, et dont les intérêts étaient capitalisés, avait pour seul terme contractuel le décès de l’intéressée ; que dès lors la souscription dudit contrat n’avait pas pour objet la constitution d’une épargne de prévoyance mais revêtait le caractère d’une libéralité, à l’instar d’une donation entre vifs ; que cette donation déguisée est intervenue moins de cinq ans avant la date à laquelle Mme C... a demandé à bénéficier de l’aide sociale aux personnes âgées et pouvait, dès lors, donner lieu à récupération, en application des dispositions de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale ; qu’en outre cette donation déguisée a eu pour effet de réduire à due concurrence l’actif successoral de Mme C... que le département était en droit de recueillir, dès lors que l’intéressée, pupille d’Etat, est décédée sans héritier ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 février 2002 au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale, présenté par Mme Claire D..., qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient que Mme Alice C..., pupille de l’Etat dévouée à la famille D... dont Mme C... se sentait l’obligée, a souscrit librement et sur le conseil de son banquier, le 11 août 1989, un contrat d’assurance-vie la désignant comme bénéficiaire ; que, contrairement à ce que soutient le requérant, l’existence de ce contrat a été portée à la connaissance des services de l’aide sociale dès le 15 décembre 1995 ; que, dès lors, ce contrat ne saurait être qualifié de donation déguisée ; qu’au demeurant elle n’en détient plus l’original, dont elle a en vain demandé la restitution à la trésorerie compétente ; qu’elle n’a pas récupéré le montant de l’actif successoral de la défunte ; qu’elle ignorait le détail des engagements de Mme C... envers les services de l’aide sociale ; qu’en tout état de cause le relevé des frais d’hébergement afférents à Mme C... et qui lui sont réclamés comporte plusieurs inexactitudes matérielles ; que ce relevé n’est pas suffisamment détaillé ; que les investigations relatives au patrimoine de Mme C... ont été menées par les services de l’aide sociale en violation du secret professionnel ;
    Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2002 au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale, présenté par Mme Claire D... qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens, elle soutient en outre que, par la décision attaquée, la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne a déjà exclu que la souscription du contrat d’assurance vie litigieux constituât une donation déguisée ; qu’elle espère un prompt règlement du litige ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code civil, notamment son article 894 ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu la lettre invitant les parties à faire connaître au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale si elles souhaitent être entendues à l’audience ;
    Après avoir entendu, à l’audience publique du 3 juillet 2002, M. Bereyziat, rapporteur, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’en 1932 Mme Alice C..., pupille de l’Etat, âgée de seize ans, a rejoint, en qualité de salariée, l’exploitation agricole de la famille D...., qui l’a hébergée depuis cette date et jusqu’à son départ pour la maison de retraite de Saint-Astier (Dordogne), le 4 novembre 1991 ; que Mme Claire D... et ses parents assuraient de fait la gestion des affaires de Mme C..., qui ne savait ni lire ni écrire ; que, le 11 août 1989, Mme C... a souscrit un contrat d’assurance vie au bénéfice exclusif de Mme Claire D... moyennant le versement d’une prime unique de 16 614,94 Euro ; qu’à compter du 1er mai 1992 et jusqu’à son décès, le 1er juin 1998, Mme C... a bénéficié de l’aide sociale aux personnes âgées pour la prise en charge des frais de son hébergement, à concurrence d’une somme de 16 980,15 Euro ; que le président du conseil général de la Dordogne relève appel de la décision du 24 juin 1999 par laquelle la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne, sur la demande de Mme Claire D..., a annulé la décision du 25 mars 1999 par laquelle la commission cantonale d’admission à l’aide sociale de Saint-Astier a décidé la récupération à l’encontre de Mme D... d’une fraction des sommes avancées par l’aide sociale à Mme Alice C..., à concurrence du montant de la prime d’assurance versée en 1989 ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi no 97-690 du 24 janvier 1997 : « Des recours sont exercés par le département, par l’Etat, (...) b) Contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ; qu’il résulte de ces dispositions, applicables aux faits de la cause, que l’autorité administrative compétente est tenue d’exercer le recours sur donation, dès lors que les conditions prévues à l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale sont remplies ;
    Considérant que la qualification donnée par les parties à un contrat ne saurait faire obstacle au droit pour l’administration de l’aide sociale de rétablir, s’il y a lieu, sa nature exacte, sous le contrôle des juridictions de l’aide sociale et sous réserve pour ces dernières, en cas de difficultés sérieuses, d’une question préjudicielle devant les juridictions de l’ordre judiciaire ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment de la nature des déclarations faites à l’administration fiscale et aux services de l’aide sociale par Mme C..., tant à la date de souscription du contrat d’assurance litigieux qu’à celle de son placement en maison de retraite, et du montant fort modeste de son actif successoral, que l’intéressée a consacré l’essentiel de ses ressources et de son patrimoine au versement, le 11 août 1989, de la prime d’assurance de 16 616,94 Euro  ; que ce placement, consenti à titre gratuit, et dont les intérêts étaient capitalisés, avait pour seul terme contractuel le décès du souscripteur ; que dès lors la souscription dudit contrat n’avait pas pour objet la constitution d’une épargne de prévoyance mais revêtait le caractère d’une pure libéralité, dépourvue de toute contrepartie et de tout aléa sérieux autre que le décès du bénéficiaire, Mme D..., du vivant du souscripteur, Mme C... ; qu’au demeurant l’intention exclusivement libérale de Mme C... ressort des écritures mêmes de Mme D..., aux termes desquelles « Mme C... (...) faisait partie de notre vie, de notre famille. Elle a donc toujours dit qu’elle ferait quelque chose en ma faveur avant son décès » ; que dès lors la souscription dudit contrat d’assurance vie devait être regardée comme constituant une donation entre vifs, au sens de l’article 894 du code civil et pour l’application des dispositions de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, nonobstant la qualification retenue par les parties ; qu’à les supposer établies, les circonstances - en premier lieu, que cette souscription ait été librement consentie par Mme C... ; en deuxième lieu, que l’existence de ce contrat ait été portée à la connaissance des services de l’aide sociale le 15 décembre 1995, soit avant même le décès de la souscriptrice ; en troisième et dernier lieu, que Mme D... n’ait pas récupéré le montant de l’actif successoral de la défunte - sont sans incidence sur ce point ; que par suite c’est à tort que, pour faire droit à la demande de Mme D..., la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne a jugé que le caractère de donation entre vifs dudit contrat n’était pas établi ;
    Considérant qu’il appartient à la commission centrale d’aide sociale, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autre moyens soulevés par Mme D... devant la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne et devant la commission centrale d’aide sociale ;
    Considérant que les dispositions du cinquième alinéa de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, qui fixent un seuil de 38 112,25 Euro en deçà duquel l’actif successoral ne peut faire l’objet d’une action en récupération diligentée par les services de l’aide sociale, ne s’appliquent, d’une part, qu’aux récupérations sur succession, à l’exclusion des recours exercés contre les donataires, d’autre part, que dans la seule hypothèse où les héritiers sont les membres de la famille de la personne âgée décédée ou les personnes ayant veillé sur elle de façon constante, ce qui n’est pas le cas de Mme D... ; que dès lors, celle-ci ne peut utilement soutenir, sur le fondement de ces dispositions, qu’aucune somme ne peut être recouvrée à son encontre, alors même que le montant de l’actif successoral de Mme C... est inférieur audit seuil ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 198 du code de la famille et de l’aide sociale, repris à l’article L. 133-2 du code de l’action sociale et des familles : « Les agents départementaux habilités par le président du conseil général ont compétence pour contrôler le respect, par les bénéficiaires et les institutions intéressées, des règles applicables aux formes d’aide sociale relevant de la compétence du département (...) » ; qu’en vertu de l’article 133 du code de la famille et de l’aide sociale, repris à l’article L. 133-3 du code de l’action sociale et des familles, les agents des administrations fiscales sont, par dérogation aux dispositions qui les assujettissent au secret professionnel, habilités à communiquer aux commissions d’admission à l’aide sociale et aux autorités administratives compétentes les renseignements qu’ils détiennent et qui sont nécessaires pour instruire les demandes tendant à l’admission à une forme quelconque de l’aide sociale ou à la radiation éventuelle du bénéficiaire de l’aide sociale ; qu’il résulte des dispositions précitées que Mme D... n’est, en tout état de cause, pas fondée à exciper de ce que les investigations menées par les services de l’aide sociale et relatives au patrimoine de Mme C... seraient entachées de violation du secret professionnel ;
    Mais considérant qu’aux termes de l’article 4 du décret du 15 mai 1961 modifié : « Les recours prévus à l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale sont exercés, dans tous les cas, dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de l’aide sociale. En cas de donation, le recours est exercé jusqu’à concurrence de la valeur des biens donnés par le bénéficiaire de l’aide sociale, appréciée au jour de l’introduction du recours (...). Le montant des sommes à récupérer est fixé par la commission d’admission saisie par le préfet » ; qu’en application de ces dispositions il appartient à la commission d’admission à l’aide sociale, sous contrôle du juge de l’aide sociale, de modérer, le cas échéant, la somme récupérée ; que le juge doit apprécier la situation de fait à la date de sa décision ;
    Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus la créance d’aide sociale s’élève à 16 980,15 Euro ; que le président du conseil général de la Dordogne borne les conclusions de sa requête à la récupération d’une somme de 16 614,94 Euro, alors que la valeur du contrat d’assurance litigieux, appréciée au 30 août 1999, s’élève à 24 437,53 Euro ; qu’il n’est toutefois pas contesté que Mme D... et l’enfant dont elle a la charge se trouvent dans une situation financière précaire ; que dès lors il sera fait une juste appréciation de l’ensemble des circonstances de l’espèce en réduisant à 12 000 Euro le montant de la créance d’aide sociale recouvrable à l’encontre de Mme D... ;
    Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le président du conseil général de la Dordogne est seulement fondé à se plaindre de ce que, par la décision attaquée, la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne a déchargé Mme D... du paiement de la somme de 12 000 Euro ;

Décide

    Art. 1er. - Une somme de 12 000 Euro sera recouvrée à l’encontre de Mme D..., au titre des sommes avancées par l’aide sociale à Mme Alice C..., de son vivant, pour la prise en charge de ses frais d’hébergement à la maison de retraite de Saint-Astier, du 1er janvier 1992 au 1er juin 1998.
    Art. 2. - La décision du 24 juin 1999 de la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne, ensemble celle du 25 mars 1999 de la commission cantonale de Saint-Astier, sont réformées en ce qu’elles ont de contraire à la présente décision.
    Art. 3. - Le surplus des conclusions de la demande présentée par Mme Claire D... devant la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne et le surplus des conclusions de la requête du président du conseil général de la Dordogne sont rejetés.
    Art. 4. - La présente décision sera transmise au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 3 juillet 2002 où siégeaient M. Belorgey, président, M. Vieu, assesseur, M. Bereyziat, rapporteur.
    Décision lue en séance publique le 23 juillet 2002.
    La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président Le rapporteur

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer