Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

2350
 
  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) - Recours en récupération - Retour à meilleure fortune
 

Dossier no 012350

Mme G...
Séance du 29 septembre 2003

Décision lue en séance publique le 21 octobre 2003

    Vu le recours formé pour Mme Martine G..., enregistré le 26 juillet 2001 dans les services de la direction des interventions sanitaires et sociales du département de l’Oise, tendant à la réformation de la décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Oise en date du 28 février 2001, qui a annulé la décision de la commission d’admission à l’aide sociale du 5 mars 1999 et a prononcé la récupération de la somme de 162 612,37 F sur Mme Martine G..., bénéficiaire de l’aide sociale revenu à meilleure fortune ;
    Elle soutient qu’elle n’a pas été en mesure de présenter ses observations devant la commission d’admission à l’aide sociale, n’ayant pas été convoquée à la séance au cours de laquelle a été prise la décision critiquée ; que les dispositions de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale portent une atteinte disproportionnée au droit des personnes handicapées de s’enrichir ; que les bénéficiaires de l’allocation compensatrice ont des besoins et des charges supplémentaires liées à leur déficience ; qu’elle n’a pas été informée de l’existence de cette procédure de recouvrement ; que la décision attaquée revient à priver de tout effet les dispositions concernant le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l’aide sociale, l’héritage reçu provenant de sa mère, elle-même handicapée et attributaire de l’allocation compensatrice ; que le patrimoine en cause n’étant pas obligatoirement constitué par une capitalisation des revenus de ladite allocation, le remboursement sollicité revient à un impôt sur la fortune non prévu par le législateur ; que le mécanisme mis en place par l’article 146 précité porte atteinte au principe de non-rétroactivité, n’étant ni cité dans les textes afférents à l’allocation compensatrice ni porté à la connaissance des intéressés ; que l’allocation compensatrice porte atteinte au principe de proportionnalité, dès lors que ne sont tenus de rembourser ladite allocation que ceux dont le patrimoine est au-dessus d’une certaine valeur ; que l’allocation compensatrice porte également atteinte au principe d’égalité devant la loi, dans la mesure où le remboursement dépend du pouvoir discrétionnaire de chaque département et introduit une discrimination à l’égard des non-handicapés, les handicapés étant appelés à rembourser ce qui a pour objet de rétablir avec ces derniers la parité ; que le remboursement de l’allocation équivaut à nier le droit que possède la personne handicapée à se voir compenser son handicap ; que le recours en récupération constitue une atteinte au droit de propriété garanti par l’article premier du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu et enregistré le 15 septembre 2003 le mémoire présenté par Mme T...-B... pour Mme G... exposant qu’elle la représente dorénavant et que sous réserve des moyens de droit déjà évoqués il y a lieu compte tenu de la situation sociale et familiale de l’intéressée à une importante modération de la créance ;
    Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2001, présenté par le président du conseil général de l’Oise, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la récupération est permise du fait que le patrimoine de l’intéressée s’est enrichi de façon substantielle ;
    Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 15 septembre 2003, présenté par Mme Martine G..., qui demande une modération de la somme à recouvrer et un report de la récupération au décès du conjoint survivant ; elle soutient que le capital laissé par sa mère sert à faire face aux imprévus de la vie et aux besoins de ses enfants encore à charge ; que l’évolution de la législation, instaurant un seuil et supprimant la récupération, dans certains cas, doit inciter à la modération de la somme réclamée ; que la somme héritée a servi au financement de travaux et d’aménagements dans sa maison, ainsi qu’à l’achat de matériels informatiques spécialisés ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu la lettre en date du 6 novembre 2001 invitant les parties à faire connaître au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale si elles souhaitent être entendues à l’audience ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 29 septembre 2003, M. Peronnet, rapporteur, Mme T...-B... pour Mme G... à titre d’information, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant que l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoit que des recours sont exercés par le département à l’encontre, notamment, du bénéficiaire de prestations d’aide sociale revenu à meilleure fortune ou à l’encontre de la succession du bénéficiaire ; que l’allocation compensatrice est au nombre de ces prestations ; que la mise en œuvre de ces dispositions n’est pas subordonnée à un seuil dans le cas du retour à meilleure fortune, notamment en cas d’héritage dont la personne handicapée vient à bénéficier ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme Martine G... a bénéficié de l’allocation compensatrice de 1989 à 1992 ; qu’il n’est pas contesté qu’à ce titre la créance départementale s’élève à un montant de 356 638,90 F (54 369,25 Euro) ; que dans le cadre de la succession de sa mère, réglée en 1996, l’intéressée a hérité d’une somme de 162 612,37 F (24 790,10 Euro) ;
    Considérant que la circonstance que Mme Martine G... n’ait pas été informée que les prestations avancées par la collectivité d’aide sociale étaient susceptibles de récupération pour retour à meilleure fortune n’est pas en elle-même de nature à entacher la légalité et le bien-fondé de la décision attaquée ;
    Considérant qu’il résulte des termes mêmes des dispositions précitées qu’il y a lieu de distinguer le recours contre la succession du bénéficiaire de l’aide sociale, qui permet au département d’appréhender celle-ci dans certaines conditions, et le recours contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune qui, lorsque ce dernier reçoit un héritage, ne peut concerner que la part de la succession lui revenant ; que la décision attaquée est dirigée contre Mme Martine G..., en tant que bénéficiaire de l’aide sociale revenue à meilleure fortune, elle-même handicapée bénéficiaire de l’allocation compensatrice pour tierce personne ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la récupération contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune reviendrait à priver d’effet les dispositions relatives à la récupération sur la succession, d’ailleurs non précisées par la requérante, doit être écarté ; qu’au demeurant les deux recours étant prévus par des dispositions législatives distinctes le moyen en tant qu’il met en cause celles relatives à un retour à meilleure fortune est inopérant et ne peut qu’être écarté ;
    Considérant que le recours contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune se fonde sur le caractère d’avance des prestations d’aide sociale ; qu’il ne peut être assimilé, comme le prétend la requérante, à un impôt sur la fortune, qui ne serait alors attaché à aucune contrepartie individuelle ;
    Considérant que si Mme Martine G... soutient que le mécanisme mis en place par l’article 146 précité porte atteinte au principe constitutionnel de non-rétroactivité, fixé par l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, n’étant ni cité dans les textes afférents à l’allocation compensatrice ni porté à la connaissance des intéressés, il n’appartient pas aux juridictions administratives de statuer sur la constitutionnalité de dispositions législatives ; qu’au surplus, l’absence de référence à ce mécanisme dans les textes afférents à l’allocation compensatrice ne suffit pas pour en écarter l’application, eu égard au caractère de prestation d’aide sociale que confèrent à l’allocation compensatrice les conditions auxquelles sont subordonnés son attribution et son versement ; qu’il en est de même du défaut d’information des intéressés, comme cela a été dit ci-dessus ;
    Considérant qu’il n’appartient pas davantage aux juridictions administratives de statuer sur la constitutionnalité de ces dispositions au regard des principes posés par l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
    Considérant que la faculté que détiennent les commissions d’admission à l’aide sociale de fixer le montant des sommes à récupérer, dans le cadre déterminé par la loi et sous le contrôle du juge pour tenir compte de la situation particulière et spécifique de chaque personne concernée n’est pas contraire au principe d’égalité devant la loi, comme le prétend la requérante ;
    Considérant que les dispositions législatives instituant la récupération des prestations avancées par l’aide sociale en cas de retour à meilleure fortune ne constituent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, « une atteinte au principe général de non-discrimination » (entre handicapés et valides) « tel qu’énoncé par l’article 13 du traité d’Amsterdam entré en vigueur le 1er mai 1999 », qui ne saurait contraindre le législateur à limiter les effets de l’admission à l’aide en excluant toute récupération de l’avance consentie par celle-ci aux personnes susceptibles d’y prétendre ;
    Considérant que le moyen tiré de ce que la récupération priverait le bénéficiaire de l’allocation compensatrice du droit de s’enrichir et porterait atteinte au droit de propriété garanti par l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, méconnaît la nature des prestations d’aide sociale, qui, comme il vient d’être rappelé, présentent un caractère d’avance consentie par la collectivité publique et sont à ce titre récupérables ;
    Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’héritage précité, postérieur à l’admission à l’aide sociale, doit être regardé, en tant qu’il augmente la valeur du patrimoine de Mme Martine G..., comme un retour à meilleure fortune au sens des dispositions de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale ; que, dès lors, la commission départementale d’aide sociale de l’Oise n’a pas commis d’erreur de droit en décidant de recouvrer une partie de la créance départementale, soit 162 612,37 F (24 790,10 Euro) sur la part de l’héritage reçue par l’intéressée ;
    Considérant toutefois qu’il appartient à la présente juridiction de se prononcer également sur la demande de modération dont les prestations recouvrées font objet et de l’admettre ; qu’il ressort en effet du dossier que le foyer des époux G... qui ont trois enfants dont deux handicapés visuels comme eux-mêmes supporte des dépenses non négligeables d’équipements divers nécessités par les handicaps de ses membres ; que si les ressources déclarées par Mme Martine G... et son époux s’élèvent à 178 501,00 F (27 212,30 Euro) pour l’année 1997 et 30 587,00 Euro en 2002, il y a lieu néanmoins dans les circonstances de l’espèce de modérer la somme réclamée à hauteur de 10 000,00 Euro ;
    Considérant qu’il n’y a pas lieu par contre, compte tenu de la situation du foyer à la date de la présente décision, de reporter la récupération au décès du dernier conjoint survivant, mais qu’il appartient à Mme Martine G... si elle s’y croit fondée de solliciter des délais de paiement auprès du payeur départemental,

Décide

    Art. 1er.  -  Une somme de 10 000 Euro sera recouvrée à l’encontre de Mme Martine G....
    Art. 2.  -  La décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Oise en date du 28 février 2001 est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.
    Art. 3.  -  Le surplus des conclusions de Mme Martine G... est rejeté.
    Art. 4.  -  La présente décision sera transmise au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées auxquels il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 29 septembre 2003 où siégeaient M. Levy, président, M. Pages, assesseur, M. Peronnet, rapporteur.
    Décision lue en séance publique le 21 octobre 2003.
    La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président Le rapporteur

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M.  Defer