Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Donation
 

Dossier no 022421

Mme R...
Séance du 27 février 2004

Décision lue en séance publique le 29 mars 2004

    Vu la requête présentée le 8 février 2002, par Mme Michelle J..., tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale d’annuler la décision de la commission départementale d’aide sociale du 17 janvier 2002, maintenant la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Lunel du 22 septembre 1999, de récupération sur le donataire d’une somme de 32 660,69 F (4 978,76 Euro), en remboursement de la dette de sa mère bénéficiaire de l’aide sociale ;
    Vu le mémoire en défense, du président du conseil général de l’Hérault, en date du 23 septembre 2002, tendant au rejet de la requête par les motifs que l’article L. 132-8 du code de la famille et de l’aide sociale et la jurisprudence consorts « Ducros » du 18 mai 1998, du Conseil d’Etat ont été correctement appliqués ; que le requérant pourra, lors de la mise en application de la récupération, solliciter auprès de la paierie départementale un étalement de la dette ; que Mme Michelle J... n’a pas apporté des justificatifs suffisants susceptibles de constituer un élément nouveau par rapport à la situation antérieure ;
    Vu enregistré le 24 novembre 2003, le mémoire de Mme Marie Christine D..., fille de Mme J..., exposant que sa mère est hors d’état de continuer à assumer sa dépense et persistant dans les conclusions de celle-ci par les mêmes moyens et par les moyens que depuis août 2003, ses deux frères et elle même ont découvert la situation financière critique de leurs parents ; que sans tenir compte du présent dossier leur dette actuelle s’élève à plus de 130 000 F (19 818,37 Euro) ; que la situation dure depuis quelques années ; qu’un dossier de surendettement a été déposé à la Banque de France de Nîmes et doit passer prochainement en commission ; que le tribunal de grande instance de Montpellier après renonciation à la succession de leur grand-mère leur a accordé l’extinction de la dette envers la maison de retraite ; que même si ses parents bénéficient d’un versement partiel de l’allocation depuis 1993 leur grand-mère n’a pas été placée en maison de retraite à cette époque mais vivait bien au foyer de ses parents qui devaient subvenir à ses besoins et surtout lui procurer les soins médicaux nécessaires ; que l’allocation n’a pas été détournée et a bien servi à aider aux besoins de leur grand-mère ; que dans les dernières années de sa vie celle-ci ne pouvait intellectuellement plus gérer ses biens et a d’ailleurs dû être placée plusieurs fois en hôpital psychiatrique pour des soins et devait être surveillée constamment ; que l’état de santé de leurs parents les a conduits à placer leur grand-mère en novembre 1996, et que depuis lors ils n’ont plus réussi à faire face aux dettes ; qu’il les aide ponctuellement à faire face aux quelques factures qui arrivent pour qu’ils puissent vivre décemment ;
    Vu enregistré le 2 février 2004, le nouveau mémoire du président du conseil général de l’Hérault persistant dans ses précédentes conclusions par les mêmes motifs et les motifs que le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier est sans incidence sur une action en récupération au titre d’un recours sur donation déguisée en raison du non-reversement des ressources à la maison de retraite et non sur succession ; que le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier du 26 juin 1997 ne concerne en aucun cas une extinction de dette mais bien l’extinction de l’instance suite à l’assignation du 5 juin 1997, de Mme Marthe R... représentée par son gérant de tutelle contre les obligés alimentaires du fait du décès de Mme R... et qu’ainsi l’argument évoqué de l’extinction de la dette due au non-versement de l’allocation compensatrice pour tierce personne à la maison de retraite ne peut être prise en compte ; que c’est à tort que la requérante avance que l’administration départementale qui a transmis dès avant le nouveau mémoire des enfants de Mme J... la décision de la commission de surendettement le 13 novembre 2003, n’a pas respecté ses obligations d’informations devant la présente juridiction ; que des délais de paiements pourraient être sollicités auprès du payeur départemental ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu le décret du 17 décembre 1990 ;
    Vu la lettre du 24 octobre 2003, invitant les parties à faire connaître au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale si elles souhaitent être entendues à l’audience ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 27 février 2004, Mme Giletat, rapporteur, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Sans qu’il soit besoin de pourvoir à la régularisation du mémoire en réplique par la requérante et de statuer sur les moyens soulevés pour demander la décharge ou la remise de la créance de l’aide sociale ;
    Considérant que les moyens d’appel et de première instance sont inopérants ou non fondés ; que s’agissant d’une récupération sur le donataire le moyen tiré de la renonciation à la succession est en tout état de cause inopérant ; que Mme J... ne prouve pas en tout état de cause que les sommes qu’elle a conservées par devers elle alors que sa mère lui avait donné procuration pour les utiliser à son profit et notamment en paiement de ses frais d’hébergement aient été compensées par la charge qu’elle aurait assumée pour un montant au moins égal des dettes de sa mère ; qu’en tout état de cause encore la somme récupérée - 32 619,69 F - (4 904,24 Euro), concerne des périodes ou Mme R... disposait de revenus (en ce comprise mais pas seulement l’allocation compensatrice) lui permettant de payer les maisons de retraite ou elle était hébergée et qui ont été conservés par Mme J... laquelle disposait d’une procuration de sa mère pour les percevoir et les utiliser aux besoins de Mme R... (somme due à la maison de retraite de Soubès 19 044 F (2 903,24 Euro), pour des séjours de juillet à août 1996 et 14 789 F (2 254,57 Euro) mars à mai 1997 ; sommes provenant des revenus de Mme R... utilisées par Mme J... aux paiements des frais de séjour à la maison de retraite du Grau-du-Roi du 1er janvier au 1er juillet 1994 : 13 111,39 F (1 998,82 Euro), selon l’administration ;
    Mais considérant que la question à nouveau posée par la requête est de savoir si compte tenu de ces moyens, il appartient à la commission centrale d’aide sociale d’examiner le fondement de la récupération invoqué par l’administration ; qu’il sera considéré que tel est le cas en tout état de cause dans la mesure ou Mme R... n’avait pas fait de donation à sa fille la commission centrale d’aide sociale en statuant notamment sur le moyen tiré de ce que la donation alléguée (non-utilisation des fonds dans le cadre de la procuration aux besoins de la mandante) a été compensée par débours effectués par la mandataire requérante pour celle ci conduirait le juge non seulement à faire une fausse application de l’article 146 b du code de la famille et de l’aide sociale alors applicable mais à faire application de ce texte alors qu’il serait inapplicable s’il ne s’agit pas d’une donation ; que d’ailleurs, il est bien soutenu que tel n’est pas le cas ; qu’ainsi il y a lieu dans le cadre du champ d’application de l’article 146 b de se prononcer sur l’existence d’une donation de Mme R... à Mme J... fondement du recours exercé par le président du conseil général de l’Hérault ;
    Considérant que celui ci soutient que la non-utilisation par Mme J... de revenus de sa mère qui lui avait donné procuration pour les percevoir et les utiliser à ses besoins et notamment au paiement de ses frais de séjour en maison de retraite constitue une donation déguisée ;
    Considérant que le président du conseil général se prévaut des termes de la décision Ducros du Conseil d’Etat du 10 mai 1998, intervenue dans une situation comparable dans laquelle le Conseil d’Etat a jugé que constituait une donation (qu’il n’a qualifiée ni comme donation déguisée ni comme don manuel) le fait pour le fils d’une personne admise dans un service « chronique » pris en charge par l’assurance maladie (et non en long séjour aux frais de l’aide sociale nonobstant les qualificatifs « hébergement ») de conserver par-devers lui durant la même période la pension de retraite de sa mère qui lui avait donné procuration pour percevoir et utiliser ses revenus, sans l’utiliser « pour le seul intérêt » de la mandante et les besoins de celle-ci ;
    Considérant toutefois qu’une donation déguisée implique la preuve par l’administration d’une commune utilisation par les parties d’un acte juridique apparent pour dissimuler l’acte « véritable » correspondant à leur volonté commune réelle impliquant en réalité une intention libérale de l’une des parties à l’égard de l’autre ; qu’en l’espèce il ressort du dossier qu’en aucun cas Mme R... et Mme J... ne sont convenues de la procuration donnée par la première à la seconde pour permettre à celle ci d’obtenir à son profit les deniers de celle là, au détriment des gestionnaires des maisons de retraite, tiers à l’acte ; qu’ainsi l’administration n’établit pas l’existence en l’espèce d’une donation déguisée manifestant l’intention libérale de Mme R... vis-à-vis de Mme J..., alors d’ailleurs qu’il ressort suffisamment du dossier que la mère et la fille n’entretenaient pas de bonnes relations et qu’il était fort peu vraisemblable que Mme R... ait entendu ainsi, en lui donnant procuration, gratifier cette dernière ; qu’il est ainsi clair, sans qu’il y ait lieu à un renvoi préjudiciel à l’autorité judiciaire, que Mme R... n’a pas consenti à Mme J... une donation déguisée ;
    Considérant que l’acte dont procède la récupération litigieuse s’analyserait en réalité non comme la donation déguisée dont fait état l’administration, mais comme le don manuel ; qu’en effet une procuration permettant au mandataire d’entrer en possession de fonds du mandant peut révéler le cas échéant l’existence d’un tel don ; mais considérant qu’en vertu de l’article 2231 du code civil la remise de fonds au mandataire laisse présumer la précarité de son titre, mais que la présomption peut être renversée par la preuve de l’intention libérale du mandant ; qu’une telle preuve appartient en l’espèce à l’administration qui entend requalifier en libéralité de Mme R... à Mme J... l’utilisation de fonds de la première au bénéfice de la seconde ; qu’il est clair qu’une telle preuve n’a été à aucun moment apportée par le président du conseil général de l’Hérault auquel elle appartient ; qu’ainsi, le don manuel non plus que la donation déguisée ne sont établis et sans qu’il y ait lieu ici encore de renvoyer les parties à titre préjudiciel devant l’autorité judiciaire le président du conseil général de l’Hérault n’est pas fondé à demander en l’espèce l’application des dispositions de l’article 146 b du code de la famille et de l’aide sociale devenu l’article L. 132-8 2e du code de l’action sociale et des familles et les décisions attaquées doivent être annulées ;

Décide

    Art. 1er. - La décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Hérault et la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Lunel des 17 janvier 2002, et 22 septembre 1999, sont annulées.
    Art. 2. - Il n’y a lieu a récupération à l’encontre de Mme J... de la somme de 4 978,76 Euro (32 658,52 F), sur le fondement de l’article L. 132-8 2e du code de l’action sociale et des familles.
    Art. 3. - La présente décision sera transmise au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 27 février 2004 où siégeaient M. Levy, président, Mme Kornmann, assesseur, et Mme Giletat, rapporteur.
    Décision lue en séance publique le 29 mars 2004.
    La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président Le rapporteur

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M.  Defer