Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Donation - Assurance vie - Qualification de l’acte
 

Dossier no 042242

Mme A...
Séance du 1er avril 2005

Décision lue en séance publique le 21 avril 2005

    Vu, enregistrée le 20 janvier 2004, la requête de Mme Anny A... représentant sa mère Mme Blanche A... tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale d’annuler une décision de la commission départementale d’aide sociale de Vaucluse du 4 novembre 2003, confirmant la décision de la commission d’admission d’aide sociale du canton de Gordes du 17 février 2003, de récupération d’une créance de 29 884,69 euros par les moyens que son père René A..., atteint d’une maladie incurable et invalidante, en fauteuil roulant a dû solliciter l’allocation compensatrice pour tierce personne, puis la prestation spécifique dépendance dès 1997 ; que cette aide a permis son maintien à domicile et une fin de vie plus sereine ; que son père M. René A... avait souscrit en 1992 un PEP qui lui permettait d’améliorer ses revenus ; que ce contrat souscrit pour huit ans est arrivé à échéance en 2000 ; qu’à cette période l’état de santé de son père était très dégradé et sa fin de vie proche ; qu’il disposait de 64 heures d’aide à domicile par mois et du passage d’une infirmière deux fois par jour, de l’intervention active de sa mère qui s’épuisait et d’elle-même qui en retraite anticipée pour invalidité a dû quitter son domicile de Saint-Cyr pour leur apporter son aide ; que c’est dans un état de grande fatigue qu’elle a sollicité conseils auprès du directeur de la banque qui lui a conseillé de remplacer le PEP et de souscrire un contrat d’assurance vie (Plurivalors fréquence) afin de ne pas bloquer le capital au décès de son père ; qu’elle a alors décidé de faire désigner Mme Blanche A... son épouse, le contrat ayant été souscrit avec des fonds communs ; qu’en aucun cas il n’a été évoqué la possibilité de considérer le contrat comme une donation de fait ; qu’à la suite les conseils du directeur de banque se sont révélés désastreux, d’autant plus que le capital versé le 13 septembre 2000 était de 60 064,90 euros et qu’au décès de son père le 26 avril 2002, la valeur du contrat n’était plus que de 48 744,81 euros ; que sa mère ne dispose que de faibles ressources et que le capital réclamé de 29 884,69 euros constituerait un apport non négligeable ;
    Vu le mémoire du président du conseil général du Vaucluse en date du 8 juin 2004, qui conclut au rejet de la requête par les moyens que les principes fondateurs de l’aide sociale sont la subsidiarité et la récupération ; que, conformément à l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, « des recours sont exercés... par le département... contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande.... » ; qu’une abondante jurisprudence des juridictions de l’aide sociale relève qu’un contrat ne saurait faire obstacle au droit d’exercer l’action en récupération contre le donataire par le président du conseil général, fondé sur l’article sus-mentionné ; que les dispositions de l’article 894 du code civil « la donation entre vifs est un acte par lequel le donataire se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ; que l’assurance vie est une stipulation au profit d’autrui ; que M. A... en a contracté une à l’âge de 88 ans, moyennant une prime unique importante et hors succession ; que le contrat a été exécuté au décès de ce dernier, sans contrepartie, le capital ayant été attribué à son épouse dont la désignation relève d’une intention libérale ; que par ailleurs le patrimoine successoral de M. A... était composé de fonds disponibles au jour du décès d’environ 39 000 euros et d’une donation au profit de sa fille Mlle Anny A... ; que le remboursement de la créance départementale de 29 884,69 euros ne porte gravement atteinte ni à la prime délivrée à Mme A... au titre du contrat litigieux (48 744,81 euros), ni aux ressources de la requérante ; que les arguments évoqués par Mme A... ne sont pas fondés, à savoir un déficit d’explications relatif au recours donataire (nul n’est censé ignorer la loi) - les conditions de fatigue, de désarroi et de confusion dans lesquelles elle a souscrit ledit contrat - son insatisfaction à l’encontre du directeur de la banque qui l’aurait mal conseillée, se trouvant ainsi lésée dans l’exécution dudit contrat - la faiblesse de ses ressources ; qu’enfin le bénéficiaire de l’aide a signé les avis et notifications émanant du département, l’informant des conséquences de l’octroi des prestations allouées ;
        Vu la lettre en date du 4 janvier 2005, invitant les parties à l’instance à se présenter à l’audience ;
        Après avoir entendu, à l’audience publique du 1er avril 2005, Mlle Erdmann, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
        Considérant que Mme Blanche A... a uniquement soutenu en première instance que « l’assurance vie est un contrat aléatoire et ne saurait être considérée comme une donation » ; que le premier juge a considéré que « la totalité des avoirs figurant au PEP » (échu) « versés dans le cadre d’un contrat d’assurance vie constitue une donation indirecte ou déguisée » ; que, sans abandonner ce moyen qu’elle peut être regardée comme formulant à nouveau, Mme A... soutient en outre en appel que le contrat a été souscrit sur les conseils de sa banque ; qu’il l’a été moyennant l’utilisation de fonds de communauté (régime matrimonial des époux A...) ; que l’opération s’est révélée négative, la prime étant de 60 019,20 euros et le capital versé de 48 744,86 euros ; qu’enfin la requérante fait état du « climat de désarroi, de fatigue et de confusion » dans lequel son époux, gravement malade, a souscrit par les soins de leur fille, Mme Annie A..., le contrat litigieux ;
        Considérant que la motivation susrappelée des premiers juges est entachée d’erreur de droit et d’incertitude voire de contradiction des motifs ; que la souscription d’un contrat d’assurance vie stipulation pour autrui en la forme d’un acte neutre apparent ne peut constituer une donation déguisée entre époux, qui suppose la création d’une fausse apparence dissimulant l’acte véritable sous l’apparence de l’acte passé ; qu’elle est susceptible par contre de constituer une donation indirecte si l’intention libérale du stipulant à l’égard du bénéficiaire est établie ; qu’ainsi en motivant comme ils l’ont fait leur décision les premiers juges n’ont pas permis au juge d’appel d’exercer son contrôle, mais que la régularité de leur décision n’est pas contestée et que le défaut de motivation dont il s’agit n’a pas lieu d’être examiné comme étant d’ordre public ; qu’il y a lieu par contre d’examiner l’ensemble des moyens susrappelés ;
        Considérant qu’il n’est pas allégué et ne ressort pas du dossier que la désignation de Mme Blanche A... comme bénéficiaire du capital promis par l’assureur lors de la souscription du contrat, conclu par M. René A..., s’accompagnât de la désignation de M. René A... en qualité de bénéficiaire en cas de décès de Mme Blanche A... ; qu’ainsi l’assurance vie-décès n’ayant pas au vu du dossier soumis à la commission centrale d’aide sociale été souscrite conjointement est bien susceptible d’être requalifiée comme donation indirecte, si l’intention libérale du stipulant est établie ;
        Considérant que M. René A... était gravement malade lorsqu’il a, à l’âge de 88 ans, contracté le contrat litigieux en désignant pour bénéficiaire son épouse âgée de 85 ans et dont l’état de santé n’apparaît pas avoir été particulièrement détérioré (elle est d’ailleurs toujours en vie) ; que le montant susrappelé de la prime versée était nettement supérieur à celui des capitaux mobiliers possédés à son décès dix-neuf mois plus tard, inférieure à 40 000 euros ; qu’ainsi dans les circonstances où il a été souscrit il révèle l’intention libérale du souscripteur à l’égard de la bénéficiaire et que l’administration établit, comme elle en a la charge, l’existence d’une donation indirecte ;
        Considérant, il est vrai, qu’il n’est pas contesté que les fonds investis par M. René A... provenaient de la communauté des époux A..., qui n’avaient pas souscrit de contrat de mariage et qu’ainsi la valeur de la police faisait partie de l’actif de communauté ; que toutefois l’action en récupération s’exerce au titre du montant des primes souscrites par le stipulant et non à celui du capital perçu par le bénéficiaire ; que, comme il a été rappelé, le montant dont s’agit était de 60 064,91 euros ; que le montant des prestations récupérées de 29 884 euros est inférieur à la moitié du montant des primes à laquelle le capital perçu est lui-même d’ailleurs supérieur alors par ailleurs que le fait que le contrat souscrit ait été alimenté par des fonds communs n’est pas de nature à interdire sa requalification en donation indirecte, même si seule la moitié des primes versées peut être appréhendée par l’aide sociale ; que dans ces conditions le moyen tiré par Mme Blanche A... de ce que les fonds qui ont servi au versement de la prime étaient des fonds communs ne peut être accueilli ;
        Considérant, cependant, qu’il n’est pas contesté que les revenus de Mme Blanche A... sont modestes ; qu’il ressort clairement des éléments du dossier qu’elle a assumé la charge de son époux gravement malade et handicapé durant de longues années et maintenu à leur domicile, au-delà des obligations que lui imposaient ses devoirs de secours et de soins conjugaux ; que si pour autant la donation n’est pas rémunératoire, ce qui n’est du reste pas soutenu, et si elle reste percevoir 18 880 euros sur le capital versé, d’ailleurs avant paiement des droits, le contrat ayant été souscrit après 70 ans, après remboursement de la créance de l’aide sociale et même si elle n’apparaît pas en situation de précarité, il y a lieu compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce de modérer la créance et de limiter la récupération à 20 000 euros ;

Décide

        Art. 1er.  -  La récupération exercée à l’encontre de Mme Blanche A... au titre des prestations avancées par l’aide sociale à feu son époux, M. René A... est limitée à 20 000 euros.
        Art.  2.  -  La décision de la commission départementale d’aide sociale de Vaucluse et la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Gordes en date des 4 novembre 2003 et 17 février 2003 sont réformées en ce qu’elles ont de contraire à l’article 1er.
        Art.  3.  -  Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
        Art.  4.  -  La présente décision sera transmise au ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, au ministre des solidarités, de la santé et de la famille, à qui il revient d’en assurer l’exécution.
        Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 1er avril 2005 où siégeaient M. Lévy, président, Mme Kornmann, assesseure, Mlle Erdmann, rapporteure.
        Décision lue en séance publique le 21 avril 2005.
        La République mande et ordonne au ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, au ministre des solidarités, de la santé et de la famille, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
            Le président La rapporteure            

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M.  Defer