Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Aide sociale aux personnes handicapées (ASPH) - Recours en récupération - Donation - Assurance vie
 

Conseil d’État statuant au contentieux
Dossier no 259385

Département de la Dordogne
Séance du 9 janvier 2006

Lecture du 6 février 2006

    Vu la requête, enregistrée le 11 août 2003, au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par le département de la Dordogne, représenté par le président du conseil général ; le département de la Dordogne demande au Conseil d’État d’annuler la décision du 4 avril 2003 par laquelle la commission centrale d’aide sociale a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 7 mars 2002 de la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne renvoyant à titre préjudiciel les parties à se pourvoir devant l’autorité judiciaire pour qu’il soit statué sur la requalification en donation du contrat d’assurance vie souscrit en 1999 par Mme Armelle L... au bénéfice de sa fille, Mme Jacqueline H... ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu le code civil ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de justice administrative ;
    Après avoir entendu en audience publique :
    -  le rapport de Mlle Anne Courreges, maître des requêtes ;
    -  les observations de la SCP W..., F..., H..., avocat de Mme H... ;
    -  les conclusions de M. Christophe Devys, commissaire du Gouvernement ;
    Considérant, d’une part, qu’en vertu des dispositions du 2o de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, une action en récupération est ouverte au département, notamment « b) contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale (...) » ; d’autre part, qu’aux termes de l’article 894 du code civil « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ;
    Considérant qu’un contrat d’assurance vie aux dispositions des articles L. 132-1 et suivants du code des assurances, dans lequel il est stipulé qu’un capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à l’échéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, n’a pas en lui-même le caractère d’une donation, au sens de l’article 894 du code civil ; que, toutefois, la qualification donnée par les parties à un contrat ne saurait faire obstacle au droit pour l’administration de l’aide sociale de rétablir, s’il y a lieu, sa nature exacte, sous le contrôle des juridictions de l’aide sociale et sous réserve pour ces dernières, en cas de difficulté sérieuse, d’une question préjudicielle ; qu’à ce titre, un contrat d’assurance vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l’intention libérale est établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, doit être regardé, en réalité, comme s’étant dépouillé de manière à la fois actuelle et irrévocable au profit du bénéficiaire à raison du droit de créance détenu sur l’assureur ; que, dans ce cas, l’acceptation du bénéficiaire, alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale ;
    Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite du décès de Mme L..., qui avait perçu l’allocation compensatrice pour tierce personne durant la période allant du 1er novembre 1992 au 31 décembre 1997, le département de la Dordogne a décidé, en novembre 2001, d’exercer une action en récupération de sa créance d’aide sociale à l’encontre de la fille de l’allocataire, Mme H..., regardée comme ayant bénéficié d’une donation du fait du contrat d’assurance vie souscrit par sa mère en 1999, alors âgée de 90 ans ; que, sur requête de Mme H..., la commission départementale de la Dordogne a estimé, par une décision en date du 7 mars 2002, que la question de la requalification en donation de ce contrat ne pouvait être tranchée que par la juridiction judiciaire et a renvoyé le département de la Dordogne et Mme H... à se pourvoir à titre préjudiciel devant elle ; que, par la décision attaquée, la commission centrale d’aide sociale a confirmé la régularité de ce renvoi préjudiciel ;
    Considérant, toutefois, qu’il ne peut y avoir matière à question préjudicielle que si la question posée relève d’un autre ordre de juridiction, soulève une difficulté sérieuse et est nécessaire à la solution du litige ; qu’en l’espèce, la question de requalification en donation du contrat d’assurance vie souscrit par la mère de Mme H... mettrait en cause l’interprétation de disposition du code civil et, pour établir l’intention libérale du souscripteur, ne conduisait les juges du fond qu’à se prononcer sur des éléments essentiellement factuels ne concernant ni l’interprétation ni la validité du contrat litigieux ; que, par suite, en jugeant que cette question soulevait une difficulté sérieuse justifiant qu’il soit sursis à statuer pour permettre à la juridiction judiciaire de la trancher, alors qu’elle n’exigeait que des interprétation et appréciations relevant de la compétence des juridictions de l’aide sociale, la commission centrale d’aide sociale a commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, le département de la Dordogne est fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ;
    Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que c’est à tort que la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne, dans sa décision du 7 mars 2002, a jugé la question de la requalification en donation du contrat d’assurance vie souscrit par la mère de Mme H... soulevait une difficulté sérieuse justifiant qu’il soit sursis à statuer pour permettre à la juridiction judiciaire de la trancher ; qu’ainsi, sa décision doit être annulée ;
    Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer sur la demande présentée par Mme H... devant la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne ;
    Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme L..., qui bénéficiait depuis 1992 de l’aide sociale de la part du département de la Dordogne, a souscrit en 1999, alors qu’elle était âgée de 90 ans, un contrat d’assurance vie pour un montant de plus de 30 000,00 euros, soit une part importante de son patrimoine, et dont les bénéficiaires étaient la contractante elle-même et, en cas de décès de celle-ci avant le terme, sa fille, Mme H... ; qu’après son décès intervenu 18 mois plus tard, sa fille a accepté le bénéfice de l’assurance vie ; que, dans les circonstances de l’espèce, l’intention libérale de Mme L... à l’égard de sa fille est établie ; que, par suite, Mme H... doit être regardée comme la bénéficiaire d’une donation pouvant donner lieu à la récupération par le département de la Dordogne de sa créance d’aide sociale ;
    Considérant, toutefois, qu’eu égard à la situation financière de Mme H..., il y a lieu de limiter à 15 000,00 euros le montant récupérable par le département ;
    Considérant, enfin, que les dispositions de l’article L. 761-1 du coede de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme H... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Décide

    Art. 1er.  -  La décision du 4 avril 2003 de la commission centrale d’aide sociale, ensemble la décision du 7 mars 2002 de la commission départementale d’aide sociale de la Dordogne, sont annulées.
    Art. 2.  -  La somme que le département de la Dordogne est autorisé à récupérer à l’encontre de Mme H... est fixée à 15 000,00 euros.
    Art. 3.  -  Les conclusions présentées par Mme H... devant le Conseil d’État au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
    Art. 4.  -  La présente décision sera notifiée, à Mme Jacqueline H... et au ministre de la santé et des solidarités.