Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Donation - Assurance-vie
 

Dossier no 051212

Mme Marie-Joséphine E...
Séance du 17 février 2006

Décision lue en séance publique le 8 mars 2006

    Vu le recours en date du 1er novembre 2004, présenté par Mme Marie-Joséphine E..., dirigé contre la décision du 12 mars 2004, par laquelle la commission départementale d’aide sociale de Paris confirmant celle de la commission d’admission à l’aide sociale de Paris 20e du 28 novembre 2002, décidant de récupérer au décès de la donatrice une somme de 39 009,35 euros contre les 4 enfants donataires ensemble et pour un quart chacun, eu égard aux primes versées dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie souscrit le 24 novembre 1996, par Mme Victoria M..., sa mère, de son vivant bénéficiaire de l’aide sociale, par les moyens que de manière indue, le département de Paris a proposé à sa mère le bénéfice de prestations qu’elle savait être récupérables à son profit, sans que cette dernière, ni elle-même en tant que fille et héritière de l’assistée, n’aient été informées de cette faculté ; que la qualification de la souscription du contrat d’assurance-vie au profit des quatre enfants de l’assistée, appréciée par le département de Paris comme une libéralité dépourvue de contrepartie et de tout aléa sérieux est donc analysée par cette dernière comme donation déguisée n’a pas de fondement juridique ; que la gérante de tutelle de l’assistée décédée n’a pas rempli ses obligations, par défaut d’information des donataires ; qu’elle est l’objet de pressions familiales pour la dissuader d’exercer le présent recours ; qu’elle est enfin dans une situation de précarité et d’invalidité ;
    Vu enregistré le 11 mars 2005, le mémoire en défense du président du conseil de Paris statuant en formation de conseil général tendant au maintien de la décision de la commission départementale d’aide sociale et laissant à la commission centrale d’aide sociale le soin d’estimer s’il y a lieu d’appliquer les dispositions de l’article 95 de la loi du 11 février 2005, par les motifs que la motivation de la décision attaquée est conforme à la jurisprudence de la commission centrale d’aide sociale ; que l’acceptation post mortem suffit à établir la libéralité ; que le Conseil d’Etat a confirmé la jurisprudence de la commission centrale d’aide sociale ; que la souscription du contrat à 76 ans et l’affectation au placement de la plus grande partie du patrimoine établissent l’intention libérale ; que les primes étaient manifestement exagérées par rapport aux facultés de la stipulante ; que l’absence d’information de ses enfants est sans incidence ; que les circonstances dans lesquelles est intervenue la souscription du contrat ne peuvent qu’être sans incidence sur l’exercice du recours ; qu’il en va de même des pressions familiales alléguées, le juge de l’aide sociale n’ayant pas à s’immiscer dans les relations privées ; que le montant de la créance est largement inférieur à celui du patrimoine et que les héritiers de Mme Victoria M... bénéficient par ailleurs des dispositions fiscales plus favorables pour les droits de succession ; que la commission départementale d’aide sociale s’est prononcée sur des chiffres erronés quant au montant de la dette dans la mesure où l’abattement forfaitaire de 760 euros ne devait pas être appliqué à chacune des créances en présence, mais qu’il considère que sa décision ne peut à ce jour être aggravée ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code civil ;
    Vu le code des assurances ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu la loi du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 17 février 2006, Mme Ciavatti, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant que les dispositions de l’article 95 de la loi du 11 février 2005, relatives à l’obligation pour le juge, saisi d’une instance contre une décision de récupération antérieure à son entrée en vigueur, de ne pas maintenir celle-ci sont sans application en l’instance qui concerne la récupération contre le donataire et non celle contre la succession à laquelle elles s’appliquent seulement ;
    Considérant que si un contrat assurance-vie décès acte neutre peut être requalifié le cas échéant en donation indirecte compte tenu notamment de l’aléa qu’il comporte, eu égard à l’âge du stipulant et au montant de la prime au regard de la situation financière du souscripteur en revenus et patrimoine, il appartient à l’administration de l’aide sociale d’établir l’intention libérale du souscripteur à l’égard du bénéficiaire ; qu’il appartient au juge de l’aide sociale d’apprécier les éléments factuels dont procède ou non l’intention libérale sans qu’il y ait lieu s’agissant de cette appréciation à question préjudicielle ;
    Considérant en l’espèce que Mme Victoria M... atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis 1981, a dû, compte tenu de son état, être placée en maison de retraite en 1993, puis placée sous gérance de tutelle extérieure à la famille ; qu’elle a dû en 1995 vendre son appartement à Paris 11e et que le produit de cette vente a été utilisé avec l’accord du juge des tutelles par le gérant de tutelle alors en fonction - et sans que les enfants de l’intéressée ne soient informés - à la souscription d’un contrat d’assurance-vie moyennant une prime de 700 000 F ;
    Considérant que Mme Victoria M... étant hors d’état elle-même de manifester une intention quelconque à l’égard de ses enfants, aucune intention libérale de la sorte ne peut, dans les circonstances de l’espèce, lui être imputée ; que d’ailleurs et, en tout état de cause, il n’est pas établi par les pièces du dossier que le gérant de tutelle, alors que sa protégée qui n’était atteinte d’aucune affection à pronostic vital à brève ou moyenne échéance était âgée de soixante-seize, ans et d’ailleurs que si le montant de la souscription exonéré de droit d’enregistrement 30 490 euros sur un montant total de 106 714,20 euros avait été investi dans une autre forme de placement, les quatre héritiers en ligne directe de l’assistée n’en auraient pas moins été, à son décès le 16 août 2002, exonérés de droits, aurait souscrit le contrat litigieux dans une intention libérale vis-à-vis des enfants de Mme Victoria M... et non dans une optique de gestion, selon lui, avisée du patrimoine de sa protégée ; que dans ces conditions le contrat ne peut être requalifié en donation indirecte et il n’y a pas lieu à récupération ;
    Considérant en outre, en eût-il été jugé autrement, qu’en tout état de cause il ressort du dossier que Mme Marie-Joséphine E... a comme ses trois frères et sœurs perçu 26 375 euros après le décès de sa mère ; que si le président du conseil de Paris statuant en formation de conseil général fait état d’un revenu mensuel de 1 498 euros, les revenus déclarés au titre de l’année 2003 sont de 10 456 euros ; qu’elle est atteinte d’une grave maladie de caractère évolutif l’obligeant notamment à envisager la location d’un appartement adapté ; que dans ces conditions il y aurait eu lieu, en tout état de cause, de remettre la créance ; que celle-ci est par contre définitive sur ses trois co-donataires qui n’ont pas interjeté appel de la décision de la commission départementale d’aide sociale de Paris du 12 mai 2004 ;

Décide

    Art. 1er. - La décision de la commission départementale d’aide sociale de Paris du 12 mai 2004, et la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Paris 20e du 3 décembre 2002, sont annulées en tant qu’elles concernent Mme Marie-Joséphine E....
    Art. 2. - Il n’y a lieu à récupération à l’encontre de Mme Marie-Joséphine E... à hauteur de ses droits dans le capital perçu au titre du contrat d’assurance-vie souscrit par Mme Victoria M... des prestations avancées à cette dernière par l’aide sociale.
    Art. 3. - La présente décision sera transmise au ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 17 février 2006 où siégeaient M. Levy, président, M. Reveneau, assesseur, Mme Ciavatti, rapporteure.
    Décision lue en séance publique le 8 mars 2006.
    La République mande et ordonne au ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
            Le président La rapporteure            

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M.  Defer