Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

2320
 
  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Succession - Personnes handicapées - Charge effective et constante
 

Dossier no 060092

M. Jean-Yves B...
Séance du 23 octobre 2006

Décision lue en séance publique le 15 décembre 2006

        Vu enregistré au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale en date du 30 janvier 2005, la requête présentée par Mme Françoise D..., tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale annuler la décision de la commission départementale d’aide sociale du Rhône en date du 7 décembre 2004, par les moyens qu’elle conteste la manière dont le dossier a été traité ; qu’elle reconnaît que si sa sœur, tutrice, a eu une lourde charge, elle déplore qu’on lui retire tout le mérite qu’elle a eu elle-même et son époux ; qu’elle tient à rectifier certains dires ; qu’elle n’avait pas à rendre de comptes à Madame D... ; qu’elle a remué ciel et terre pour obtenir un placement ; qu’ils se sont également occupés de la mise en vente de l’appartement de Bandol et évité des placements immobiliers qui auraient entraîné pour sa sœur des charges de gestion ; qu’elles se concertaient entre elles en cas de problème, mais qu’elle avait du mal à joindre sa sœur ; qu’en cas de problèmes techniques, de bricolage, son conjoint s’en occupait ; qu’ils ont failli se brouiller à cause de cette commission ; qu’elle trouve regrettable que sa sœur n’ait rien dit en faveur d’elle-même et de son conjoint ; qu’elle a parlé en faveur de sa sœur sans en rajouter ; qu’elle n’a pas à rougir de ce qu’ils ont fait, elle et son conjoint, dans l’ombre ;
        Vu le mémoire en défense du président du conseil général du Rhône en date du 20 septembre 2005, qui conclut au rejet de la requête par les moyens qu’au titre de l’aide sociale aux personnes handicapées M. Jean-Yves B... a bénéficié de la prise en charge des frais d’hébergement et d’entretien dans plusieurs établissements depuis 1977 ; que les avances consenties par le département au titre de cette prestation s’élèvent à 278.754,53 euros pour la période du 1er janvier 1977 au 31 mai 2002 (créance 203 non réglée à la date d’établissement de la créance) ; que le défunt laisse pour lui succéder deux sœurs Mme Françoise D... née B... et Mlle  Régine B... ; que suivant acte notarié établi par maître Marc D..., il apparaît que l’actif net successoral s’élève à 224.102,09 euros ; que concernant le bien fondé de la récupération, l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles dispose qu’un recours peut être exercé par le département contre la succession du bénéficiaire de l’aide sociale ; que ce recours s’exerce sur l’actif net successoral défini par les règles de droit commun ; qu’en l’espèce, la succession de M. Jean-Yves B... présente un actif de 224.102,09 euros ; que le recours en récupération est donc fondé en droit en application des dispositions précitées, compte tenu de la créance départementale arrêtée à 278.754,53 euros ; qu’il convient de rappeler qu’au titre d’un recours contre succession, les frais d’hébergement engagés par le département sont récupérés au premier euro de la créance d’aide sociale et de la succession ; que l’article L. 242-10, alinéa 2, du Code de l’action sociale et des familles dispose qu’il n’est exercé aucun recours en récupération des prestations d’aide sociale à l’encontre de la succession du bénéficiaire décédé lorsque ses héritiers sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; que le fait d’avoir pris pour M. Jean-Yves B... (frère et beau-frère), des décisions administratives, familiales et affectives et de lui avoir rendu visite en établissement ne semblent pas être des circonstances suffisantes permettant d’estimer que M. et Mme D... ont assumé de façon effective et constante la charge de M. Jean-Yves B... ;
        Vu le mémoire en réplique de Mme Françoise D... en date du 27 février 2006, qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens et les moyens que le mémoire en défense de la commission évoque assez peu le contenu de son recours et cite abondamment la loi ; que lors de la commission, ni sa sœur, ni Mme M... se sont exprimées ; qu’elle a lu le document qu’elle avait préparé car elle croyait que la décision serait prise après audition des requérants ; qu’il semble qu’elle aurait dû envoyer ce document avant la commission mais qu’elle ne bénéficiait pas des conseils d’une assistante sociale ; que la loi leur semble injuste car ils savent que tous les départements ne sont pas traités de la même façon ; que le département du Rhône serait celui qui récupère le plus ; qu’ils ont fait confiance à un conseiller financier qui ne leur a pas exposé les conséquences de chaque type de placement ; qu’une assurance-vie leur aurait été plus favorable ; qu’ils ont privilégié les performances de placement pour assurer l’avenir de leur frère ; qu’elle a dit en commission qu’elle avait assumé le rôle de l’aîné jusqu’à son mariage à l’âge de vingt quatre ans ; qu’elle n’avait pas le droit de vivre comme les autres ; qu’elle ne pouvait pas faire ce que son frère ne pouvait pas faire comme monter à vélo par exemple ; qu’elle n’avait pas droit à un avenir ; qu’elle a fait à quarante ans, ce qu’elle n’a pu faire à vingt ans ; qu’elle a passé sa licence à quarante deux ans après avoir été étudiante salariée à quarante ans ; qu’elle a eu son CAPES à quarante six ans ; qu’aujourd’hui professeur, elle se serait mieux insérée dans les années soixante dix ; que la loi lui semble en décalage avec ce qu’elle a vécu ; que si elle comprend qu’on veuille usage du droit, elle comprend moins d’être exclue de la succession de son frère comme elle l’a été dans la vie ; qu’elle souhaite ne pas être totalement exclue de la succession de son frère ;
        Vu la décision attaquée ;
        Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
        Vu le code de l’action sociale et des familles ;
        Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
        Vu le code civil ;
        Vu la lettre du 9 février 2006, invitant les parties à faire connaître au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale si elles souhaitent être entendues à l’audience ;
        Après avoir entendu à l’audience publique du 23 octobre 2006, Mlle Erdmann, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
        Considérant que si dans son mémoire en réplique Mme  Françoise D..., fait état de ce qu’elle a seule présenté des observations orales à la commission départementale d’aide sociale - à l’exclusion de sa sœur et d’une assistante sociale présentes à l’audience - elle n’allègue pas que sa sœur avait demandé à présenter de telles observations ; qu’ainsi la procédure devant les premiers juges n’a pas été irrégulière ;
        Considérant que contrairement a ce qu’ont énoncé les premiers juges, le moyen formulé au soutien de la demande des héritières de M. Jean-Yves B... faisant état de ce qu’elles avaient l’une et l’autre assuré la charge effective et constante de l’assisté au sens des dispositions législatives applicables aujourd’hui codifiées à l’article L. 344-5 du Code de l’action sociale et des familles, mettait en cause le bien fondé de l’appréciation par la commission d’admission à l’aide sociale d’une condition légale d’exonération de la créance, c’est à dire la légalité de la décision attaquée ; que toutefois, cette erreur de droit, non contestée en appel, n’est pas d’ordre public et, ainsi, de nature a entraîner en l’espèce l’infirmation de la décision attaquée ;
        Considérant que par sa décision du 28 mai 2004, la commission d’admission à l’aide sociale de Lyon 5e a prononcé la récupération de la créance départementale soit 278.754,53 euros, compte tenu de la valeur de la succession de M. Jean-Yves B... et de la dépense de la collectivité. « Cette récupération s’exercera uniquement sur l’actif net successoral, c’est-à-dire sur les fonds et les biens laissés à son décès par M. Jean-Yves B.... Si la valeur de ces fonds et biens est inférieure au montant de la créance, seule la valeur de ces fonds sera récupérée » ; que par sa décision du 7 décembre 2004, la commission départementale d’aide sociale du Rhône a décidé d’exonérer Mlle Régine B... de la récupération de l’aide sociale servie à M. Jean-Yves B... sur sa part de succession et confirmé la récupération d’une partie de la créance départementale à l’encontre de Mme Françoise D... sur la totalité de sa part de succession ;
        Considérant qu’aux termes de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles anciennement article 146 du code de la famille et de l’aide sociale « des recours sont exercés, selon le cas, par l’Etat ou le département 1o contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire (...) » ;
        Considérant que M. Jean-Yves B... a bénéficié au titre de l’aide sociale aux personnes handicapées de la prise en charge de ses frais de placement dans plusieurs établissements depuis 1977 ; que la créance départementale s’élève à 278.754,53 euros pour la période du 1er janvier 1977 au 31 mai 2002 ; que M. Jean-Yves B... est décédé le 29 septembre 2003 ; que le montant net de la succession s’élève à 224.102,09 euros ; qu’il laisse pour lui succéder deux sœurs héritières ; que Mme Régine B... est totalement exonérée, par le premier juge, de la récupération des prestations d’aide sociale servies à M. Jean-Yves B..., sur sa part de succession ;
        Considérant qu’aux termes de l’article 168 du code de la famille et de l’aide sociale devenu l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles « (...) Les frais d’hébergement et d’entretien des personnes handicapées dans les établissements et les centres d’aide par le travail ainsi que dans les foyers et foyers logement sont à la charge : 1o à titre principal, de l’intéressé lui-même sans toutefois que la contribution qui lui est réclamée puisse faire descendre ses ressources au-dessous d’un minimum fixé par décret et par référence à l’allocation aux handicapés adultes, différent selon qu’il travaille ou non, majoré, le cas échéant, du montant des rentes viagères visées à l’article 8 de la loi no 69-1161 du 24 décembre 1969 portant loi de finance pour 1970 ; 2o et pour le surplus éventuel, de l’aide sociale sans qu’il soit tenu compte de la participation pouvant être demandée aux personnes tenues à l’obligation alimentaire à l’égard de l’intéressé, et sans qu’il y ait lieu à application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d’aide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé » ;
        Considérant d’une part, que la charge effective et constante d’une personne handicapée au sens des dispositions qui s’y réfèrent pour exonérer de récupération sur succession, n’est pas celle de la tierce personne qui ne peut être assurée, au cas, comme en l’espèce de placement, que par le personnel du foyer, mais celle qui révèle de la part de ceux qui l’assument un engagement personnel apportant au handicapé, même placé, le soutien de type familial dont il conserve le besoin ;
        Considérant d’autre part, que la charge constante et effective envisagée par les dispositions de l’article L. 344-5 n’est pas nécessairement une charge matérielle mais peut être également une charge affective et morale, envers la personne handicapée ; que si Mme D... soutient qu’elle-même et son mari ont apporté des aides ponctuelles, entrepris des démarches pour des placements financiers et « vente » de biens, soutenu frère et beau-frère dans des moments difficiles, invité l’intéressé aux réunions de famille, et rendu des visites, ce qui n’est pas contesté, et qu’elle ajoute qu’elle a « assuré seule le rôle de l’aînée jusqu’à son mariage à 24 ans », de tels éléments, qui relèvent de relations affectives naturelles entre frères et sœurs et de la solidarité familiale, ne permettent pas a eux seuls de caractériser que Mme Françoise D... ait assumé de façon effective et constante la charge de son frère au sens des dispositions précitées ; que la circonstance, relevée par la requérante elle-même, que ses relations avec son frère se soient « espacées » indépendamment de (sa) volonté » est sans incidence sur les circonstances de fait qui viennent d’être rappelées ; que si, par ailleurs, Mme Françoise D... soutient que son engagement était réel tout au long de la vie de son frère, sans qu’elle soit à même de « fixer un pourcentage d’engagement » parce qu’il y a « des choses qui ne mesurent pas », il résulte des termes même des dispositions précitées que l’effectivité et la constance de l’engagement qu’elles requièrent doivent être suffisamment justifiées par la personne qui souhaite bénéficier de l’exonération qu’elles prévoient, sans que cette exigence ne préjuge d’un quelconque jugement « moral » sur la nature des relations à l’intérieur de la fratrie ;
        Considérant que les moyens formulés devant la commission départementale d’aide sociale et non repris en appel autres que celui, selon lequel la requérante à bien assumé la charge effective et constante de son frère étaient inopérants et que les premiers juges ont pu ne pas y répondre ; que la requête ne peut être dès lors que rejetée,

Décide

        Art. 1er. - La requête de Mme  Françoise D... est rejetée.
        Art. 2. - La présente décision sera transmise au ministre de l’emploi de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités à qui il revient d’en assurer l’exécution.
        Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 23 octobre 2006 où siégeaient M. Levy, président, Mme Jegu, assesseur, Mlle Erdmann, rapporteure.
        Décision lue en séance publique le 15 décembre 2006.
        La République mande et ordonne au ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
            Le président La rapporteure            

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer