Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Personnes handicapées - Recours en récupération - Succession
 

Dossier no 061668

M. Q... Yves
Séance du 27 avril 2007

Décision lue en séance publique le 21 mai 2007

    Vu, enregistrée au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale en date du 8 novembre 2006, la requête présentée par M. le président du conseil général du Rhône tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale annuler la décision par laquelle la commission départementale d’aide sociale du 20 juin 2006 a exonéré Mme Geneviève Q... de récupération sur sa part de succession et limité la récupération sur succession à un tiers de la part de l’actif net successoral revenant à Mme Edith W... et M. Didier Q... aux motifs que par sa décision du 24 mars 2004 la commission d’admission à l’aide sociale de Lyon 9e a prononcé la récupération sur la succession de M. Yves Q... des avances consenties au titre de l’aide sociale pour la prise en charge de ses frais d’hébergement et de l’allocation compensatrice ; que la récupération ne peut s’effectuer que dans la limite de la créance départementale, soit 287 418,9 euros, et de l’actif net successoral, soit 87 623,52 euros ; que par conséquent le département pouvait exercer une récupération sur succession de la créance à hauteur de 87 623,52 euros ; que la non-récupération s’impose en application de la loi no 2005-102 du 11 février 2005 puisque la décision de récupération de la commission d’admission à l’aide sociale de Lyon 9e ne revêt pas de caractère définitif en raison de l’appel formé dans le délai des deux mois et non en raison du montant de la créance inférieure à 46 000 euros ; qu’en ce qui concerne la récupération des avances consenties au titre des frais d’hébergement l’exonération de Mme Geneviève Q... en raison de sa qualité de personne ayant assumé la charge effective et constante de M. Yves Q... n’est pas remise en cause ; que seule la réduction de la récupération de la créance à un tiers de la part de l’actif net successoral revenant à Mme Edith W... et à M. Didier Q... est contestée afin que la récupération sur la totalité de la part leur revenant soit exercée en application de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles ;     Vu le mémoire en défense de Mme Edith W... et de M. Didier Q... en date du 29 janvier 2007 qui conclut au rejet de la requête par les moyens que l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles précise dans son 2e alinéa « Les frais d’hébergement et d’entretien des personnes handicapées dans les établissements de rééducation professionnelle et d’aide par le travail ainsi que dans les foyers et foyers logements [...] et sans qu’il y ait lieu à l’application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d’aide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé de façon effective et constante la charge du handicapé » ; qu’ainsi cet article prévoit une exception à la récupération sur succession lorsque les héritiers ont assumé la charge effective et constante du handicapé ; qu’ici la qualité de personne qui a effectué de façon effective et constante la charge du handicapé a été reconnue en partie à Mme W... et M. Didier Q... par la commission départementale d’aide sociale puisqu’elle a réduit le montant de la récupération de la créance que devait effectuer le département du Rhône ; que la commission a ainsi pris en compte toute la dimension « d’accompagnement et de soutien affectif qui ont été témoignés à M. Yves Q... par sa sœur et son frère tout au long de ces quinze années » ; qu’elle a également souligné le lien étroit et permanent existant entre Yves Q... et sa famille ainsi que leur rôle actif dans sa prise en charge par les intéressés, tous les week-ends et toutes les vacances scolaires de 1988 à 2003 ; qu’à ce titre Mme W... et son frère M. Didier Q... confirment et apportent diverses preuves (témoignages écrits, plannings de prise en charge hebdomadaire de leur frère à leur domicile respectif les week-ends et vacances scolaires (Mme W... était enseignante), afin de lui offrir une vie de famille, l’emmenaient en vacances une semaine en février, une semaine à Pâques, une à Noël et quatre ou cinq semaines en été ; que ceci correspondait à plus de cent trente jours par an, soit un tiers de l’année au sein de sa famille ; que d’ailleurs une chambre lui était réservée tant au domicile de sa sœur que celui de son frère où se sont imposés après les dernières années de sa maladie des travaux de remise en état (changement de literie, moquettes, tapisserie qui ont occasionnés des frais importants) ; qu’il est également à noter qu’après l’aggravation de son état de santé M. Yves Q... a dû quitter le foyer d’hébergement et être placé à titre payant en maison de retraite avec dérogation d’âge, en l’absence de structure agréée par l’aide sociale susceptible de l’accueillir ; que l’assistante sociale du foyer témoigne d’ailleurs de la présence constante et du dévouement de la famille durant toutes ces années, ainsi que l’infirmière du foyer ; que, de plus, les deux dernières années de sa carrière, Mme W... a travaillé à mi-temps pour veiller quotidiennement sur son frère gravement malade après une grave opération au cerveau et une longue convalescence ; qu’en effet les services hospitaliers n’étant pas équipés pour accueillir un handicapé mental, la présence constante d’une personne proche était indispensable ; que ceci a eu pour conséquence non seulement une diminution de salaire mais a aussi supprimé sa promotion de fin de carrière et réduit le montant de sa retraite de 2 % comme le prouve les justificatifs ci-joints ; que toutefois le département du Rhône argue que s’agissant d’une prise en charge en établissement accompagnée d’une participation financière de l’aide sociale, la notion de charge effective et constante de M. Yves Q... par ses proches ne peut être retenue, alors que l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles évoque précisément ce cas de figure, et se place uniquement dans le cadre de frais d’hébergement et d’entretien des personnes handicapées placées en établissement ; que, par ailleurs, le Conseil d’Etat dans un arrêt du 29 mars 1991 dispose que « La circonstance qu’un handicapé ait été placé et qu’une partie des frais de séjour ait été supportée par l’aide sociale ne saurait à elle seule, contrairement à ce qu’a jugé la commission d’aide sociale, priver du bénéfice de la non-récupération un héritier, autre que le conjoint ou les enfants, qui aurait assumé de façon effective et constante la charge du handicapé » ; que l’appel du jugement de la commission départementale d’aide sociale le 21 décembre 2006 est motivé, selon le courrier du département du Rhône, « par un souci d’équité entre les bénéficiaires d’aide sociale » ; que toutefois cet argument ne prend pas en considération l’engagement continu manifesté par les intéressés tout au long de la vie de leur frère handicapé, l’abnégation dont ils ont fait preuve envers lui, parfois même au détriment de leur vie familiale et professionnelle ; qu’ainsi le rôle joué par le frère et la sœur durant quinze ans, par leur présence régulière auprès de leur frère handicapé, permet de mettre en évidence dans ce dossier, sans équivoque possible, « la façon effective et constante » évoquée par l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles dans la charge de leur frère, bien que celui-ci ait été accueilli, dans le même temps, dans une structure spécialisée ; qu’en outre, pour expliquer l’évolution financière d’Yves Q..., un tableau en annexe résume ses recettes et dépenses durant quatre périodes à titre d’exemple en 1986 où il vivait encore chez sa mère jusqu’en septembre 1988, en 1996 hébergé au foyer et travaillant en CAT de 1988 à 1998, en 2000 inactif de 1998 à 2001 et en 2002 sans prise en charge par l’aide sociale de 2002 à 2003 ; qu’il est à remarquer les économies volontairement réalisées par la famille afin de constituer un pécule lui permettant de faire face après l’âge de soixante ans, à la suppression, encore en vigueur à cette époque, de l’allocation aux adultes handicapés et de l’absence de maison de retraite adaptée à son état et conventionnée par l’aide sociale ; qu’enfin dans la succession de M. Yves Q... figure sa part sur un bungalow au Barcarès acheté en 1970 par les parents ; que c’était le lieu de vacances de la famille chaque année, où Yves avait sa chambre, ses repères, ses habitudes ; que c’est un lieu auquel la famille est très attachée sentimentalement et qu’elle se verrait dans l’obligation de vendre si la récupération du département s’exerçait dans sa totalité ;
    Vu le courrier de l’Association lyonnaise de gestion d’établissement pour personnes déficientes en date du 14 mars 2007 attestant que Mme Edith W... et M. Didier Q... se sont toujours occupés de façon exemplaire de leur frère ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu le code civil ;
    Vu la lettre du 23 janvier 2007 invitant les parties à faire connaître au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale si elles souhaitent être entendues à l’audience ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 27 avril 2007 Mlle Erdmann, rapporteure, Mme Edith W... et M. Didier Q... en leurs observations, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant d’abord que lorsque s’appliquent les dispositions de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles relatives à la non-récupération contre la personne qui a assuré la charge effective et constante de la personne handicapée la dispense de récupération est de droit et le juge commet une erreur de droit en accordant une exonération partielle ; d’autre part que par contre le juge de la remise ou de la modération statuant sur la partie « gracieuse » du litige relatif à l’aide effective et constante de l’héritier peut tenir compte de ces circonstances pour accorder non seulement une remise mais encore une modération de la créance ; qu’enfin quelles que puissent être les difficultés à préciser la distinction entre « légalité » et « bien-fondé » de la récupération l’application de la condition de dispense de ladite récupération prévue à l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles relève de la « légalité » de la récupération ; la prise en compte, parmi d’autres, de circonstances de la nature de celles que cet article exige, sans qu’il puisse être appliqué en l’espèce, pour, néanmoins, remettre ou modérer la créance relevant, quant à elle, du « bien-fondé » de la récupération ;
    Considérant que par la décision attaquée la commission départementale d’aide sociale du Rhône a :
    1o Statuant sur la légalité de la décision de récupération, en application de l’article 95-I de la loi du 11 février 2005, constaté que les arrérages d’allocation compensatrice pour tierce personne (44 975 euros) n’étaient pas récupérables ; que cette partie de sa décision n’est pas critiquée ; qu’en toute hypothèse les frais d’hébergement avancés demeurant légalement récupérables étaient supérieurs au montant de l’actif net successoral ;
    2o Statuant sur le « bien-fondé » de l’action en récupération déchargé Mme Geneviève Q... de toute récupération des frais d’hébergement comme ayant assuré la charge effective et constante de son fils ; que cette décharge qui relève en réalité de la légalité de la récupération n’est pas davantage contestée ;
    3o Statuant sur le bien-fondé, exonéré à hauteur d’un tiers de chacune de leurs créances au prorata de leurs parts dans la succession Mme Edith W... et M. Didier Q..., sœur et frère de l’assisté ; qu’à la différence de la récupération à l’encontre de la mère cette dernière ne peut être regardée que comme procédant non de la légalité de la décision de récupération mais du bien-fondé de la créance, dès lors que, comme il a été dit, en faisant application de l’article L. 344-5 pour décharger (et non modérer) la créance le juge ne statue pas sur le bien-fondé mais sur la légalité, alors que lorsqu’il modère la créance en raison de circonstances, même de la nature de celles prises en compte par l’article L. 344-5, il peut être regardé comme statuant à titre gracieux ;
    Considérant il est vrai que cette interprétation constitue une reconstruction d’autant que le premier juge a commis une erreur de droit en admettant que la charge effective et constante du handicapé au sens de l’article L. 344-5 consisterait en la qualité de tierce personne de celui-ci et non en l’accompagnement affectif, matériel et moral de l’intéressé, alors que seule cette dernière situation est prise en compte pour apprécier la charge dont s’agit ; qu’en toute hypothèse l’exonération de Mme Geneviève Q... n’est pas contestée ; que s’agissant du frère et de la sœur le premier juge n’a pas considéré qu’ils avaient la charge effective et constante de leur frère, mais, seulement, qu’ils justifiaient de circonstances de nature à entraîner une modération de la créance « l’accompagnement et le soutien affectif [...] pour leur frère » ; que s’il en était autrement il aurait commis une nouvelle erreur de droit en ne déchargeant pas totalement les intéressés mais qu’en toute hypothèse aucun recours incident n’est formulé à cet égard et que l’interprétation retenue ci-avant paraît la mieux appropriée compte tenu de l’ambiguïté, à tout le moins, de la rédaction de la décision des premiers juges ;
    Considérant que seule cette partie de la décision exonérant des deux tiers de leurs dettes M. Q... et Mme W... est contestée en appel, étant du reste ajouté que l’interprétation de la décision des premiers juges est elle-même rendue plus difficile par l’absence au dossier de la déclaration de succession permettant d’établir les parts respectives de Mme Geneviève Q..., d’une part, de M. Didier Q... et Mme Edith W..., d’autre part, dans la succession ;
    Considérant qu’au soutien de sa contestation le président du conseil général appelant se borne à énoncer :
    « afin que la récupération sur la totalité de la part leur [à Mme W... et à M. Q...] revenant soit assurée en application de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles » cela « afin d’assurer une équité entre les bénéficiaires de l’aide sociale » ;
    Mais considérant qu’il résulte de ce qui précède d’une part qu’en ce qui concerne les deux intimés la décision attaquée ne peut être regardée comme fondée sur les dispositions de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles mais sur le pouvoir d’équité du juge de la remise ou de la modération de la créance ;
    Considérant d’autre part que dans ce cadre il appartient au juge d’apprécier dans les circonstances particulières de chaque espèce compte tenu notamment tant de la situation financière de chacun des héritiers que/ou que des soins et des aides prodigués par chacun de ceux-ci à la personne handicapée de son vivant, s’il y a lieu à remettre ou modérer la créance ; qu’ainsi « l’équité » n’impose nullement que dans tous les cas l’aide apportée soit appréciée identiquement, l’application de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles n’étant à ce stade pas en cause ; qu’ainsi l’unique moyen du président du conseil général appelant tiré de ce que l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles imposerait la récupération de la totalité de la part de l’actif successoral net de chacun des assistés dans la succession de M. Yves Q... ne peut être que rejeté ;
    Considérant en conséquence que quelle que puisse être la difficulté pour le juge d’appel à juger un appel qui ne conteste pas la motivation des premiers juges elle-même entachée selon l’analyse qui précède d’erreur de droit et d’ambiguïté et soulève un seul moyen inopérant la requête du président du conseil général du Rhône sera rejetée, étant ajouté pour la moralité des débats que la réalité des soutiens importants et constants des deux intimés à leur frère ressort très clairement de l’ensemble des pièces du dossier et qu’ainsi dans la mesure où le premier juge s’est comme il a été envisagé ci-dessus bien placé pour les exonérer des deux tiers de leur créance sur le terrain de la modération gracieuse il n’a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l’affaire en l’absence même dans les circonstances particulières de l’espèce d’éléments fournis sur les revenus des deux intéressés,

Décide

    Art. 1er.  -  La requête du président du conseil général du Rhône est rejetée.
    Art. 2.  -  La présente décision sera transmise au ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 27 avril 2007 où siégeaient M. Levy, président, M. Reveneau, assesseur, Mlle Erdmann, rapporteure.
    Décision lue en séance publique le 21 mai 2007.
    La République mande et ordonne au ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
            Le président La rapporteure            

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer