Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

2330
 
  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Donation - Assurance-vie
 

Dossier n° 071347

Mme M...
Séance du 24 octobre 2008

Décision lue en séance publique le 27 novembre 2008

    Vu enregistré au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale le 30 juillet 2007, la requête présentée par maître T..., avocat, pour M. et Mme C... tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale annuler la décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Allier du 26 juin 2007 confirmant la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Chantelle du 14 septembre 2006 de recours contre donataire par les moyens que M. et Mme C... sont les seuls héritiers de leur tante Mme M... décédée le 18 avril 2004 ; que le règlement de la succession est toujours en cours, compte tenu de l’existence d’un procès tendant à faire réintégrer un bien immobilier dans l’actif de la succession ; que, par ailleurs, M. et Mme C... ont été bénéficiaires de contrats d’assurance vie souscrits par Mme M... les 13 et 20 octobre 1992 ; que le conseil général n’a à aucun moment de la procédure motivé sa décision en démontrant une intention libérale et l’absence d’aléa propre à caractériser une donation déguisée ; qu’il revient en effet à l’administration dans le cadre d’un tel recours de démontrer en quoi le versement des primes prévues par le contrat d’assurance vie constitue une libéralité ; qu’en l’espèce les contrats ont été souscrits douze ans avant le décès de Mme M... soit bien avant ledit décès, d’abord pour une durée de six ans, puis reconduits ; que Mme M... était en, parfaite santé à l’époque ; qu’il n’est pas démontré que le montant des primes versées dépassaient sa capacité d’épargne ; qu’il lui est au contraire reproché son état de fortune qui lui aurait permis de payer ses frais ; que le seul argument retenu par la commission est que les sommes souscrites auraient pu permettre à Mme M... de prendre en charge elle- même ses frais de séjour en maison de retraite ; que cet argument est inopportun et irrecevable ; qu’il est inopportun car lors de la demande d’aide sociale accordée par le même conseil général, Mme M... était sous tutelle et que c’est le tuteur qui a fait la demande d’aide sociale ; que cette aide n’a été stoppée que sur l’intervention de M. et Mme C... qui estimaient à juste titre qu’elle n’en avait pas besoin ; qu’à cette époque, la situation financière de Mme M... lui permettait de régler ses frais qu’il y ait ou non souscription d’assurance vie ; que preuve en est puisqu’en 1999, date de l’arrêt des aides jusqu’à son décès en 2004, Mme M... a réglé ses frais tout en maintenant la souscription des contrats d’assurance vie ; que la souscription des contrats d’assurance vie était donc indifférente au fait que Mme M... pouvait régler seule ses frais de séjour ; qu’à cette même époque aucun recours n’a été exercé contre Mme M... pour récupérer les aides versées, alors même qu’aujourd’hui ces aides auraient d’après le conseil général été perçues indûment ; qu’il est également irrecevable car en tout état de cause ce seul argument ne peut démontrer une libéralité nécessaire pour ce recours ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu le mémoire en défense du président du conseil général de l’Allier en date du 23 octobre 2007 qui conclut au rejet de la requête par les moyens que Mme M... décédée le 18 avril 2004 a bénéficié d’une aide sociale départementale pour la prise en charge de ses frais d’hébergement à la maison de retraite de S... du 1er février 1996 au 4 août 1999 ; que la créance départementale s’élève à 19 332,14 euros ; qu’aux termes des contrats d’assurance vie souscrits le 13 octobre 1992 pour un montant de 15 244,90 euros et le 20 novembre 1992 pour un montant de 15 244,90 euros, l’intéressée a désigné pour bénéficiaires M. et Mme C... ; que le montant des assurances vie s’élève à 30 489,80 euros ; que le 22 avril 2004 M. et Mme C... ont accepté les contrats ; que l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles prévoit un recours en récupération des sommes avancées contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ; que Mme M... alors sous curatelle de l’UDAF de l’Allier jusqu’en janvier 2001 a déposé une demande de prise en charge de ses frais d’hébergement en établissement le 9 mai 1996 et que les contrats d’assurance vie ont été souscrits les 13 octobre et 20 novembre 1992, soit dans les dix ans qui ont précédé la demande ; que l’administration et les juridictions d’aide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l’engagement d’une action en récupération sous réserve en cas de difficultés sérieuses d’une éventuelle question préjudicielle devant les juridictions de l’aide judiciaire ; qu’à ce titre un contrat d’assurance vie peut être requalifié en donation si compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l’intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, s’y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance d’un droit de créance de l’assureur ; que dans ce cas l’acceptation du bénéficiaire alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale ; que Mme M... était âgée de 81 ans au moment de la souscription et que les primes souscrites constituent l’essentiel de son patrimoine ; qu’ainsi l’intention libérale est démontrée ; que le fait que la demande d’aide sociale ait été déposée alors qu’elle était sous curatelle est sans effet sur l’attribution de l’aide sociale ; que l’aide sociale est attribuée au vu de ses ressources et non de l’existence de son patrimoine ; que le contentieux relatif à la gestion de l’UDAF ne relève pas de la compétence des commissions d’admission mais de la compétence du juge des tutelles ; que les sommes souscrites en 1992 auraient pu lui permettre de régler ses frais de séjour ; qu’ainsi la créance départementale ne saurait être considérée comme un indu ; que dans le cas présent la récupération fait suite au décès de Mme M... ;
    Vu le nouveau mémoire de maître T... en date du 29 novembre 2007 qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens et les moyens que les contrats ont été souscrits 12 ans avant le décès de Mme M... soit bien avant ledit décès ; qu’en outre les contrats ont été souscrits pour une durée de dix ans puis reconduits tacitement d’année en année ; que cette durée relativement limitée pour ce type de contrat traduit une intention de faire un placement et non de se défaire des sommes placées auquel cas une durée plus longue garantissant un capital plus important aurait été choisie ; que ces contrats ont simplement été souscrits sur le conseil de son banquier alors que Mme M... disposait des fonds disponibles et ce simplement pour les valoriser à un taux de 6 % minimum plus important qu’un simple placement ; que Mme M... était à l’époque en parfaite santé ; que c’est de manière péremptoire que le conseil général écrit dans on mémoire que les primes souscrites constituent l’essentiel de son patrimoine ; que cette affirmation ne repose sur aucun élément objectif ;
    Vu le nouveau mémoire en date du 3 octobre 2008 de M. C... exposant que différentes questions demeurent sans réponse quant à la détention du « viager » depuis le 4 août 1992 par le conseil général à la contraction de la dette à l’insu de Mme M... par son curateur aux conditions de l’action en justice en cours pour résolution de vente du « viager » ; que des éclaircissements doivent être apportés dans cette affaire où le conseil général de l’Allier qui doit reconnaitre ses erreurs engage sa responsabilité ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
    Vu le code des assurances ;
    Vu le code civil ;
    Vu la lettre en date du 10 juillet 2008 invitant les parties à se présenter à l’audience ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 24 octobre 2008, Mlle Erdmann, rapporteure, M. C..., en ses observations, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée devenu l’article L. 132-8 2o du code de l’action sociale et des familles : « Des recours sont exercés par le département (...) 1) contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ; 2) contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ;
    Considérant qu’il résulte d l’instruction que Mme M... a bénéficié de l’aide sociale pour la prise en charge de ses frais d’hébergement à la maison de retraite de S... du 1er février 1996 au 4 août 1999 ; que la créance départementale s’élève à 19 332,14 euros ; que Mme M... a souscrit deux contrats d’assurances vie le 13 octobre 1992 pour un montant correspondant à 15 244,90 euros et le 20 novembre 1992 pour un montant correspondant à 15 244,90 euros, soit pour un montant total correspondant à 30 489,80 euros au bénéfice de M. et Mme C... ; que Mme M... est décédée le 18 avril 2004 ; qu’en sa séance du 14 septembre 2006 la commission d’admission à l’aide sociale de Chantelle a décidé de récupérer la somme de 19 332,14 euros auprès des donataires ; que le 31 octobre 2006, la commission départementale d’aide sociale de l’Allier a confirmé cette décision ;
    Considérant que, comme le relève le requérant, toute souscription d’un contrat d’assurance vie ne constitue pas au profit du bénéficiaire une donation indirecte susceptible d’être appréhendée par l’aide sociale sur le fondement de l’article L. 132-8 2o du code de l’action sociale et des familles à hauteur du montant des primes, du seul fait de l’appauvrissement du stipulant à ladite hauteur au profit du bénéficiaire acceptant, sans contrepartie de celui-ci, et qu’un tel contrat ne peut être requalifié en donation que si l’administration de l’aide sociale établit l’intention libérale du souscripteur au moment de la souscription du contrat alors requalifiable en donation entre vifs, alors même que l’acceptation du bénéficiaire ne serait réalisée en fait qu’au moment où le promettant lui a versé les sommes dues en application du contrat après le décès du stipulant ;
    Considérant que la preuve de l’intention libérale doit être rapportée alors même que le contrat peut être requalifié non comme une donation déguisée mais comme une donation indirecte ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 894 du code civil « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ; que selon l’article L. 312-14 du code des assurances « Le capital ou la rente garantis au profit d’un bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant que ces derniers ont seulement droit au remboursement des primes dans le cas indiqué par l’article L. 132-13, 2o alinéa selon lequel les règles relatives au rapport à la succession ou à la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire « ne s’appliquent pas (...) aux sommes versées par le contractant à titre de primes à moins qu’elles n’aient été manifestement exagérées au regard de ses facultés » ; que compte tenu de ces dispositions, un contrat d’assurance vie ne peut être requalifié par le juge de l’aide sociale en donation que lorsqu’au regard de l’ensemble des circonstances de la souscription du contrat, le stipulant se dépouille au profit du bénéficiaire de manière actuelle et que c’est dans ce cas seulement, que nonobstant la possibilité de résiliation du contrat, l’intention libérale doit être regardée comme établie et que la stipulation pour autrui peut être requalifiée en donation indirecte, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse de question préjudicielle à l’autorité judiciaire ;
    Considérant que l’assistée a souscrit en 1992 à 81 ans les deux contrats d’assurance vie d’un montant total de 30 489,80 euros au titre desquels est exercée la présente action en récupération ; qu’il n’est pas avéré et ne ressort pas du dossier que son état de santé et son espérance de vie fussent tels qu’au moment de la souscription des contrats il n’existait pas d’aléa quant à leur dénouement ; qu’en outre même si l’on ne dispose pas de la quotité exacte au jour du décès de l’assistée de l’actif successoral, (le règlement de la succession étant encore en cours et apparaissant litigieux) il apparaît des comptes de gestion de l’UDAF de l’Allier, transmis au président du conseil général le 19 juillet 1999 (soit 7 ans après la souscription litigieuse) que Mme M... alors sous curatelle disposait d’un certain patrimoine alors même que le compte de gestion ne fait apparaître que les liquidités qui s’élèvent à elles seules à près du double du montant des primes souscrites soit 421 013,16 francs (64 183,04 euros) hors capitaux placés dont les montants sont inconnus ; que dans ces conditions l’administration n’établit pas qu’eu égard aux perspectives de rendement des produits souscrits et à l’aléa que comportaient les contrats, les faits sur lesquels elle se fonde permettent de les requalifier en donations indirectes ; que ni la circonstance que les contrats aient été renouvelés au terme de la période initiale de 6 ans, alors que Mme M... avait été admise à l’aide sociale pour la prise en charge de frais de placement en maison de retraite, ni celle seule retenue par la commission départementale d’aide sociale qu’elle aurait pu acquitter ses frais d’hébergement moyennant les sommes à hauteur desquelles avaient été antérieurement souscrits puis, après l’admission à l’aide sociale, renouvelés les contrats d’assurance litigieux ne sont de nature à établir les faits sur lesquels l’administration se fonde pour requalifier les contrats,

Décide

    Art. 1er.  -  La décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Allier du 26 juin 2007, ensemble la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Chantelle du 14 septembre 2006 sont annulées.
    Art. 2.  -  Il n’y a lieu à récupération à l’encontre de M. et Mme C...
    Art. 3.  -  La présente décision sera transmise au ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, au ministre du logement et de la ville à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 24 octobre 2008 où siégeaient M. Lévy, président, M. Jourdin, assesseur, et Mlle Erdmann, rapporteure.
    Décision lue en séance publique le 27 novembre 2008.
    La République mande et ordonne au ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, au ministre du logement et de la ville, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
            Le président La rapporteure            

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer