Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Récupération sur donation - Assurance-vie
 

Dossier no 060940

Mlle X...
Séance du 6 novembre 2009

Décision lue en séance publique le 27 novembre 2009

    Vu enregistré au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale le 31 mai 2006, la requête présentée pour M. Y... demeurant dans le Tarn, par Maître Georges RAYNAUD, avocat, tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale annuler la décision de la commission départementale d’aide sociale du Tarn en date du 4 avril 2006 rejetant sa demande formée contre la décision de la commission d’admission à l’aide sociale d’Albi du 1er décembre 2005 décidant à son encontre d’un recours contre donataire au titre du contrat d’assurance-vie décès souscrit pour sa sœur Mlle X... bénéficiaire de l’aide sociale par les moyens que la décision attaquée méconnait les dispositions des articles L. 132-12 et L. 132 du code des assurances ; qu’il n’est pas admissible que la commission départementale d’aide sociale du Tarn ait considéré que les opérations de placements des fonds sur une assurance-vie revêtent un caractère frauduleux de sa part, l’ouverture du contrat résultant d’une ordonnance du juge des tutelles d’Albi du 5 février 1996 ainsi que les placements subséquents de fonds sur ce contrat ; que par courrier du 22 janvier 1996 le juge des tutelles avait refusé au requérant le placement des fonds appartenant à sa sœur sur un PEL en l’invitant à rechercher un nouveau placement ; qu’il a chaque année déposé des comptes rendus de sa gestion comme administrateur de la tutelle de sa sœur auprès du tribunal d’instance d’Albi sans une quelconque critique ; que les décisions du juge des tutelles ont toujours pris en compte la rentabilité des placements effectués pour le compte de Mlle X... et que ce juge n’aurait jamais ordonné la souscription d’un contrat d’assurance si les primes versées étaient exagérées par rapport aux ressources de celle-ci ; que la qualification comme donation déguisée ou la reconnaissance du caractère frauduleux de l’opération relèvent de la seule compétence des juridictions de l’ordre judiciaire et qu’il s’agit d’une question préjudicielle devant leur être soumise ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu le mémoire du département du Tarn en date du 1er septembre 2006 tendant au rejet de la requête par les motifs que l’administration est en droit de requalifier un contrat d’assurance-vie décès si les primes versées constituent en réalité en raison de leur caractère manifestement exagéré et de l’absence d’aléa une donation déguisée ; que le contrat souscrit au nom de Mlle X... par son tuteur et frère correspond à un capital de 74 184 euros qui apparaît manifestement exagéré eu égard aux ressources de celle-ci, incapable majeure, disposant uniquement de 10 % de ses ressources au titre de l’argent de poche ; qu’il ressort de ce contrat l’absence évidente d’aléa celui-ci étant une opération de capitalisation faite par le tuteur à son profit, le bénéficiaire étant « les héritiers » alors que le requérant était le seul héritier ; que la démarche de M. Y... démontre une volonté manifeste de s’approprier le patrimoine de sa sœur au jour de son décès au détriment de la collectivité et du droit à récupération de celle-ci ; que la Cour de cassation dans son arrêt L... du 18 juillet 2000 a considéré que les dispositions des articles L. 132-12 et L. 132-13 du code des assurances ne s’appliquent pas aux contrats de capitalisation et que de ce fait les contrats d’assurance-vie, dans la mesure où ils constituent en réalité des opérations de capitalisation ou des placements financiers, doivent être rapportés à la succession ; que le montant du contrat constitue la quasi intégralité de l’actif de la défunte et manifeste une intention délibérée d’échapper aux règles de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles et aux règles fiscales de droit commun parfaitement connues du requérant ; que celui-ci a toujours refusé de communiquer les informations que l’administration a dû obtenir par saisine du procureur de la République et des services de police ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu le code des assurances ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 6 novembre 2009, Mlle ERDMANN, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant qu’un contrat d’assurance-vie décès, acte neutre et apparent, s’il est susceptible d’être requalifié en donation indirecte n’est pas susceptible de l’être en donation déguisée ; que c’est à tort que pour entrer en récupération la commission départementale d’aide sociale du Tarn a qualifié la souscription litigieuse de donation déguisée ;
    Considérant qu’un contrat de la sorte est susceptible d’être requalifié en donation indirecte si l’intention libérale du souscripteur à l’égard du bénéficiaire de second rang est établie ; que ladite intention s’apprécie à la date de souscription du contrat ; qu’elle peut être déduite de l’âge et de l’état de santé du souscripteur lors du versement des primes caractérisant l’absence d’aléa véritable au moment de la souscription comme des montants respectifs du placement de la souscription effectuée et des autres placements du stipulant ;
    Considérant qu’à la date de souscription du contrat en 1996 Mlle Y..., décédée en 2003 à 55 ans, était âgée de 48 ans ; qu’il n’est pas allégué et ne ressort d’aucune pièce versée au dossier de la commission centrale d’aide sociale que, lors de la souscription voir au moment du versement des primes ultérieures sur le contrat souscrit, l’état de santé de l’assistée, qui n’était pas atteinte d’une affection et dont le handicap ne mettait pas en cause le pronostic vital, fut tel que ses perspectives de survie à court ou moyen terme fussent obérées ; qu’ainsi le placement litigieux présentait un caractère aléatoire ;
    Considérant que lors du placement Mlle X... possédait un actif diversifié ; qu’antérieurement à la souscription initiale litigieuse le requérant et tuteur de sa sœur avait sollicité du juge des tutelles un placement sur un PEL, autorisation refusée par celui-ci, et que c’est à la suite de ce refus qu’a été substitué le placement de 100 000 francs sur un contrat d’assurance-vie décès comportant la clause usuelle selon laquelle le bénéficiaire de second rang serait « les héritiers », ce qui n’implique pas en soi que le placement autorisé dans les conditions dites par le juge des tutelles n’ai pas été souscrit dans l’intérêt de Mlle Y..., bénéficiaire de premier rang ; que la même décision du juge des tutelles autorisait le placement d’environ 50 000 francs sur d’autres supports ; qu’ainsi lors de la souscription du contrat ladite souscription pouvait s’analyser comme une opération de gestion patrimoniale normale ;
    Considérant il est vrai que le capital versé au décès n’est que de 74 184 euros et que la commission départementale d’aide sociale en déduit qu’il est « incompatible avec les primes souscrites au visa de l’ordonnance du juge des tutelles et ne peut être analysé comme étant le produit d’une opération d’épargne réalisée dans l’intérêt du souscripteur » ; que, toutefois, il apparait que postérieurement à la souscription des versements et retraits ont été effectués sur les différents comptes de l’assistée, sans que le dossier ne permette de préciser dans quelles conditions exactes ; que cependant les différentes opérations ont été approuvées par le juge des tutelles dans le cadre de l’approbation des comptes annuels de gestion du requérant celui-ci fut-il futur héritier et alors bénéficiaire d’un capital d’ailleurs minoré ; que s’il est vrai, en outre, qu’à la date du décès le capital versé au titre de l’assurance-vie décès s’élève, comme il a été dit, à 74 184 euros et les capitaux disponibles dans le cadre d’une récupération contre la succession à environ 12 000 euros (actif net successoral 13 143 euros sous réserve de certaines déductions non prises en compte) et si nonobstant l’appréciation de l’intention libérale lors du versement des primes la situation ultérieure à la date du décès peut être prise en compte, notamment quant à l’équilibre des placements demeurant disponibles, comme l’un des éléments d’appréciation du juge de plein contentieux de l’aide sociale à la date à laquelle il statue, il reste qu’à soi seule la proportion du capital perçu par le bénéficiaire de second rang et des autres capitaux mobiliers apparaissant à l’actif de la succession n’est pas de nature à établir l’intention libérale de Mlle X... représentée par son tuteur à l’égard de celui-ci en sa qualité d’héritier, non plus que, contrairement à ce que soutient l’administration, une fraude lors de la souscription du contrat ;
    Considérant en tout état de cause que contrairement à ce que soutient le département du Tarn la prime versée lors de la souscription du contrat n’était pas manifestement exagérée par rapport aux revenus et au capital de Mlle X... qui vivait en foyer et qui bénéficiait certes outre la prise en charge de ses frais de placement seulement de « l’argent de poche » versé par l’aide sociale mais ainsi qu’il résulte du dossier a également puisé sur les revenus de ses capitaux pour assumer les frais non pris en compte par l’utilisation dudit « argent de poche » ce qui ressort des comptes approuvés par le juge des tutelles ;
    Considérant enfin qu’en se prévalant d’un arrêt de la Cour de cassation (du 18 juillet 2000) le président du conseil général du Tarn soutient que les placements litigieux doivent être regardés comme des opérations de capitalisation ou des placements financiers rapportables à la succession mais que cette jurisprudence est sans application à la situation de l’espèce où le contrat d’assurance-vie décès ne peut être disqualifié pour être considéré comme donation indirecte dès lors qu’il présente bien, comme il a été rappelé ci-dessus, le caractère aléatoire normalement inhérent à de telles opérations et que d’ailleurs la jurisprudence ultérieure de la Cour de cassation levant les ambigüités procédant de l’arrêt du 18 juillet 2000 a bien confirmé que dès lors qu’en l’espèce, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, l’âge et l’état de santé du souscripteur comme la part du placement à l’intérieur de l’ensemble des placements de celui-ci ne sont pas de nature à permettre la requalification d’un contrat d’assurance aléatoire en donation indirecte, il n’y avait lieu à rapport sur la succession et, de même, dans la présente instance à appréhension du montant souscrit par l’aide sociale ;
    Considérant que les difficultés mises par M. Y... à renseigner l’administration sur les modalités et la consistance des contrats d’assurance-vie souscrits comme d’ailleurs celles mises par le juge des tutelles ne sont pas par elles mêmes, dès lors que l’intention libérale de Mlle X... représentée par son tuteur à l’égard de M. Y..., en sa qualité d’héritier, n’est pas établie dans les circonstances de l’espèce, à permettre la requalification recherchée par l’administration dans la présente instance, alors même que pour avoir les renseignements qu’elle entendait obtenir l’administration a dû solliciter le procureur de la République et les services de police comme les textes applicables lui en donnaient la possibilité ;
    Considérant que contrairement à ce que soutient M. Y... il n’y a pas lieu pour le juge administratif de l’aide sociale à renvoi à l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle d’existence de la fraude alléguée ou de celle d’une donation indirecte dès lors qu’il lui est loisible en l’espèce de statuer comme il l’a fait ci-dessus, sans difficulté sérieuse d’appréciation de légalité, dans le cadre de ses pouvoirs d’interprétation des contrats fussent-ils de droit privé ; qu’au demeurant, en l’espèce, le requérant doit être regardé comme ne demandant le renvoi à l’autorité judiciaire qu’à titre subsidiaire,

Décide

    Art. 1er.  -  La décision de la commission départementale d’aide sociale du Tarn du 4 avril 2006 et la décision de la commission d’admission à l’aide sociale d’Albi du 1er décembre 2005 sont annulées.
    Art. 2.  -  Il n’y a lieu à récupération à l’encontre de M. Y... à hauteur du montant des primes versées par Mlle Y..., représentée par son tuteur M. Y..., dans le cadre du contrat d’assurance-vie décès souscrit après autorisation du juge des tutelles d’Albi du 5 février 1996.
    Art. 3.  -  La présente décision sera transmise au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 6 novembre 2009 où siégeaient M. LEVY, président, M. JOURDIN, assesseur, et Mlle ERDMANN, rapporteure.
    Décision lue en séance publique le 27 novembre 2009.
    La République mande et ordonne au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
            Le président La rapporteure            

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer