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  Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Succession - Personnes handicapées
 

Dossier no 111074

M. X...
Séance du 27 avril 2012

Décision lue en séance publique le 16 mai 2012

    Vu, enregistrée au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale le 5 septembre 2011, la requête présentée par le président du conseil de Paris siégeant en formation de conseil général tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale annuler la décision de la commission départementale d’aide sociale de Paris en date du 15 avril 2011 annulant sa décision en date du 5 mai 2010 décidant d’une récupération à l’encontre de Mme Y..., en qualité de donataire à raison de deux contrats d’assurance-vie-décès souscrits par M. X..., des prestations avancées à celui-ci par l’aide sociale, condamner Mme Y... à verser 30 720,34 euros correspondant à la valeur des deux assurances au département, ainsi qu’à lui payer 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par les moyens que le Conseil d’Etat juge qu’une requalification des contrats de la sorte est possible lorsque leur souscription révèle une intention libérale regardée comme établie au regard de l’espérance de vie du souscripteur et de l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine caractérisant un dépouillement au profit du bénéficiaire ; que M. X..., âgé de 82 et 83 ans lors de la souscription des contrats, soit 3 ans et 4 ans avant sa demande d’aide sociale pour un montant de plus de 34 000 euros à la date de l’entrée de l’intéressé en maison de retraite a manifesté l’intention libérale au profit de Mme Y... ; que l’existence d’une reconnaissance de dette par nature exigible sur la succession est sans effet sur l’action contre le donataire compte tenu des dispositions de l’article L. 132-12 du code des assurances ; que Mme Y... a bien rédigé une attestation sur l’honneur par laquelle elle a hébergé de façon permanente et à titre gracieux M. X... dans son appartement, lors du dépôt de la demande d’aide sociale de M. X... où elle était avertie des conséquences juridiques de cette situation et qu’il n’appartenait pas à la juridiction de première instance d’interpréter l’intention de Mme Y... en soutenant que l’emploi du terme « à titre gracieux est ambigüe » ; que la définition de ce terme ne soulève aucune ambigüité au regard des dispositions de l’article 1106 du code civil ; qu’à l’occasion de la succession de M. X..., Mme Y... n’a fait aucune démarche pour présenter sa créance et n’a à aucun moment revendiqué sa qualité de créancier privilégié ayant une quelconque dette à faire valoir sur la succession du défunt ; que le capital de l’assurance-vie ne saurait être assimilé à l’actif successoral sur lequel Mme Y... aurait dû faire valoir sa créance ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu, enregistré le 23 décembre 2011, le mémoire en défense présentée pour Mme Y..., par Maître Jérôme DAGORNE, avocat, tendant au rejet de la requête et à la condamnation du département de Paris à lui verser 4 000 euros au titre des frais irrépétibles outre les frais de première instance par les motifs qu’à titre principal l’appel est irrecevable comme formulé hors délai ; qu’à titre subsidiaire M. X... n’a eu aucune intention libérale lorsqu’il a souscrit ses contrats d’assurance-vie comme doit le prouver l’administration et comme l’a indiqué la commission départementale d’aide sociale ; qu’elle a, en premier lieu, hébergé gratuitement M. et Mme X... durant 24 ans et demi sans leur faire payer de loyer et charges sans que ceci n’ait pour signification que M. X... ne s’estime pas redevable de sommes à l’égard de Mme Y... comme l’a reconnu la décision de première instance ; qu’en deuxième lieu, M. X... a signé à son profit une reconnaissance de dette de 45 125 euros le 15 décembre 1999 d’une valeur bien supérieure au montant des deux contrats d’assurance-vie ; que dans sa lettre du 22 janvier 2008, faussement interprétée par le département, elle confirmait bien qu’il n’y avait aucun héritier et qu’elle n’était pas donataire ou légataire ce qui ne veut pas dire qu’elle n’était pas créancière ; qu’il s’agit donc d’un remboursement de dette et non d’une donation ; qu’en troisième lieu, les contrats procuraient un revenu trimestriel et permettaient à M. X... d’affecter 152 euros environ par trimestre à ses besoins et ont facilité son entrée en maison de retraite gérée par le CCAS ; qu’à l’époque les services de l’action sociale de la mairie de Paris n’ont rien trouvé à redire et n’ont pas considéré qu’il s’agissait de donations ; qu’ainsi il s’agissait d’un placement générateur de revenus et en aucun cas d’une donation déguisée ; que Mme Y... bénéficiait d’une créance certaine, liquide et exigible que les contrats d’assurance-vie permettaient de solder en partie ; qu’il est surprenant que le département réclame aujourd’hui en appel des sommes qui n’ont jamais été demandées à M. X... antérieurement ; que le département de Paris n’a jamais communiqué lors du vivant de M. X... les sommes prétendument dues par celui-ci pour un montant de 39 617,74 euros et « la mairie de Paris » devrait d’abord justifier de la recevabilité et de la sincérité de sa demande ; que M. X... ne serait jamais allé dans cette maison de retraite s’il avait su qu’une telle somme lui serait réclamée et aurait trouvé une solution alternative moins coûteuse ; que les contrats n’ont jamais été regardés comme donation déguisée par le service des impôts ; que le conseil de Paris ne peut ainsi se substituer à l’Etat ; que le montant des contrats était en accord avec les revenus perçus par M. et Mme X... ; que ce montant ne représentait pas la totalité du patrimoine de ce dernier contrairement à ce que prétend l’appelant faisant fi de l’existence d’une reconnaissance de dette ; que M. X... a d’ailleurs pu vivre de 1998 à 2006 grâce à ses pensions de retraite mais aussi des intérêts perçus des contrats d’assurance-vie ;
    Vu, enregistré le 25 avril 2012, le mémoire complémentaire présenté pour Mme Y... persistant dans ses conclusions et tendant, en outre, à ce que la créance soit réduite voire supprimée par les mêmes motifs et les motifs qu’il ne s’agissait pas pour M. X... de se dépouiller au profit de Mme Y... d’une somme qui de surcroît ne constituait nullement la quasi-totalité de son patrimoine comme le prétend le président du conseil de Paris siégeant en formation de conseil général, sans apporter la moindre preuve, alors d’ailleurs que les contrats d’assurance-vie étaient rachetables à tout moment ; que l’administration doit établir l’intention libérale au moment de la souscription desdits contrats ; que le montant de la dette de M. X... dans la reconnaissance de dette en date du 15 décembre 1999 était bien supérieure au montant des deux contrats ; que l’administration n’a pas requalifié les contrats d’assurance-vie en donation ; qu’il s’agissait d’un placement générant des revenus indispensables pour payer la maison de retraite ; qu’il n’y avait pas lieu que la reconnaissance de dette soit intégrée dans la succession de M. X... ; qu’enfin, en tout état de cause, il y a lieu de modérer voire de réduire la créance eu égard aux faibles revenus de Mme Y... ;
    Vu, enregistrée le 27 avril 2012 à 11 heures 7, la note en délibéré présentée pour Mme Y... ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 27 avril 2012, Mme ERDMANN, rapporteure, Maître Jérôme DAGORNE, avocat, en ses observations, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant que le secrétariat de la commission centrale d’aide sociale a adressé le 23 novembre 2011, la requête d’appel du président du conseil de Paris siégeant en formation de conseil général à Mme Y... dont il n’était alors nullement informé qu’elle eut - ou eut entendu - constitué avocat en appel ; que celle-ci, nonobstant l’erreur d’adresse invoquée par son conseil, a bien reçu ce courrier qu’elle a transmis à Maître Jérôme DAGORNE qui a produit en défense le 23 décembre 2011 ; que Mme Y... a néanmoins cru devoir produire un nouveau mémoire le 25 avril 2012 comportant des conclusions nouvelles aux fins de remise ou de modération qui n’ont pu être examinées dès lors par le président du conseil de Paris siégeant en formation de conseil général auquel elles ont été transmises ce même jour par fax ; que pour regrettable que puisse être la production tardive de ces conclusions qui n’est nullement explicable, contrairement à ce qui a été soutenu à l’audience par les circonstances dans lesquelles l’avocat de la requérante a été saisi de la requête d’appel, celle-ci peut néanmoins être examinée sans méconnaissance du contradictoire, dès lors que la présente décision fait droit aux conclusions contentieuses fondées sur l’illégalité de la décision de récupération et qu’il n’y aura donc lieu d’examiner les conclusions gracieuses ;
    Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de l’appel ;
    Considérant que la commission départementale d’aide sociale de Paris a jugé, d’une part, que l’administration avait la charge de la preuve de la requalification en donation « déguisée » (i.e. indirecte) de la stipulation pour autrui constituée par les contrats d’assurance-vie-décès souscrits par M. X... en 1997 et 1998 désignant Mme Y... comme bénéficiaire de second rang ; d’autre part, que dans l’administration de la preuve qui lui incombe compte tenu des éléments fournis par Mme Y..., notamment l’existence d’une reconnaissance de dette établie le 15 décembre 1999 et enregistrée à la recette des impôts le 30 mars 2000 portant sur une somme de 296 000 Frs (45 125 euros) en raison de ce que Mme Y... avait consenti aux époux X... différentes avances et qui prévoyait un délai de remboursement expirant le 30 septembre 2000 non respecté et ce jusqu’au décès de M. X... le 14 avril 2006, après son entrée en maison de retraite le 13 décembre 2001, l’administration n’apportait pas d’éléments suffisants infirmant les éléments produits par Mme Y... de telle sorte qu’elle ne pouvait être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe ;
    Considérant, en premier lieu, qu’en jugeant que la charge de la preuve incombait au président du conseil de Paris siégeant en formation de conseil général la commission départementale d’aide sociale n’a pas commis d’erreur de droit ;
    Considérant, en deuxième lieu, que l’administration soutient que du fait de la souscription des contrats à 82 et 83 ans pour un montant de primes de 30 720,14 euros et de l’absence de tout actif successoral au décès de M. X..., dont l’actif était de son vivant uniquement constitué par les capitaux placés sur les contrats d’assurance-vie-décès, les conditions mises par la jurisprudence à la requalification de la stipulation pour autrui en contrat d’assurance-vie-décès à raison de l’absence d’aléa véritable et de l’existence d’une intention libérale au profit du bénéficiaire de second rang sont réunies ; que, toutefois, la question est ici de savoir, non si les conditions mises en règle générale par la jurisprudence pour permettre de requalifier un contrat d’assurance-vie-décès en donation indirecte sont remplies, mais si, dans les circonstances particulières de l’espèce, la stipulation permettant le versement par le promettant du capital constitué à la date du décès au bénéficiaire de second rang ne s’analysait pas comme un remboursement de créance et non une donation ou, à tout le moins, comme une donation rémunératoire ; que d’ailleurs d’une part, les contrats ont été souscrits à 82 et 83 ans, alors qu’il n’est pas allégué que M. X... fut atteint d’une affection entraînant à court terme un pronostic vital défavorable, et qu’il est décédé à 91 ans ; d’autre part, les contrats souscrits lui ont permis de son vivant de bénéficier d’intérêts perçus trimestriellement, ainsi qu’il n’est pas contesté, d’un montant certes modéré mais comparable à ce que lui aurait procuré un autre placement ; qu’ainsi à supposer même qu’il y ait eu lieu de se limiter à apprécier si les conditions généralement mises par la jurisprudence à la reconnaissance de l’existence d’une donation indirecte étaient remplies, la discussion aurait été permise ;
    Mais considérant, en tout état de cause, en troisième lieu, qu’il n’est pas contesté qu’aux dates de souscription des contrats Mme Y... hébergeait depuis plus de 20 ans les époux X... dans un appartement de deux pièces confortable situé dans le 5e arrondissement de Paris et ce à titre gratuit ; qu’en outre au début de 1999 M. X... a signé une reconnaissance de dette enregistrée à la recette des impôts de 296 000 Frs (45 125 euros) à l’égard de Mme Y... qui stipulait un remboursement, non honoré, avant le 30 septembre 2000 ; qu’à supposer même que, compte tenu de son imprécision et nonobstant son enregistrement à la recette des impôts, ladite reconnaissance n’ait pas été de nature à établir par elle-même l’absence d’intention libérale de M. X... à l’égard de Mme Y... lorsqu’il a signé un an et deux ans auparavant les deux contrats d’assurance-vie-décès désignant Mme Y... comme bénéficiaire de second rang, il est en tout cas constant, comme il vient d’être dit, qu’à ces dernières dates les époux X... étaient hébergés depuis plus de 20 ans gracieusement par Mme Y... et que l’avantage ainsi consenti pour l’appartement dont les caractéristiques ont été ci-dessus rappelées excédait le montant des primes versées ; que de telles circonstances présument de l’intention du stipulant de tenir compte des avantages antérieurement consentis par Mme Y... ; qu’en se prévalant pour l’essentiel des critères d’ordre général posés par la jurisprudence, compte tenu notamment de ce que Mme Y... a déclaré lors du décès de M. X... avoir hébergé celui-ci à titre gratuit, l’administration n’apporte pas d’éléments de nature à infirmer ceux dont fait état avec plausibilité l’intimée pour s’opposer à la requalification dont l’appelant a la preuve ; que dans ces conditions et à supposer même que la reconnaissance de dette intervenue le 15 décembre 1999 ne puisse pas, eu égard aux incertitudes sur son contenu et à l’absence de respect de l’engagement qu’elle comportait de la part du reconnaissant, être regardée comme justifiant de ce que les primes versées en 1997 et 1998 l’avaient été non à titre de donation mais de remboursement d’une créance, l’administration n’apporte du moins pas la preuve que le versement de ces primes ne procédait pas dans les intentions du stipulant - qu’il y a lieu de prendre en compte comme telles et non celles de la bénéficiaire - de la volonté de tenir compte de l’occupation gratuite depuis plus de 20 ans de l’appartement par son ménage dont les revenus tels qu’ils apparaissent en tout cas au dossier n’auraient pas permis la location d’un appartement comparable et qu’ainsi s’agit il même d’une donation elle présenterait bien le caractère d’une donation rémunératoire excluant l’intention libérale du stipulant susceptible seule de permettre la requalification recherchée par l’administration ; que dans ces conditions, et en définitive, celle-ci n’administre pas la preuve dont elle a la charge de l’intention libérale du stipulant lors de la souscription des contrats litigieux et son appel doit être rejeté ;
    Sur les conclusions tendant au remboursement des frais irrépétibles ;
    Considérant, en premier lieu, que Mme Y... n’étant pas partie perdante dans la présente instance, il n’y a lieu de faire droit aux conclusions formulées à ce titre par le département de Paris ;
    Considérant, en deuxième lieu, que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire droit partiellement aux conclusions formulées aux mêmes fins sur le fondement « de l’article L. 761-1 du code de justice administrative » par Mme Y..., qu’il y a lieu de regarder comme l’étant sur celui de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, et de condamner le département de Paris à lui payer 1 000 euros au titre des frais exposés en appel non compris dans les dépens,

Décide

    Art. 1er.  -  La requête du président du conseil de Paris siégeant en formation de conseil général est rejetée.
    Art. 2.  -  Le département de Paris paiera à Mme Y... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
    Art. 3.  -  Le surplus des conclusions de Mme Y... est rejeté.
    Art. 4.  -  La présente décision sera transmise à la ministre des affaires sociales et de la santé, à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 27 avril 2012 où siégeaient M. LEVY, président, Mme NORMAND, assesseure, Mme ERDMANN, rapporteure.
    Décision lue en séance publique le 16 mai 2012.
    La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
            Le président La rapporteure            

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer