Dispositions spécifiques aux différents types d’aide sociale  

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  AIDE SOCIALE AUX PERSONNES HANDICAPÉES (ASPH)  
 

Mots clés : Aide sociale aux personnes handicapées (ASPH) - Placement familial - Revenus des capitaux - Juridictions de l’aide sociale et juridictions judiciaires
 

Dossier no 120147

M. X...
Séance du 22 novembre 2012

Décision lue en séance publique le 30 novembre 2012

    Vu, enregistrée au greffe de la commission centrale d’aide sociale le 1er décembre 2011, la requête présentée par l’Union départementale des associations familiales (UDAF) de la Charente, pour son protégé M. X..., tendant à ce qu’il plaise à la commission centrale d’aide sociale annuler la décision de la commission départementale d’aide sociale de la Charente en date du 17 octobre 2011 rejetant sa demande dirigée contre la décision du président du conseil général de la Charente du 6 décembre 2010 refusant la demande d’allocation de placement familial à compter du 1er décembre 2010 par les moyens que M. X... réside en famille d’accueil à titre onéreux chez Mme Y... depuis le 1er septembre 1992 ; qu’au regard de ses ressources le conseil général de la Charente lui a attribué depuis le 1er avril 2003 une allocation de placement familial pour régler les frais liés à cet accueil familial ; que plusieurs décisions se sont succédées pour accorder l’allocation et ce jusqu’au 30 novembre 2010 ; que lors du renouvellement de son dossier déposé le 6 août 2010, le conseil général a par décision du 6 décembre 2010 refusé de lui attribuer ladite allocation au motif que l’état de besoin n’était pas avéré et qu’il était en mesure d’en régler la dépense prenant en compte pour motiver sa décision l’entier capital de M. X... et non les revenus des capitaux ; qu’ils font appel de cette décision s’appuyant sur la jurisprudence constante par laquelle il y a lieu de prendre en compte, pour l’appréciation des revenus de M. X..., les revenus du capital placé et non le capital lui-même ; que dans sa décision du 17 octobre 2011 la commission départementale d’aide sociale confirmait la décision du président du conseil général de la Charente du 6 décembre 2010 ; que les ressources de M. X... n’ont pas réellement évoluées depuis les précédentes décisions ; que seule la majoration à la vie autonome de 104,77 euros et un supplément d’allocation aux adultes handicapés de 99,32 euros par mois lui ont été attribués par la CAF de la Charente ; qu’il perçoit en outre une pension de retraite de 677,62 euros, une allocation logement de 162,65 euros et les intérêts des placements de 34,27 euros ; que le coût de son hébergement mensuel en famille d’accueil est de 1 559,91 euros et que son budget est déficitaire de 628,85 euros ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu, enregistré le 25 juin 2012, le mémoire de l’UDAF de la Charente qui persiste dans ses précédentes conclusions par les mêmes moyens ;
    Vu, enregistré le 6 août 2012, le mémoire en défense du président du conseil général de la Charente qui conclut au rejet de la requête par les motifs que le tuteur de M. X... reproche au département d’avoir considéré que l’état de besoin n’existait pas alors que les ressources ne permettent pas de couvrir ses frais, mais que la question n’est pas de savoir si les ressources permettent ou non de régler les charges ; qu’il convient de se demander si l’aide sociale devait être sollicitée ; que le tuteur n’a nullement l’obligation de demander l’aide sociale ; que la personne protégée dispose de l’entière liberté de décider du sort de son patrimoine ; que comme le ferait « un bon père de famille », le tuteur devrait, avant de décider de demander l’aide sociale, envisager la possibilité pour son protégé de financer seul ses charges, d’autant que le plus souvent le patrimoine a été constitué dans ce but ; que la position quasi systématique de certains tuteurs de recourir à l’aide publique pour se protéger d’un hypothétique reproche d’un éventuel membre de la famille ou héritier du demandeur crée une inégalité flagrante entre leurs protégés et toutes les autres personnes qui, considérant que l’aide sociale est subsidiaire, choisissent de n’y faire appel qu’en l’absence d’autres moyens de financement ; que contrairement à ce que semble penser le tuteur de M. X..., les textes ne font pas obligation de solliciter l’aide sociale ; que l’article L. 132-1 du code de l’action sociale et des familles définit les modalités de calcul du besoin d’aide ; qu’il pose les principes : « il est tenu compte pour l’appréciation des revenus des postulants à l’aide sociale des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenus (...) » ; que ce texte énumère les revenus pris en considération et ne pouvant établir une liste exhaustive, prévoit et « autres » ; que cette expression englobe l’ensemble des moyens de financement non énumérés par l’alinéa 1 de ce texte et entre autre le patrimoine de toute nature dont peut être propriétaire le demandeur d’aide sociale ; que, par ailleurs, l’article R. 132-1 du code de l’action sociale et des familles définit une simple règle de calcul des revenus des capitaux non productifs de revenus, mais n’exclut pas la possibilité d’utiliser ce capital ; qu’il n’interdit pas de valoriser le capital par sa liquidation ; que si l’on considère, comme certains le font, que le législateur n’a souhaité intégrer que les ressources et qu’il ne s’est pas prononcé sur la question de l’utilisation du capital du vivant du postulant à l’aide, il n’en demeure pas moins que les règles de l’aide sociale y font expressément référence puisqu’elles retiennent le principe de recours sur succession ; qu’il ressort des principes de l’aide sociale que cette dernière est subsidiaire et qu’elle est un droit subjectif ; qu’il faut que le demandeur fasse la preuve de son état de besoin, et les instances d’admission disposent d’un pouvoir d’appréciation de ce besoin et l’absence de moyens alternatifs d’y pour voir ; que selon les éléments du dossier M. X... dispose d’un patrimoine mobilier de 21 032,76 euros qui lui permet de faire face à ses charges pendant plusieurs années ; qu’il convient pour apprécier ce besoin d’aide de se référer à la jurisprudence du juge aux affaires familiales, seul compétent pour définir le besoin d’aide ; que les articles L. 132-6 et L. 132-7 du code de l’action sociale et des familles font expressément référence à l’obligation alimentaire et prévoit la saisine du juge aux affaires familiales par la collectivité saisie d’une demande d’aide sociale à l’hébergement ; que ce faisant, le droit de l’aide sociale reconnaît la compétence du juge civil et se soumet aux règles du droit civil ; que ce magistrat ne s’y trompe pas et, à plusieurs reprises, a jugé que le besoin d’aide n’était pas prouvé lorsque le demandeur disposait d’un capital ; que récemment ledit juge a débouté de sa demande d’obligation alimentaire, la personne âgée qui disposait de placements susceptibles de lui permettre de financer le différentiel mensuel réclamé ; que dans une autre affaire, ce magistrat fixe l’obligation alimentaire mais précise « dès lors et afin d’éviter une saisine ultérieure du juge aux affaires familiales, il conviendra d’utiliser en priorité son épargne avant de solliciter les obligés alimentaires » ; que dans un souci d’égalité, il convient que le besoin d’aide soit apprécié de la même façon que le demandeur d’aide sociale ait ou non des obligés alimentaires ;     Vu, enregistré le 17 août 2012, le mémoire en réplique de l’UDAF de la Charente qui persiste dans ses précédentes conclusions par les mêmes moyens et les moyens qu’en ce qui concerne la légitimité de l’UDAF de la Charente à faire valoir les droits à l’aide sociale de M. X..., ils précisent, qu’au regard du mandat qu’ils exercent, ils sont tenus de faire valoir les droits et intérêts de la personne sous mesure de protection dans la mesure où leur situation répond aux critères et conditions pour en bénéficier ; que l’appréciation relève donc de la compétence du mandataire judiciaire de la personne dans la mesure du possible ; que le conseil général n’a pas à apprécier la légitimité du dépôt de l’aide sociale par le mandataire judiciaire, mais doit apprécier si au regard des ressources du demandeur l’aide sociale peut être attribuée ; qu’en l’espèce, l’UDAF de la Charente, au regard des ressources et de la situation de M. X..., a estimé qu’il remplissait les conditions pour faire valoir son droit à l’aide sociale ; que sur la prise en charge par la collectivité de l’aide sociale, l’aide sociale est un droit subsidiaire qui n’intervient qu’à défaut des ressources du bénéficiaire ou de son droit à tout autre type de solidarité ; que l’article L. 132-1 du code de l’action sociale et des familles énonce les revenus devant être pris en compte pour l’appréciation des ressources ; que cet article exclut, par ses termes mêmes, la prise en compte du capital des postulants à l’aide sociale ; que la jurisprudence constante en la matière précise que « pour l’appréciation des ressources de l’intéressé, il y a lieu de prendre en compte les revenus du capital placé et non le capital lui-même ; qu’en contrepartie, le code de l’action sociale et des familles prévoit dans son article L. 132-8, la possibilité pour la collectivité de récupérer le patrimoine du bénéficiaire à son décès ou en cas de retour à meilleure fortune ; que le conseil général évoque que le patrimoine mobilier de M. X... lui aurait permis de financer son hébergement en famille d’accueil pendant plusieurs années ; qu’ainsi le conseil général ne fait pas une stricte application de l’article L. 132-1 précité et de la jurisprudence constante en la matière ; que sur la gestion « en bon père de famille » par l’UDAF de la Charente, nous rappelons au conseil général qu’il ne lui appartient pas de conseiller le mandataire judiciaire sur la gestion du patrimoine des personnes et encore moins de juger de la bonne ou mauvaise gestion du patrimoine par ce dernier ; que le mandataire judiciaire rend compte de sa gestion tous les ans au juge des tutelles qui seul a autorité pour approuver ou non cette gestion ; que, par ailleurs, l’état de besoin est constitué si le postulant à l’aide sociale n’a pas les revenus suffisants pour couvrir ses charges et s’il ne tire pas de son capital les revenus suffisants à la conditions qu’il le gère utilement ; qu’en l’espèce, une autre gestion du capital de M. X... ne serait pas susceptible de lui procurer des revenus supérieurs tels que la demande d’aide sociale serait alors infondée ; qu’en l’espèce M. X... perçoit en 2012 une allocation aux adultes handicapés de 68,13 euros, une allocation logement de 162,58 euros, une majoration à la vie autonome de 104,77 euros et une pension de retraite de 714,41 euros ; que les revenus de son capital s’élèvent pour l’année 2011 à 481,48 euros soit 40,12 euros par mois ; que le coût mensuel de son hébergement s’élève à 1 618,93 euros ; que son budget est donc mensuellement déficitaire de 682,38 euros ; que, hormis les augmentations annuelles de l’AAH et l’attribution de la majoration à la vie autonome, les ressources de M. X... n’ont pas changé depuis son entrée en famille d’accueil ; que ses ressources restent insuffisantes pour couvrir ses frais d’hébergement ; qu’il est donc étonnant que le conseil général au regard des ressources de M. X..., refuse de lui attribuer l’aide sociale à compter du 1er décembre 2010 alors que pour les périodes antérieures il avait décidé de lui attribuer cette aide ; que le conseil général aurait dû, conformément à l’article L. 132-1 du code de l’action sociale et des familles et à la jurisprudence constante en la matière, retenir pour l’appréciation des revenus de M. X..., ses ressources et les revenus de son capital et ainsi faire droit à sa demande ; qu’il est surprenant de constater que le conseil général de la Charente se prévaut dans son argumentaire de la jurisprudence émanant de décisions du juge aux affaires familiales dans la mesure où, nous le rappelons, M. X... n’a ni ascendant vivant, ni descendant ; que la saisine du juge des affaires familiales au titre de l’article 205 du code civil n’est possible que dans la mesure où la personne a dans son entourage des descendants et des ascendants, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que, par ailleurs, n’ayant pu en l’espèce mettre en œuvre la solidarité familiale et ayant fait valoir ses droits à tout autre type de solidarité et prestations, le dépôt d’aide sociale au bénéfice de M. X... prend tout son intérêt ; que le conseil général aurait dû faire droit à la demande de M. X... conformément à l’article L. 132-1 du code de l’action sociale et des familles et à la jurisprudence constante ; qu’ils contestent la décision de la commission départementale du 17 octobre 2011, demandent l’application de l’article L. 132-1 du code de l’action sociale et des familles et de la jurisprudence constante et demandent le remboursement des timbres fiscaux pour les frais de procédure ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles, notamment les articles L. 134-2 et L. 134-6 ;
    Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010-110 QPC du 25 mars 2011, notamment l’article 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012-250 QPC du 8 juin 2012, notamment l’article 1er alinéa 3 de son dispositif ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 22 novembre 2012, Mme ERDMANN, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant que le président du conseil général de la Charente soutient que « les textes ne font pas obligation de solliciter l’aide sociale » et que le tuteur devait préalablement envisager (et pourvoir à) un financement de la dépense par le patrimoine de l’assisté ; que bien au contraire, il appartient à l’organisme de protection pour sauvegarder les intérêts de son protégé de déposer telles demandes de prestations, notamment d’aide sociale, s’il respecte les conditions légales d’octroi de l’aide ;
    Considérant que contrairement à ce que paraît soutenir le président du conseil général les articles L. 132-1 et L. 212-1 du code de l’action sociale et des familles ont bien pour objet et pour effet d’exclure les ressources en capital du demandeur de celles susceptibles d’être prises en compte pour déterminer la participation de l’aide sociale à ses frais d’hébergement et d’entretien, seul pouvant être pris en compte, lorsque le capital n’est pas productif de revenus voire si ceux-ci sont indisponibles, un montant forfaitaire correspondant aux revenus sensés ainsi produits par le capital ainsi géré ;
    Considérant que la circonstance que les règles de l’aide sociale « fassent expressément référence » au capital en le prenant en compte au titre de l’article L. 132-8 pour l’exercice du recours contre la succession n’implique nullement, bien au contraire, qu’elles aient prévu la prise en compte de ce capital dès le stade de l’admission à l’aide sociale ;
    Considérant que la question n’est pas de savoir si « rien n’interdit d’utiliser le capital » ce qui, selon l’interprétation du défendeur, « porterait atteinte à la liberté de choix », mais si la prise en compte des ressources en capital est prévue au stade de l’admission à l’aide sociale par les dispositions législatives, en toute hypothèse, et réglementaires applicables à cette aide ; qu’à cette question, seule pertinente, à laquelle le défendeur contraint instance après instance la présente juridiction à apporter la même réponse conforme, selon elle, à la jurisprudence constante, sans même croire devoir saisir le juge de cassation afin qu’il censure l’inexactitude de la position du juge d’appel ou modifie sa jurisprudence, la réponse est, une nouvelle fois, négative ;
    Considérant que le principe de subsidiarité ne s’applique que pour autant qu’aucune disposition, en tout état de cause, législative n’y fasse obstacle pour la dispense de telle ou telle prestation d’aide sociale, comme il en va en l’espèce ;
    Considérant que les décisions du juge aux affaires familiales rendues pour l’appréciation des obligations alimentaires des débiteurs de ces obligations vis-à-vis de leurs créanciers ne sont - et ne peuvent être - opposables au juge de l’aide sociale statuant vis-à-vis d’ailleurs d’autres personnes que celles concernées par les décisions citées par le défendeur, pour l’appréciation des ressources personnelles du demandeur d’aide ; que, d’ailleurs, il n’existe en réalité par de divergence selon la présente juridiction entre la jurisprudence de la cour de cassation (qu’il y a lieu seule de prendre en compte pour le juge administratif) qui ne retient la possibilité de prendre en compte les ressources en capital dans le cadre de l’appréciation des ressources du créancier d’aliments que pour autant que celles-ci ne fassent pas l’objet d’une gestion normale ; qu’en l’espèce, il n’est pas allégué - et le contraire résulte de l’instruction - que les revenus procurés par le capital de M. X... ne soient pas de la nature de ceux qu’une gestion normale est susceptible de produire ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il ne peut, une nouvelle fois, qu’être fait droit aux conclusions de la requête de l’Union départementale des associations familiales de la Charente ;
    Considérant que l’association requérante sollicite la condamnation du département aux dépens constitués par l’acquit du droit de timbre,

Décide

    Art. 1er.  -  La décision de la commission départementale d’aide sociale de la Charente en date du 17 octobre 2011, ensemble la décision du président du conseil général de la Charente du 6 décembre 2010 sont annulées.
    Art. 2.  -  L’allocation de placement familial est accordée à M. X... à compter du 1er décembre 2010 conformément aux motifs de la présente décision et l’UDAF de la Charente est renvoyée devant le président du conseil général de la Charente pour liquidation de ses droits.
    Art. 3.  -  Les dépens de l’instance constitués par l’acquit du droit de timbre de 35 euros par l’UDAF de la Charente sont à charge du département de la Charente.
    Art. 4.  -  La présente décision sera transmise à la ministre des affaires sociales et de la santé, à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 22 novembre 2012 où siégeaient M. LEVY, président, Mme THOMAS, assesseure, Mme ERDMANN, rapporteure.
    Décision lue en séance publique le 30 novembre 2012.
    La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président La rapporteure

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer