Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) - Recours en récupération - Récupération sur succession - Assurance vie - Requalification
 

Dossier no 091739

Mme X...
Séance du 11 février 2014

Décision lue en séance publique le 20 février 2014

    Vu la requête, en date du 25 août 2008, présentée par Maître Bernard MOMPOINT, mandaté par Mme Y..., tendant à l’annulation de la décision du 6 mai 2008 par laquelle la commission départementale d’aide sociale du Rhône a rejeté son recours contre la décision du 19 janvier 2006 par laquelle le président du conseil général du Rhône a prononcé à son encontre, en sa qualité de donataire de Mme X..., bénéficiaire de l’aide sociale, la récupération de la somme 15 244,90 euros ;
        Mme Y... soutient que la décision de la commission départementale d’aide sociale qu’elle attaque méconnaît la jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la requalification de contrats d’assurance vie en donation ; que l’intention libérale de Mme X... au moment de la souscription des contrats d’assurances vie en cause n’est pas caractérisée ; que la circonstance que Mme X... ait souscrit les contrats plusieurs années avant son admission au bénéfice de l’aide sociale fait obstacle à la requalification de ces contrats en donation ;
        Vu la décision attaquée ;
        Vu le mémoire en défense, en date du 30 novembre 2009, présenté par le président du conseil général du Rhône, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que les contrats d’assurance vie souscrits en 1994 et 1996 par Mme X... au profit de sa nièce, Mme Y..., sept et cinq ans avant sa demande d’aide sociale, ont été à bon droit requalifiés en donation, compte tenu de l’intention libérale avec lesquels ils ont été conclus, de l’âge de Mme X... à la date de cette souscription et de l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine ; que les dispositions de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles n’ont pas été méconnues ;
        Vu le mémoire en réplique, en date du 3 février 2014, présenté par Mme Y..., qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre qu’une opposition a été faite à compter du 1er septembre 2012 sur ses revenus, d’environ 168 euros mensuels, alors que son appel devant la commission centrale d’aide sociale était toujours pendant ;
        Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
        Vu le code civil ;
        Vu le code de l’action sociale et des familles ;
        Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010-110 QPC du 25 mars 2011, notamment l’article 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012-250 QPC du 8 juin 2012, notamment l’article 1er, alinéa 3, de son dispositif ;
        Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles d’entre elles ayant exprimé le souhait d’en faire usage ayant été informées de la date et de l’heure de l’audience ;
        Après avoir entendu à l’audience publique du 11 février 2014 Mme ROUSSEL, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
        Considérant, d’une part, qu’en vertu des dispositions du 2o de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, une action en récupération est ouverte au département « contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ;
        Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ; qu’un contrat d’assurance vie soumis aux dispositions des articles L. 132-1 du code des assurances, par lequel il est stipulé qu’un capital ou qu’une rente sera versé au souscripteur en cas de décès du souscripteur avant cette date n’a pas, en lui-même, le caractère d’une donation, au sens de l’article 894 du code civil ;
        Considérant toutefois que l’administration de l’aide sociale est en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l’engagement d’une action en récupération ; que le même pouvoir appartient aux juridictions de l’aide sociale, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse, d’une éventuelle question préjudicielle devant les juridictions de l’ordre judiciaire ; qu’à ce titre, un contrat d’assurance vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l’intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, s’y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance d’un droit de créance sur l’assureur ; que, dans ce cas, l’acceptation du bénéficiaire, alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale ;
        Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que, d’une part, Mme X... née D... le 4 juillet 1911, a bénéficié pour la période allant du 1er novembre 1999 à 26 juillet 2003, date de son décès, de la prise en charge de ses frais d’hébergement au centre de long séjour H... pour un montant total de 52 593,50 euros ; que, d’autre part, Mme X... a souscrit en 1994, alors qu’elle était âgée de 83 ans, et en 1996, alors qu’elle était âgée de 85 ans, deux contrats d’assurance vie au profit de sa nièce, Mme Y... ; que ces souscriptions sont respectivement intervenues sept et cinq ans avant sa demande d’admission à l’aide sociale ; qu’au décès de Mme X..., le montant des primes perçues par Mme Y... s’est élevé à 15 244,90 euros ; que ce montant doit être mis en relation avec l’actif net successoral de Mme X..., qui s’élevait à 25 334,45 euros ; que, dans ces circonstances, eu égard à l’espérance de vie de Mme X... à la date de souscription des contrats et à l’importance des montants versés par rapport à son patrimoine, la souscription de ces contrats doit être regardée comme procédant d’une intention libérale ;
        Considérant, en second lieu, que si Mme Y... soutient que le département ne pouvait exercer de recours à son encontre en sa qualité de donataire, dès lors que la souscription des contrats d’assurance vie, requalifiés en donation, était intervenue alors que Mme X... n’était pas encore bénéficiaire de l’aide sociale, il résulte des termes mêmes du 2o de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles cité ci-dessus que le département peut exercer un recours contre le donataire lorsque la donation est intervenue dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;
        Considérant, par suite, que le président du conseil général du Rhône a pu à bon droit, sur le fondement du 2o de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, engager un recours en récupération à l’encontre de Mme Y... en sa qualité de donataire ;
        Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme Y... n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par la décision attaquée, la commission départementale d’aide sociale du Rhône a rejeté son recours,

Décide

    Art. 1er.  -  La requête de Mme Y... est rejetée.
    Art. 2.  -  La présente décision sera notifiée à Maître Bernard MOMPOINT, à Mme Y..., au conseil général du Rhône, au préfet du Rhône. Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales et de la santé.
        Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 11 février 2014 où siégeaient M. SELTENSPERGER, président, M. CENTLIVRE, assesseur, Mme ROUSSEL, rapporteure.
        Décision lue en séance publique le 20 février 2014.
        La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président La rapporteure

Pour ampliation
La secrétaire générale
de la commission centrale d’aide sociale,
M.-C. Rieubernet