Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Récupération sur succession - Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) - Actif successoral - Hébergement - Compétence - Modération - Date d’effet
Dossier no 140109

Mme Z...
Séance du 19 mars 2015

Décision lue en séance publique le 20 mars 2015

    Vu le recours formé le 27 février 2014 par le président du conseil général des Ardennes tendant à l’annulation de la décision en date du 12 novembre 2013 par laquelle la commission départementale d’aide sociale des Ardennes a partiellement infirmé la décision en date du 14 février 2013 du président du conseil général des Ardennes notifiant à Mme X... et à Mme Y... « la récupération des dépenses d’aide sociale avancées par le département des Ardennes au titre de l’hébergement en établissement pour personnes âgées dépendantes pour le compte de Mme Z... sur sa succession » en ramenant le montant de la créance départementale initiale de 50 312,07 euros à 30 312,07 euros ;
    Le requérant soutient dans un premier temps qu’en l’absence de texte venant limiter la possibilité de récupérer sur succession les frais d’aide sociale au titre de l’hébergement des personnes âgées en établissement il est évident que les juridictions d’aide sociale doivent se montrer particulièrement prudentes dans l’appréciation des circonstances de l’espèce lorsqu’elles modèrent l’assiette du recours en récupération, qu’en l’espèce la commission départementale d’aide sociale a fait une appréciation erronée de la situation de la famille X...Y..., qu’en effet, si Mmes X... et Y... ont toujours porté de l’intérêt à leur mère elles n’ont toutefois absolument pas participé à la prise en charge des frais de vie de leur mère en établissement et ne doivent ainsi pas être considérées comme ayant rempli leurs « devoirs alimentaires », qu’elles ont par ailleurs refusé la vente des biens immobiliers de Mme Z... ce qui aurait pu permettre d’éviter le recours à l’aide sociale, moyen écarté par la commission au motif que « pour apprécier la demande des héritiers de remise partielle ou intégrale du recours en récupération, le code de l’action sociale et des familles exige de se placer au jour où elle statue » alors même qu’il est de jurisprudence constante que les juridictions examinent le bien-fondé de l’action en récupération engagée par la collectivité publique « d’après l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l’une ou l’autre partie à la date de leur propre décision (CE, 25 novembre 1998, no 181242) ; dans un deuxième temps que la commission départementale d’aide sociale a fait une appréciation erronée de la situation financière des héritières, que ces dernières disposent de ressources modérées et non modestes ; dans un troisième temps que la commission départementale d’aide sociale a fait une inexacte appréciation du patrimoine de Mme Z... et donc de la succession, qu’ainsi la succession ne s’élève pas à 90 000 euros mais à plus de 110 000 euros, ce qui constitue un héritage supérieur à la moyenne nationale et ne peut donc être qualifié de modique comme le fait la commission départementale d’aide sociale, sachant par ailleurs que l’héritage est principalement constitué de liquidité, la récupération n’aurait à cet égard aucun impact sur le train de vie des deux héritières ; le requérant demande enfin à la commission de condamner Mmes X... et Y... aux dépens ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu le mémoire en défense enregistré le 30 juin 2014 produit par Maître Pierre-Yves MIGNE, en sa qualité de conseil de Mmes X... et Y... qui conclut au rejet de la requête aux motifs dans un premier temps que si aucune décision ne vient limiter le pouvoir souverain d’appréciation de la commission départementale d’aide sociale, aucune « évidence » ne peut être de nature à remettre en cause le pouvoir souverain d’appréciation de la commission départementale d’aide sociale qui a parfaitement motivé la décision querellée, que le conseil général des Ardennes ne peut valablement reprocher aux concluantes de ne pas démontrer leur état d’impécuniosité alors qu’il les a lui-même dispensé de toute contribution à l’époque de l’octroi de l’aide sociale à Mme Z..., que cela démontre que les concluantes n’ont jamais eu les capacités financières pour assister leur mère et que le conseil général en avait parfaitement connaissance, que le conseil général omet de préciser que Mme X... en assurant bénévolement la gestion de la tutelle de sa mère a permis d’éviter la rémunération d’un tuteur professionnel qui aurait pu être mis à la charge de la collectivité (article 419 du code civil) qu’une telle intervention peut ainsi être analysée comme une aide matérielle comprise dans l’obligation alimentaire, qu’en tout état de cause, les deux filles de Mme X... n’ont pas failli dans leurs devoirs alimentaires et qu’on ne peut leur reprocher un quelconque manquement à ce devoir ; que le conseil général ne peut reprocher aux héritières de n’avoir pas vendu les biens immobiliers de Mme Z..., que ce refus n’était absolument pas motivé par la volonté de bénéficier d’aides sociales indues ; que les requérantes justifient d’une situation financière délicate qui justifie que la modeste succession de leur mère n’ait pas à supporter le coût de la récupération des prestations susvisées ; que contrairement à ce qu’affirme le conseil général des Ardennes, la valeur du patrimoine de Mme Z... n’a pas été sous-évaluée ;
    Vu le mémoire en réplique produit par le président du conseil général des Ardennes enregistré en date du 2 septembre 2014 par lequel il persiste dans les mêmes conclusions en précisant que les éléments attestant d’une situation financière « modérée » et non « modique » sont confirmés par les justificatifs financiers récents communiqués par Mmes X... et Y... dans leur mémoire en réponse ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles ;
    Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010-110 QPC du 25 mars 2011, notamment l’article 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012-250 QPC du 8 juin  2012, notamment l’article 1er alinéa 3 de son dispositif ;
    Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles d’entre elles ayant exprimé le souhait d’en faire usage ayant été informées de la date et de l’heure de l’audience ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 19 mars 2015, Mme DERVIEU, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant qu’aux termes du 1o de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles : « Des recours sont exercés, selon le cas, par l’Etat ou le département (...) contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire » ; qu’aux termes de l’article R. 132-11 du même code : « Les recours prévus à l’article L. 132-8 sont exercés, dans tous les cas, dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de l’aide sociale (...) » ;
    Considérant qu’aux termes du 4e alinéa de l’article R. 132-11 dudit code, le président du conseil général ou le préfet fixe le montant des sommes à récupérer ; que le président du conseil général des Ardennes par une décision du 14 février a décidé de récupérer la somme de 50 312,07 euros relative aux frais avancés au titre de l’aide sociale pour la prise en charge des frais d’hébergement de Mme Z... pour la période du 1er octobre 2007 au 17 octobre 2012 et ce dans la limite du montant de l’actif net successoral évalué à 90 000 euros ;
    Considérant que par la décision attaquée, la commission départementale d’aide sociale des Ardennes en date du 12 novembre 2013 a réduit le montant de la récupération sur succession à 30 312,07 euros, que le conseil général des Ardennes s’oppose à cette modération pour les motifs développés dans les mémoires reproduits dans la présente décision ;
Considérant en premier lieu que le juge de plein contentieux de l’aide sociale lorsqu’il entend disposer de son pouvoir de modération de l’action en récupération se place à la date à laquelle il statue pour apprécier les circonstances de fait de nature à justifier l’atténuation ou l’effacement de la dette ; que si des éléments de contexte anciens peuvent être examinés, il s’en suit toutefois que les moyens selon lesquels les héritières n’auraient pas assumé leur obligation alimentaire ou n’auraient pas vendu les biens immobiliers de la bénéficiaire de l’aide sociale ce qui aurait permis de diminuer le montant de l’aide attribuée à Mme Z... sont inopérants et sans incidence sur un recours en récupération sur succession dès lors que celui-ci s’effectue sur l’actif net successoral, que les hypothèses par lesquelles le conseil général aurait pu dépenser moins d’argent au titre de l’aide sociale si certains évènements s’étaient produits ou non ne peuvent ainsi être invoquées ; qu’il est à signaler que si le conseil général avait souhaité que les filles de Mme X... participent aux frais d’hébergement de cette dernière au titre de leur obligation alimentaire il avait tout moyen pour le faire, qu’on ne peut donc reprocher aux héritières de n’avoir pas versé de participation alors même qu’on ne le leur a pas demandé, qu’inversement le fait que Mme X... ait assuré la gestion tutélaire de sa mère n’est pas de nature à prouver qu’elle ait de manière certaine permis au département de faire des économies et assumé son obligation alimentaire ; de même, s’il avait souhaité s’assurer de la récupération des sommes avancées au titre de l’aide sociale, le conseil général aurait pu placer une hypothèque légale sur les biens immobiliers de la bénéficiaire de l’aide sociale, qu’il n’a en tout état de cause, aucun droit de regard sur la gestion patrimoniale des familles des bénéficiaires de l’aide sociale ;
    Considérant que le moyen invoqué relatif au fait que le montant de la succession s’élèverait à 110 000 euros doit être écarté dès lors que le conseil général n’apporte aucune preuve concrète du fait que le montant de la succession aurait été sous-évalué, qu’il est à signaler qu’il n’y a d’ailleurs aucune déclaration de succession jointe au dossier, qu’en l’état il n’est donc pas possible pour le juge de connaitre précisément le montant de l’actif net successoral ;
    Considérant toutefois qu’il résulte de l’instruction du dossier que Mmes X... et Y... disposent de ressources modestes mais insuffisantes pour assumer la totalité de la créance départementale, qu’il y a lieu de considérer que le président du conseil général des Ardennes n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision de la commission départementale d’aide sociale des Ardennes ; qu’il en résulte que le recours du président du conseil général des Ardennes est rejeté ;
    Considérant qu’il n’y a pas lieu de condamner les défenderesses aux dépens,

Décide

    Art. 1er.  -  Le recours du président du conseil général des Ardennes est rejeté.
    Art. 2.  -  Le montant de la somme due au titre de la récupération sur la succession par Mmes X... et Y... est laissé à 30 312,07 euros.
    Art. 3.  -  La présente décision sera notifiée au président du conseil général des Ardennes, à Maître Pierre-Yves MIGNE, à Mme X..., à Mme Y..., à l’Union départementale des associations familiales des Ardennes. Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 19 mars 2015 où siégeaient M. SELTENSPERGER, président, Mme GUIGNARD-HAMON, assesseure, Mme DERVIEU, rapporteure.
    Décision lue en séance publique le 20 mars 2015.
    La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président La rapporteure

Pour ampliation,
La secrétaire générale
de la commission centrale d’aide sociale,
M.-C. Rieubernet