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Dispositions communes à tous les types d'aide sociale

Recours en récupération

Récupération sur donation

Mots clés : Recours en récupération – Récupération sur donation – Assurance-vie – Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) – Hébergement – Requalification – Donation – Conseil d’Etat

Dossier no 140609

Mme X…

Séance du 30 novembre 2016

Décision lue en séance publique le 30 novembre 2016

Vu le recours formé en date du 15 octobre 2013 par M. Y…, tendant à l’annulation de la décision en date du 13 mai 2013 par laquelle la commission départementale d’aide sociale du Nord a prononcé un non-lieu à statuer sur le recours du requérant tendant à l’annulation de la décision en date du 8 août 2011 par laquelle le président du conseil général du nord a décidé d’engager la récupération des sommes allouées par le département à Mme X…, mère du requérant, pour ses frais d’hébergement au titre de l’aide sociale, sur les bénéficiaires du contrat d’assurance-vie souscrit par la postulante, au motif qu’il était dépourvu de tout objet ;

Le requérant conteste la décision de la commission départementale d’aide sociale du Nord, aux motifs qu’il n’a jamais reçu la convocation l’invitant à se présenter à l’audience, qu’il n’a donc pu faire valoir ses arguments, qu’il n’était pas seul bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, que huit autres personnes sont concernées mais qu’il est le seul à avoir reçu une demande de récupération des sommes perçues, qu’aucun chiffrage de la dette d’aide sociale n’a été porté à sa connaissance, qu’il devrait donc s’acquitter d’une dette estimée du « fait du prince », que ses ressources ne lui permettent pas de rembourser les sommes réclamées, qu’enfin la décision de la commission départementale du Nord est insuffisamment motivée, qu’il souhaite ainsi que la dette soit chiffrée et équitablement répartie entre les huit héritiers directs ;

Vu la décision attaquée ;

Vu le mémoire en défense produit par le président du conseil général du Nord en date du 9 octobre 2014 qui conclut au rejet de la requête aux motifs que l’administration et les juridictions de l’aide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l’engagement d’une action en récupération, qu’à ce titre, un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation, si compte tenu des circonstances dans lesquelles il a été souscrit, il révèle une intention libérale du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire, qu’en vertu d’une jurisprudence du Conseil d’Etat en date du 19 novembre 2004, un contrat d’assurance-vie peut être assimilé à une donation de fait et par conséquent récupérable dans les conditions prévues par les articles L. 132‑8 et R. 132‑11 du code de l’action sociale et des familles, que le requérant ne soulève aucun moyen susceptible d’entraîner la réformation de la décision attaquée, que l’argument selon lequel le requérant n’aurait pas été informé de sa possibilité d’être entendu à l’occasion de l’instance ne peut être accueilli dès lors où ce dernier a reçu en date du 30 novembre 2011 un courrier envoyé avec accusé de réception dans lequel il est formellement indiqué que si le requérant le désire il a la possibilité d’être entendu personnellement ; que la dépense nette d’hébergement a été établie, qu’elle s’élève à 11 221,72 euros pour la période allant du 10 septembre 2010 au 18 avril 2012 jour du décès de la bénéficiaire ; que contrairement à ce qu’affirme le requérant, chacun des trois enfants de la postulante ayant été nommés bénéficiaire de l’assurance-vie a reçu un courrier l’informant de la décision de récupération sur donation, que le moyen selon lequel le requérant atteste de difficultés financières est inopérant dès lors que la récupération ne peut porter sur les donataires que dans la proportion de ce qui leur a été donné, que la récupération n’a donc pas pour effet de placer les bénéficiaires de la donation dans une situation de précarité, que si toutefois le requérant venait à justifier de difficultés dans le remboursement des sommes, le département ne pourrait que l’inviter à se rapprocher des services de la paierie départementale afin de convenir, avec eux, d’un échéancier de remboursement de la dette ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010‑110 QPC du 25 mars 2011, notamment l’article 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012‑250 QPC du 8 juin 2012, notamment l’article 1er , alinéa 3, de son dispositif ;

Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles d’entre elles ayant exprimé le souhait d’en faire usage ayant été informées de la date et de l’heure de l’audience ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 30 novembre 2016 Mme DERVIEU, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;

Considérant dans un premier temps que le principe du contradictoire est un des principes généraux du droit ; que dans ces conditions ces principes s’appliquent aux décisions des juridictions de l’aide sociale ; que toutefois dans le cas de la présente instance, d’une part, il ne ressort d’aucun document une quelconque demande concernant la communication de certaines pièces et notamment du chiffrage du montant de la créance départementale, que d’autre part, l’article L. 134‑9 du code de l’action sociale et des familles prévoit que le demandeur (…) est entendu lorsqu’il le souhaite devant la commission départementale et la commission centrale d’aide sociale ; qu’en l’espèce il résulte de l’instruction du dossier que le requérant a bien été invité par lettre en date du 30 novembre 2011 à être entendu par la commission départementale d’aide sociale ; qu’il pouvait à cette occasion obtenir communication du dossier constitué auprès de la commission départementale ; qu’ainsi, le moyen tiré du non-respect du principe du contradictoire ne peut être retenu en l’espèce ;

Considérant ensuite qu’aux termes des dispositions de l’article L. 132‑8 (2o) du code de l’action sociale et des familles : « des recours sont exercés par l’administration (…) contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ; qu’aux termes de l’article R. 132‑11 du code précité : « Les recours prévus à l’article L. 132‑8 sont exercés, dans tous les cas, dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de l’aide sociale » ;

Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donateur qui l’accepte » ; qu’un contrat d’assurance-vie soumis aux dispositions des articles L. 132‑1 et suivants du code des assurances, par lequel il est stipulé qu’un capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à l’échéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, n’a pas en lui-même le caractère d’une donation, au sens de l’article 894 du code civil ;

Considérant que l’administration et les juridictions de l’aide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l’engagement d’une action en récupération, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse, d’une éventuelle question préjudicielle devant les juridictions judiciaire ; qu’à ce titre, un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation, si compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire ; que l’intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, s’y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance d’un droit de créance sur l’assureur ; que, dans ce cas, l’acceptation du bénéficiaire, alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme X… a bénéficié de l’aide sociale à l’hébergement pour son accueil à la résidence « R… » dans le Nord du 10 septembre 2010 au 18 avril 2012, date de son décès ; que les sommes avancées par le département au titre de l’aide sociale à l’hébergement se sont élevées au total à 11 224,72 euros, que Mme X…, née le 18 mars 2003, avait souscrit le 13 juin 1995 un contrat d’assurance-vie dont le montant s’est élevé à une valeur totale de 32 757,55 euros ;

Considérant, d’une part, que ni l’âge (72 ans) de Mme X… à la date de la souscription du contrat ni la relative importance des primes qui y sont versées ne peuvent être considérés comme des éléments suffisants à prouver l’intention libérale, que les conditions permettant à l’administration de l’aide sociale de requalifier un contrat d’assurance-vie en donation indirecte ne sont donc pas réunies dans la présente instance ;

Considérant, d’autre part, que le contrat d’assurance-vie incriminé a été souscrit en 1995, soit plus de dix ans avant la première admission à l’aide sociale de Mme X… en 2010, qu’en décidant de la récupération sur donation indirecte des sommes avancées au titre de l’aide sociale alors que seules les donations intervenues postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande sont susceptibles de récupération, le président du conseil général du Nord a commis une erreur manifeste de droit, qu’il y a donc lieu de l’annuler,

Décide

Art. 1er La demande de récupération sur donation indirecte à l’encontre des bénéficiaires du contrat d’assurance-vie par Mme X… bénéficiaire de l’aide sociale est annulée.

Art. 2.  La présente décision sera notifiée à M. X…, au président du conseil départemental du Nord. Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales et de la santé.

Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 30 novembre 2016 où siégeaient M. JOURDIN, président, M. MATH, assesseur, Mme DERVIEU, rapporteure.

Décision lue en séance publique le 30 novembre 2016.

La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le présidentLa rapporteure

Pour ampliation,

La secrétaire générale de la commission centrale d’aide sociale,

Marie-Christine RIEUBERNET