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Dispositions spécifiques aux différents types d'aide sociale

Aide sociale aux personnes âgées (ASPA)

Placement en établissement

Mots clés : Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) – Hébergement – Commission centrale d’aide sociale (CCAS) – Conseil d’Etat – Obligation alimentaire – Compétence juridictionnelle – Erreur manifeste d’appréciation

Conseil d’Etat statuant au contentieux

Dossier no 402111

M. D… C…

Lecture du 20 octobre 2017

Vu la procédure suivante :

MM. E… et H… C… et A… G… B… ont demandé à la commission départementale d’aide sociale du Pas-de-Calais d’annuler la décision du 24 janvier 2014 par laquelle le président du conseil général du Pas-de-Calais a refusé, à compter de cette date, la prise en charge au titre de l’aide sociale des frais de l’hébergement de leur père, M. D… C…, au sein de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Berck-sur-Mer. Par une décision no 964129 du 14 mars 2014, la commission départementale d’aide sociale du Pas-de-Calais a rejeté leur demande.

Par une décision no 140313 du 25 mai 2016, la commission centrale d’aide sociale, saisie de l’appel de MM. E… et H… C…, a annulé la décision de la commission départementale d’aide sociale du Pas-de-Calais du 14 mars 2014 ainsi que la décision du président du conseil départemental du Pas-de-Calais du 24 janvier 2014 et a admis M. D… C… au bénéfice de l’aide sociale, d’une part, à hauteur de 381,09 euros pour la période du 24 janvier 2014 au 1er juin 2015, avec participation des obligés alimentaires à hauteur de 300 euros par mois, d’autre part, à compter du 1er juin 2015, sous réserve de la réversion de 90 % de ses ressources, sans qu’aucune participation des obligés alimentaires ne puisse être réclamée conformément à la décision du juge aux affaires familiales.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 août 2016 et 1er mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, MM. F…, H… et E… C… et A… G… B… demandent au Conseil d’Etat :

1o  D’annuler la décision de la commission centrale d’aide sociale du 25 mai 2016 en tant qu’elle a fixé les droits de M. D… C… à l’aide sociale, du 24 janvier 2014 au 1er juin 2015, en retenant une participation des obligés alimentaires à hauteur de 300 euros par mois ;

2o  De mettre à la charge du département du Pas-de-Calais la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

le code civil ;

le code de l’action sociale et des familles ;

le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

le rapport de M. Frédéric PACOUD, maître des requêtes ;

les conclusions de M. Rémi DECOUT-PAOLINI, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 24 janvier 2014, le président du conseil général du Pas-de-Calais a rejeté la demande d’admission au bénéfice de l’aide sociale de M. D… C… pour la prise en charge de ses frais d’hébergement à l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes Villa Sylvia de Berck-sur-Mer, compte tenu de ses ressources et de l’aide possible de ses obligés alimentaires. Par une décision du 25 mai 2016, statuant sur la requête de MM. H… et E… C…, ses fils, la commission centrale d’aide sociale a annulé cette décision du 24 janvier 2014 ainsi que la décision de la commission départementale d’aide sociale du Pas-de-Calais du 14 mars 2014 qui la confirmait, et a admis M. D… C… au bénéfice de l’aide sociale, d’une part, pour la période du 24 janvier 2014 au 1er juin 2015, à hauteur de la somme mensuelle de 381,09 euros, compte tenu d’une participation des obligés alimentaires évaluée à 300 euros par mois, et, d’autre part, à compter du 1er juin 2015, sous réserve de la seule réversion de 90 % de ses ressources, sans participation des obligés alimentaires. MM. F…, H… et E… C… ainsi que Mme G… B… doivent être regardés comme demandant l’annulation de l’article 2 de la décision de la commission centrale d’aide sociale, en tant que les droits de leur père à l’aide sociale ont été fixés, du 24 janvier 2014 au 1er juin 2015, en retenant une participation des obligés alimentaires à hauteur de 300 euros par mois. Mme G… B… et M. F… C… n’ayant pas eu la qualité de partie dans l’instance d’appel devant la commission centrale d’aide sociale, ce pourvoi n’est recevable qu’en tant qu’il est formé par MM. H… et E… C…

2. Aux termes de l’article L. 132‑6 du code de l’action sociale et des familles : « Les personnes tenues à l’obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l’occasion de toute demande d’aide sociale, invitées à indiquer l’aide qu’elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. /  (…) La proportion de l’aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l’obligation alimentaire. La décision peut être révisée sur production par le bénéficiaire de l’aide sociale d’une décision judiciaire rejetant sa demande d’aliments ou limitant l’obligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par l’organisme d’admission. La décision fait également l’objet d’une révision lorsque les débiteurs d’aliments ont été condamnés à verser des arrérages supérieurs à ceux qu’elle avait prévus ». Le deuxième alinéa de l’article 207 du code civil dispose que : «  (…) quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire ». Enfin, sauf s’il prouve son état de besoin et établit qu’il n’est pas resté inactif ou qu’il a été dans l’impossibilité d’agir, le créancier d’aliments ne peut réclamer devant le juge civil le versement d’une pension pour la période antérieure à la demande en justice.

3. Il résulte de ces dispositions et des articles L. 134‑1 et L. 134‑2 du code de l’action sociale et des familles que les commissions départementales et la commission centrale d’aide sociale, à qui il appartient de déterminer dans quelle mesure les frais d’hébergement des personnes âgées dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sont pris en charge par les collectivités publiques au titre de l’aide sociale, ont compétence pour fixer, au préalable, le montant de la participation aux dépenses laissée à la charge du bénéficiaire de l’aide sociale et, le cas échéant, de ses débiteurs alimentaires. En revanche, il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire d’assigner à chacune des personnes tenues à l’obligation alimentaire le montant et la date d’exigibilité de leur participation à ces dépenses ou, le cas échéant, de décharger le débiteur de tout ou partie de la dette alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers celui-ci. Dans le cas où cette autorité a, par une décision devenue définitive, statué avant que le juge de l’aide sociale ne se prononce sur le montant de la participation des obligés alimentaires, ce dernier est lié par la décision de l’autorité judiciaire.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 1er juin 2015 passé en force de chose jugée, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer a débouté M. D… C… de sa demande, formée, en son nom, par son tuteur, tendant au versement d’une pension alimentaire de la part de ses quatre enfants, sur le fondement de l’article 207 du code civil, au motif qu’il avait lui-même manqué gravement à ses obligations envers eux. D’une part, le juge aux affaires familiales ayant statué sur la créance de M. D… C… à compter de la date de présentation de la demande, le 17 octobre 2014, sa décision faisait obstacle à ce que la commission centrale d’aide sociale, pour fixer la part des frais d’hébergement de M. C… devant être prise en charge par l’aide sociale, tienne compte d’une participation de ses obligés alimentaires pour la période comprise entre le 17 octobre 2014 et le 1er juin 2015. D’autre part, la commission centrale, qui devait tenir compte de la situation de fait existant à la date à laquelle elle statuait, a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en postulant une telle participation pour la période comprise entre le 24 janvier et le 16 octobre 2014, alors qu’il était manifeste qu’aucune contribution n’avait été ou ne serait versée spontanément par les enfants de M. C… et que, le créancier d’aliments ne pouvant, en principe, réclamer devant le juge civil le versement d’une pension pour la période antérieure à sa demande, ils ne pouvaient être contraints à aucune participation au titre de l’obligation alimentaire.

5. Cette annulation partielle, qui a pour effet d’étendre à la période du 24 janvier 2014 au 31 mai 2015 l’admission de M. C… à l’aide sociale sous la seule réserve de la réversion de 90 % de ses ressources, ne laisse à juger aucune question. Il n’y a lieu, dès lors, ni de statuer au fond en application de l’article L. 821‑2 du code de justice administrative, ni de renvoyer l’affaire devant la commission centrale d’aide sociale.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais le versement de la somme de 750 euros tant à M. H… C… qu’à M. E… C…, au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

DECIDE

Art. 1er A l’article 2 de la décision de la commission centrale d’aide sociale du 25 mai 2016, les mots « à hauteur de 381,09 euros pour la période du 24 janvier 2014 au 1er juin 2015 avec participation des obligés alimentaires à hauteur de 300 euros par mois, d’une part, et est admis au bénéfice de l’aide sociale à compter du 1er juin 2015 » sont annulés.

Art. 2.  Le département du Pas-de-Calais versera à MM. H… et E… C… la somme de 750 euros chacun au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Art. 3.  La présente décision sera notifiée à M. E… C…, représentant unique, pour l’ensemble des requérants, et au département du Pas-de-Calais.