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Dispositions communes à tous les types d'aide sociale

Recours en récupération

Récupération sur donation

Mots clés : Recours en récupération – Récupération sur donation – Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) – Prestation spécifique dépendance (PSD) – Assurance-vie

Dossier no 150547

Mme X…

Séance du 25 septembre 2017

Décision lue en séance publique le 23 octobre 2017

Vu le recours formé le 2 septembre 2015 et le mémoire enregistré le 22 août 2017, présentés par Mme T… qui demande l’annulation de la décision en date du 2 juin 2015 par laquelle la commission départementale d’aide sociale des Alpes-Maritimes a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision en date du 27 novembre 2012 du président du conseil général des Alpes-Maritimes portant récupération sur donation de la somme de 16 000,10 euros concernant la bénéficiaire de l’aide sociale Mme X… ;

La requérante soutient :

que les sommes versées à un bénéficiaire déterminé en vertu d’un contrat d’assurance-vie ne font pas partie de la succession ;

que la récupération aurait pu porter sur d’autres éléments du patrimoine de Mme X… ;

qu’elle a refusé la succession de Mme X… ;

que le contexte dans lequel les assurances-vie en cause ont été souscrites ne révèle aucune intention libérale de la part de Mme X… ;

que ces assurances ont été souscrites avant l’admission de Mme X… à l’aide sociale ;

que la somme réclamée n’est pas justifiée ;

qu’elle n’est pas en mesure, eu égard à la modicité de ses ressource, de payer la somme qui lui est réclamée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2015, présenté par le président du conseil général des Alpes-Maritimes et concluant au rejet de la requête ;

Il soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé et que les conditions sont réunies pour la requalification en donation de la somme perçue par Mme T… en qualité de bénéficiaire de l’assurance-vie souscrite par Mme X… ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010‑110 QPC du 25 mars 2011, notamment l’article 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012‑250 QPC du 8 juin 2012, notamment l’article 1er, alinéa 3, de son dispositif ;

Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles d’entre elles ayant exprimé le souhait d’en faire usage ayant été informées de la date et de l’heure de l’audience ;

Après avoir entendu, à l’audience publique du 25 septembre 2017 M. MARTHINET, rapporteur, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;

Considérant que Mme X… a bénéficié de la prestation spécifique dépendance du 30 octobre 1998 au 31 décembre 2001, pour un montant de 16 000,10 euros ; qu’au décès de cette dernière, le département des Alpes-Maritimes a constaté que la défunte avait souscrit plusieurs contrats d’assurance-vie pour un montant total de 66 615 euros, dont un au bénéfice de Mme T…, pour un montant de 15 460 euros ; que le président du conseil général des Alpes-Maritimes a, en conséquence, par décision du 27 novembre 2012, mis à la charge de Mme T…, au titre de la récupération sur donation prévue au 2o de l’article L. 132‑8 du code de l’action sociale et des familles, la somme de 3 713,62 euros ; que la commission départementale d’aide sociale des Alpes-Maritimes, par décision du 2 juin 2015, a rejeté le recours formé par Mme T… à l’encontre de la décision susmentionnée du 27 novembre 2012 ; que la requérante relève régulièrement appel de cette décision ;

Considérant qu’un contrat d’assurance-vie soumis aux dispositions des articles L. 132‑1 et suivants du code des assurances, dans lequel il est stipulé qu’un capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à l’échéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, n’a pas en lui-même le caractère d’une donation, au sens de l’article 894 du code civil ; que, toutefois, la qualification donnée par les parties à un contrat ne saurait faire obstacle au droit pour l’administration de l’aide sociale de rétablir, s’il y a lieu, sa nature exacte, sous le contrôle des juridictions de l’aide sociale et sous réserve pour ces dernières, en cas de difficulté sérieuse, d’une question préjudicielle ; qu’à ce titre, un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l’intention libérale est établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, doit être regardé, en réalité, comme s’étant dépouillé de manière à la fois actuelle et irrévocable au profit du bénéficiaire à raison du droit de créance détenu sur l’assureur ; que, dans ce cas, l’acceptation du bénéficiaire, alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale ;

Considérant qu’en l’espèce, les contrats d’assurance-vie litigieux ont été conclus en 1995, 1997 et 1999 ; qu’en l’état du dossier, la somme globale de 66 615 euros placée sur ces contrats doit être regardée comme représentant une part majeur du patrimoine de Mme X… ; qu’en revanche, quand bien même l’intéressée est décédée en 2002 à l’âge de 77 ans, il ne résulte pas de l’instruction qu’elle disposât, à la date de souscription desdits contrats, d’informations quant au caractère réduit de son espérance de vie ; qu’eu égard à l’espérance de vie à la naissance des femmes françaises et a fortiori de celles d’entre elles ayant déjà atteint l’âge de 70 ans, Mme X…, qui a souscrit les contrats litigieux respectivement à l’âge de 70, 72 et 74 ans, ne peut être regardée comme s’étant dépouillée de manière à la fois actuelle et irrévocable au profit des bénéficiaires à raison du droit de créance détenu sur l’assureur ; que la souscription de ces contrats doit, au contraire, en l’espèce, être regardée comme un simple acte de gestion patrimoniale ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la décision de la commission départementale d’aide sociale des Alpes-Maritimes du 2 juin 2015 et celle, en date du 27 novembre 2012, du président du conseil général des Alpes-Maritimes doivent être annulées,

Décide

Art. 1er La décision de la commission départementale d’aide sociale des Alpes-Maritimes du 2 juin 2015 et celle, en date du 27 novembre 2012, du président du conseil général des Alpes-Maritimes sont annulées.

Art. 2.  La présente décision sera notifiée à Mme X…, au président du conseil départemental des Alpes-Maritimes. Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 25 septembre 2017 où siégeaient M. GIROT, président, Mme DURGEAT, assesseure, M. MARTHINET, rapporteur.

Décision lue en séance publique le 23 octobre 2017.

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le présidentLe rapporteur

Pour ampliation,

La secrétaire générale de la commission centrale d’aide sociale,

Marie-Christine RIEUBERNET