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Ariane Web: Conseil d'État 423759, lecture du 8 juillet 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:423759.20200708

Décision n° 423759
8 juillet 2020
Conseil d'État

N° 423759
ECLI:FR:CECHR:2020:423759.20200708
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Christian Fournier, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP DELAMARRE, JEHANNIN, avocats


Lecture du mercredi 8 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. B... A... a saisi le tribunal administratif de Melun :

- sous le n° 1304116, d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Fresnes à lui verser les sommes de 154 137 euros, 10 000 euros et 15 000 euros, assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation respectivement du préjudice financier, du préjudice de carrière et du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent des illégalités fautives du fait de sa non réintégration dans un emploi vacant d'ingénieur territorial à temps plein ;
- sous le n° 1408362, d'une demande tendant à l'annulation, d'une part, de la notification d'opposition à tiers détenteur émise le 14 août 2014 par le comptable public de la trésorerie de Fresnes pour une somme de 2 176,83 euros et, d'autre part, du titre exécutoire n° 1877 émis le 17 avril 2014 à son encontre par le maire de Fresnes mettant à sa charge la somme de 2 176,83 euros pour la régularisation de cotisations au titre de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale, pour la période de février 2011 à janvier 2013 et à la condamnation de la commune de Fresnes à lui verser la somme de 70 euros en réparation des frais bancaires qui lui ont été facturés à la suite de la notification d'opposition à tiers détenteur ;
- sous le n° 1500946, d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Fresnes à verser à l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques la somme de 6 244,03 euros afin que des points de retraite complémentaire lui soient attribués, ainsi que les éventuelles cotisations à charge de l'employeur public, assorties des intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2011.

Par un jugement n° 1304116, 1408362, 1500946 du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Melun, après avoir joint ces trois demandes et donné acte à M. A... de son désistement des conclusions de sa première demande tendant à la réparation, à hauteur de 15 000 euros, du préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence, a rejeté le surplus des conclusions de cette première demande et les conclusions des deuxième et troisième demandes présentées par M. A....

Par un arrêt n° 17PA01984 du 28 juin 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel que M. A... a formé contre ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la réparation des seuls préjudices financiers et de carrière résultant des fautes commises par la commune de Fresnes lors de sa réintégration.

1° Sous le n° 423759, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 août et 3 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Fresnes la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 424861, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 octobre et 3 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Fresnes la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A... et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la commune de Fresnes ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., ingénieur territorial, recruté par la commune de Fresnes le 1er décembre 2006, a été détaché sur l'emploi fonctionnel de directeur des services techniques de la commune pour une durée de cinq ans à compter du 1er juillet 2008. Par un arrêté du 30 juin 2010, le maire de Fresnes a mis fin à son détachement à compter du 31 août 2010 et a prononcé sa réintégration dans le grade d'ingénieur territorial à compter du 1er septembre 2010. M. A... a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant notamment à la condamnation de la commune de Fresnes à lui verser les sommes de 154 137 euros, 10 000 euros et 15 000 euros en réparation des préjudices financier, de carrière et moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant des illégalités fautives commises selon lui par la commune du fait de sa non réintégration dans un emploi d'ingénieur à temps plein. Par un jugement du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Melun, après avoir donné acte à M. A... de son désistement de ses conclusions tendant à la réparation, à hauteur de 15 000 euros, du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande indemnitaire. Celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2018 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la réparation d'un préjudice financier et d'un préjudice de carrière.

2. Les conclusions de M. A..., enregistrées sous deux numéros distincts, constituent un pourvoi unique, sur lequel il y a lieu de statuer par une seule décision.

3. Aux termes de l'article 53 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'il est mis fin au détachement d'un fonctionnaire occupant un emploi fonctionnel mentionné aux alinéas ci-dessous et que la collectivité ou l'établissement ne peut lui offrir un emploi correspondant à son grade, celui-ci peut demander à la collectivité ou l'établissement dans lequel il occupait l'emploi fonctionnel soit à être reclassé dans les conditions prévues aux articles 97 et 97 bis, soit à bénéficier, de droit, du congé spécial mentionné à l'article 99, soit à percevoir une indemnité de licenciement dans les conditions prévues à l'article 98. / Ces dispositions s'appliquent aux emplois : / (...) de directeur des services techniques des communes de plus de 10 000 habitants (...). / (...) La fin des fonctions de ces agents est précédée d'un entretien de l'autorité territoriale avec les intéressés et fait l'objet d'une information de l'assemblée délibérante et du Centre national de la fonction publique territoriale ; elle prend effet le premier jour du troisième mois suivant l'information de l'assemblée délibérante ". Aux termes de l'article 67 de la même loi, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) A l'expiration d'un détachement de longue durée, le fonctionnaire est (...) réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine. (...) Lorsque le fonctionnaire détaché refuse l'emploi proposé, il ne peut être nommé à l'emploi auquel il peut prétendre ou à un emploi équivalent que lorsqu'une vacance est ouverte ou un poste créé. Il est, en attendant, placé en position de disponibilité d'office. / Lorsqu'aucun emploi n'est vacant, le fonctionnaire est maintenu en surnombre pendant un an dans sa collectivité d'origine dans les conditions prévues à l'article 97. Si, au terme de ce délai, il ne peut être réintégré et reclassé dans un emploi correspondant à son grade, le fonctionnaire est pris en charge dans les conditions prévues à l'article 97 soit par le Centre national de la fonction publique territoriale pour les fonctionnaires relevant des cadres d'emplois de la catégorie A mentionnés à l'article 45 et les ingénieurs territoriaux en chef, soit par le centre de gestion dans le ressort duquel se trouve la collectivité ou l'établissement qui les employait antérieurement à leur détachement pour les autres fonctionnaires. Le fonctionnaire a priorité pour être affecté dans un emploi correspondant à son grade de la collectivité ou de l'établissement d'origine. / Le fonctionnaire détaché qui est remis à la disposition de sa collectivité ou de son établissement d'origine avant l'expiration normale de la période de détachement pour une cause autre qu'une faute commise dans l'exercice de ses fonctions et qui ne peut être réintégré dans son corps ou cadre d'emplois d'origine faute d'emploi vacant continue d'être rémunéré par l'organisme de détachement au plus tard jusqu'à la date à laquelle le détachement devait prendre fin (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'il est mis fin au détachement d'un fonctionnaire territorial sur un emploi fonctionnel mentionné à l'article 53 de la loi du 26 janvier 1984, à l'initiative de la collectivité ou de l'établissement au sein de laquelle ou duquel il est détaché sur un tel emploi, que cette fin de fonctions intervienne avant le terme normal du détachement ou résulte du non-renouvellement de celui-ci, ce fonctionnaire est en principe réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine. Si sa collectivité ou son établissement d'origine n'est pas en mesure, à la date à laquelle la fin du détachement prend effet, de le réaffecter sur un tel emploi, le fonctionnaire est en droit, dans les conditions prévues par l'article 53 de la loi du 26 janvier 1984, de demander à la collectivité ou à l'établissement dans lequel il occupait l'emploi fonctionnel de bénéficier d'un reclassement, d'un congé spécial ou d'une indemnité de licenciement.

5. Dans le cas où le fonctionnaire territorial est détaché sur un emploi fonctionnel relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci, pour mettre en oeuvre l'obligation de réintégration qui lui incombe en principe, de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les emplois vacants à la date à laquelle cette collectivité ou cet établissement informe son organe délibérant, en application de l'article 53 de la loi du 26 janvier 1984, de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement. Dans le cas où le fonctionnaire territorial est détaché sur un emploi fonctionnel ne relevant pas de sa collectivité ou de son établissement d'origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci, pour mettre en oeuvre l'obligation de réintégration qui lui incombe en principe, de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les postes vacants à la date où cette collectivité ou cet établissement est informé de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement.

6. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la commune de Fresnes n'était pas tenue de proposer à M. A... le poste d'ingénieur en urbanisme, déclaré vacant en mai 2010, ni le poste d'ingénieur en risques professionnels, déclaré vacant en juin 2010, au motif qu'ils avaient été pourvus respectivement le 12 juillet 2010 et le 29 juillet 2010 et qu'ils n'étaient plus vacants le 31 août 2010, date de la fin de sa période de détachement, alors qu'il lui appartenait de rechercher si ces postes correspondaient à des emplois vacants à la date à laquelle le conseil municipal avait été informé de la fin du détachement de M. A... ou s'ils étaient devenus vacants ultérieurement, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Dès lors, M. A... est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Fresnes la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La commune de Fresnes versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Fresnes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la commune de Fresnes.


Voir aussi