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Décision n° 449211
10 février 2021
Conseil d'État

N° 449211
ECLI:FR:CEORD:2021:449211.20210210
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 10 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 1er et le 4 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'il soumet l'entrée sur le territoire métropolitain des ressortissants français présents dans un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse à la justification d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé.


Il soutient que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de ce litige ;
- il justifie d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard, d'une part, au nombre de personnes affectées par le décret conditionnant l'entrée de certains ressortissants français sur le territoire métropolitain à la justification d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé et, d'autre part, aux conséquences particulièrement graves susceptibles de résulter de sa mise en oeuvre ;
- les dispositions litigieuses portent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir et au droit à un recours effectif ;
- elles méconnaissent le droit pour un citoyen d'entrer sur le territoire du pays dont il a la nationalité, qui présente un caractère absolu et général, garanti par l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et le point 2 de l'article 3 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des Libertés fondamentales ;
- elles sont disproportionnées et ne sont pas justifiées par un motif sanitaire suffisant dès lors que, en premier lieu, les pays ayant obtenu les meilleurs résultats dans la lutte contre la Covid-19 n'ont pas restreint le droit de leurs ressortissants à revenir sur le territoire national, en deuxième lieu, elles portent une atteinte injustifiée à l'égalité entre les citoyens français car la libre circulation est maintenue pour les ressortissants français se déplaçant depuis les pays de l'espace économique européen, et ce alors même que certains comptent parmi les pays les plus touchés par la Covid-19, en troisième lieu, la liste des motifs impérieux envisagée par le ministre de l'intérieur est suffisamment large pour permettre à tout citoyen français ou presque de pénétrer sur le territoire et, en dernier lieu, la simple interdiction faite aux ressortissants français de quitter le territoire national aurait suffi à réduire considérablement les déplacements internationaux de personnes ;
- elles méconnaissent le droit à un recours effectif dès lors qu'aucune garantie n'a été créée au profit des citoyens français faisant l'objet d'une mesure de refus d'entrée sur le territoire national.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur, qui n'ont pas produit d'observations.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ;
- le code de justice administrative, l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., et d'autre part, le Premier ministre, le ministre de l'intérieur et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 5 février 2021, à 10 heures :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.


Considérant ce qui suit :

Sur l'office du juge des référés :

1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. "

2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code précise que " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...). " Ces mesures " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. "

4. Par un décret du 14 octobre dernier, pris sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, le Président de la République a déclaré l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Les 16 et 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, deux décrets prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. M. B... demande la suspension du décret du 30 janvier 2021 modifiant les décrets des 16 et 29 octobre 2020, en tant qu'il soumet l'entrée sur le territoire métropolitain des ressortissants français présents dans " un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse " à la justification d'un " motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé ".

Sur la demande en référé :

5. M. B... est citoyen français et réside au Japon. Si le droit d'entrer sur le territoire français constitue, pour un ressortissant français, une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, M. B... n'établit pas - ni même n'allègue -vouloir se rendre en France très prochainement. Dans ces conditions, il n'établit pas l'urgence caractérisée justifiant seule qu'il soit ordonné à très bref délai, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale. Sa demande ne peut, par suite, qu'être rejetée.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête présentée par M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.