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Ariane Web: Conseil d'État 455385, lecture du 26 août 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:455385.20210826

Décision n° 455385
26 août 2021
Conseil d'État

N° 455385
ECLI:FR:CEORD:2021:455385.20210826
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du jeudi 26 août 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 9 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... P..., Mme G... F..., Mme R... M..., Mme L... O..., M. B... S..., M. Q... T..., M. A... V..., Mme U... N..., Mme K... X..., Mme J... W..., Mme E... I..., Mme H... I... et M. D... I... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des décrets n° 2021-724 du 7 juin 2021 et n° 2021-949 du 16 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire modifié en tant qu'ils fixent les obligations imposées aux personnes souhaitant se déplacer entre La Réunion et le reste du territoire national.

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, les dispositions contestées imposent aux personnes souhaitant quitter La Réunion ou s'y rendre de justifier qu'elles sont vaccinées et, d'autre part, la gravité de l'atteinte portée à leur liberté d'aller et venir, de surcroît en pleine période estivale, est de nature à caractériser une urgence à suspendre les mesures litigieuses ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué ;
- les dispositions litigieuses sont entachées d'incompétence dès lors que, d'une part, elles imposent aux personnes souhaitant se déplacer entre La Réunion et le reste du territoire national de justifier de leur statut vaccinal et par conséquent d'être obligatoirement vaccinées et, d'autre part, la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, n'habilite pas explicitement le Premier ministre à imposer la vaccination et à rendre cette dernière obligatoire ;
- ces dispositions sont illégales en ce que, d'une part, elles imposent, pour les déplacements entre La Réunion et le reste du territoire national, aux personnes d'être munies, pour celles qui envisagent de quitter l'île, d'un justificatif de statut vaccinal, et pour celles qui veulent s'y rendre, d'un justificatif de statut vaccinal doublé du résultat d'un examen de dépistage ou d'un test et, d'autre part, elles apparaissent ni nécessaires, ni adaptées aux circonstances de temps et de lieu et encore moins proportionnées à l'objectif poursuivi de sauvegarde de la santé publique et sont de nature à porter atteinte au principe d'égalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.

Par un mémoire, enregistré le 23 août 2020, le ministre des solidarités et de la santé persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 23 août 2020, M. P... et autres persistent dans leurs conclusions par les mêmes moyens. Ils soutiennent en outre que l'impossibilité de se prévaloir d'un certificat de rétablissement pour les déplacements entre la métropole et La Réunion n'est pas justifiée.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-949 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;
- le décret n° 2021-949 du 16 juillet 2021 ;
- le décret n° 2021-724 du 7 juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. P... et autres, et d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 19 août 2021 à 15 heures :
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. P... et autres ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
- le représentant du ministre des Outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 23 août 2021 à midi ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes du 1° du I de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, le Premier ministre peut " aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : 1° Réglementer ou, dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus, interdire la circulation des personnes et des véhicules ainsi que l'accès aux moyens de transport collectif et les conditions de leur usage et, pour les seuls transports aériens et maritimes, interdire ou restreindre les déplacements de personnes et la circulation des moyens de transport, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé (...). Les dispositions du A du II du même article prévoient que le Premier ministre peut également, aux mêmes fins : " 1° Imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, ainsi qu'aux personnels intervenant dans les services de transport concernés, de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 (...) ". L'article 2-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire précise les conditions auxquelles le résultat d'un examen de dépistage virologique, un justificatif de statut vaccinal ou un certificat de rétablissement satisfont aux exigences fixées par le II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021. L'article 23-2 du même décret fixe les obligations imposées aux personnes souhaitant se déplacer entre l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution et le reste du territoire national. Dans sa rédaction issue du décret du 16 juillet 2021, son II dispose que : " Toute personne souhaitant se déplacer entre La Réunion ou Mayotte et le reste du territoire national doit, si elle est âgée de douze ans ou plus, être munie d'un justificatif de son statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2. Par dérogation, un tel justificatif n'est pas requis pour les personnes mineures accompagnant une ou des personnes majeures qui en sont munies. Les déplacements des autres personnes n'en disposant pas ne sont autorisés que s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé. Ces personnes doivent se munir des documents permettant de justifier du motif de leur déplacement et d'une déclaration sur l'honneur attestant : - qu'elles acceptent qu'un test ou examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2 puisse être réalisé à leur arrivée ;/ -qu'elles s'engagent à respecter un isolement prophylactique de sept jours après leur arrivée et à réaliser, au terme de cette période, un examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2./ Doivent en outre être munies du résultat d'un examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2 réalisé moins de 72 heures avant le déplacement ou d'un test mentionné à ce même 1° réalisé moins de 48 heures avant le déplacement : -l'ensemble des personnes de douze ans ou plus souhaitant se déplacer à destination des collectivités mentionnées au premier alinéa du présent II et en provenance du reste du territoire national ; -les personnes de douze ans ou plus ne disposant pas d'un justificatif de leur statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 et souhaitant se déplacer en provenance de ces collectivités et à destination du territoire métropolitain./ Les seuls tests antigéniques pouvant être valablement présentés pour l'application du présent II sont ceux permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2. "

3. Les requérants demandent au Conseil d'Etat d'ordonner la suspension de l'exécution du II de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021. Compte tenu de leurs écritures et des débats à l'audience, leurs conclusions doivent être regardées comme ne portant que sur la question des déplacements entre La Réunion et le reste du territoire national.

4. Ils soutiennent, en premier lieu, que le décret a été pris par une autorité incompétente en tant qu'il impose aux personnes souhaitant se déplacer entre La Réunion et le reste du territoire national de justifier de leur statut vaccinal, alors, selon eux, que le II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 se borne à définir, au choix, une liste de justificatifs pouvant être présentée par les personnes concernées et n'habilite pas le Premier ministre à rendre la vaccination obligatoire. Il résulte, toutefois, des dispositions du II de l'article 23-2 du décret qu'elles ont pour objet, sur le fondement du 1° du I de l'article 1er de la loi, de poser le principe d'une interdiction des déplacements entre La Réunion et le reste du territoire national, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé, mesure que le Premier ministre était compétent pour prendre, et qu'elles dérogent à cette interdiction pour les personnes justifiant d'un schéma vaccinal complet. Le moyen tiré de l'incompétence du Premier ministre pour prendre les dispositions contestées n'est donc pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur leur légalité.

5. En deuxième lieu, M. P... et autres soutiennent que les dispositions du II de l'article 23-2 du décret méconnaissent l'article 1er de la loi et portent à la liberté d'aller et venir une atteinte qui n'est pas nécessaire en tant qu'elles imposent, pour les trajets à destination de La Réunion depuis le reste du territoire national, à la fois un justificatif du statut vaccinal et un examen de dépistage.

6. Cependant, d'une part, il résulte des dispositions du 1° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, éclairées par les travaux parlementaires, qu'elles habilitent le Premier ministre à imposer cumulativement ces deux obligations pour les déplacements qu'elles régissent, contrairement aux dispositions du 2° du A du II du même article, relatives à l'accès des personnes à certains lieux, établissements, services ou événements.

7. D'autre part, la seule circonstance que la production d'un justificatif du statut vaccinal et celle des résultats d'un examen de dépistage répondent au même objectif n'impliquent pas qu'exiger cumulativement les deux serait dépourvu de nécessité. En effet, si les vaccins protègent d'une infection, ils ne permettent pas d'éviter tout portage de la charge virale, notamment dans un contexte de diffusion du variant Delta ; quant à la présentation d'un résultat de test négatif de moins de 72 h, elle ne présente pas non plus de garantie absolue, compte tenu notamment du délai d'incubation et du taux de sensibilité des tests antigéniques. L'obligation de présenter cumulativement un justificatif du statut vaccinal et les résultats d'un examen de dépistage réduit donc le risque d'une contamination.

8. Or La Réunion a vu le taux d'incidence de la maladie augmenter progressivement à partir du mois de juin 2021, conduisant à la mise en place de l'état d'urgence sanitaire à compter du 14 juillet 2021 avec couvre-feu, puis à un renforcement des mesures à partir du 31 juillet. Le taux d'incidence était ainsi de l'ordre de 136 pour 100 000 au début du mois de juin, s'est élevé à 190 pour 100 000 au milieu du mois de juillet, avant d'atteindre plus de 400 pour 100 000 au début du mois d'août, puis d'amorcer une décrue depuis cette date. Si les capacités hospitalières ont été fortement augmentées, permettant d'éviter, à ce jour, une saturation des lits de réanimation, cette augmentation n'a pu être réalisée qu'au prix d'une déprogrammation d'activités et de l'envoi de renforts depuis la métropole. En outre, le taux de vaccination demeure dans l'île inférieur à la moyenne nationale.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que les moyens tirés de ce que les dispositions contestées méconnaissent l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 et ne seraient pas nécessaires ne sont donc pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux sur leur légalité.

10. En troisième lieu, pour les motifs tirés de la situation sanitaire à La Réunion, mentionnés au point 8, ne sont pas davantage, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux sur la légalité des dispositions du décret le moyen tiré de ce que ce qu'elles ne seraient pas adaptées et proportionnées, étant précisé qu'il résulte de l'instruction qu'en tout état de cause suffisamment de doses de vaccin ont été livrées à La Réunion pour satisfaire les demandes, celles-ci s'élevant à 78,7 % des doses livrées.

11. En quatrième lieu, les personnes qui ne justifient pas d'un schéma vaccinal complet sont, au regard du risque de contamination, dans une situation différente de celle des personnes qui l'ont achevé. N'est donc pas propre à créer un doute sérieux, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre les unes et les autres.

12. En cinquième et dernier lieu, les requérants font valoir que le décret serait illégal en tant qu'il ne prévoit pas la possibilité de prendre en compte un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la Covid-19 pour les personnes qui ne justifient pas d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, d'un motif de santé relevant de l'urgence ou d'un motif professionnel ne pouvant être différé. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'une instruction du ministre des solidarités et de la santé en date du 27 juillet 2021 prévoit qu'à titre exceptionnel, la présentation d'un résultat positif d'un examen de dépistage réalisé plus de 11 jours et moins de 6 mois avant le voyage, accompagnée d'une attestation fournie par l'agence régionale de santé, pourra être acceptée comme preuve de rétablissement et permettre le déplacement entre une collectivité ultra-marine et le reste du territoire national. En tout état de cause, les requérants n'établissent pas que les dispositions en cause du décret, en ne prévoyant pas la possibilité de prendre en compte un certificat de rétablissement, préjudicieraient de manière suffisamment grave et immédiate à leur situation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par M. P... et autres doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. P... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... P..., premier requérant dénommé, au ministre des solidarités et de la santé et au ministre des Outre-mer.
Copie en sera adressée au Premier ministre.