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Ariane Web: CAA NANTES 19NT03675, lecture du 17 décembre 2019

Décision n° 19NT03675
17 décembre 2019
CAA de NANTES

N° 19NT03675

6ème chambre
M. LENOIR, président
M. Olivier COIFFET, rapporteur
M. LEMOINE, rapporteur public
GUILBAUD, avocats


Lecture du mardi 17 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement européen (UE) du Parlement européen et du Conseil n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement européen n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet, président-assesseur,
- et les observations de Me B... représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen né le 4 février 1999, a déposé une demande d'asile à la préfecture de Loire-Atlantique le 8 octobre 2018. La consultation du fichier Eurodac a permis de constater qu'il a irrégulièrement franchi la frontière espagnole le 11 juin 2018. Les autorités françaises ont saisi le 17 octobre 2018 les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge de M. A... et celles-ci ont implicitement accepté leur responsabilité dans le traitement de sa demande d'asile en application du paragraphe 7 de l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013. Par deux arrêtés pris le 21 mai 2019, le préfet de la Loire-Atlantique a décidé son transfert aux autorités espagnoles et, dans l'attente de l'exécution de cette mesure, de l'assigner à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de
quarante-cinq jours renouvelable et l'a astreint à se présenter cinq jours par semaine au commissariat central de police de Nantes. M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés.

2. M. A... relève appel du jugement du 3 juin 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés du 21 mai 2019.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de transfert :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) " ;

4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
5. Au cas d'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 8 octobre 2018, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressé le 8 octobre 2018, sont rédigés en français, langue que l'intéressé a déclaré comprendre ainsi que cela ressort des termes du compte-rendu de l'entretien individuel sur lequel il a également apposé sa signature. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage le 18 septembre 2018 dans la structure de pré-accueil. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". En outre, le transfert d'un demandeur d'asile vers un État membre responsable au sens du règlement " Dublin III " ne peut être autorisé, lorsque cet État n'est pas en mesure, en raison des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil, de prendre en charge le demandeur d'asile sans lui faire courir le risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date d'édiction de la décision litigieuse et eu égard aux éléments produits devant lui et se rapportant à la procédure d'asile appliquée dans l'État membre initialement désigné comme responsable au sens de ces dispositions, il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités de ce même État membre du demandeur d'asile, ce dernier n'aurait pu bénéficier d'un examen effectif de sa demande d'asile, notamment en raison d'un refus opposé à tout enregistrement des demandes d'asile ou d'une incapacité structurelle à mettre en oeuvre les règles afférentes à la procédure d'asile, ou si la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile dans ce même État était telle qu'un renvoi à destination de ce pays aurait exposé l'intéressé, de ce seul fait, à un risque de traitement prohibé par les dispositions et stipulations précitées.

7. M. A... fait état, à l'encontre de la décision du 21 mai 2019 par laquelle le préfet de la Loire-Atlantique a ordonné son transfert aux autorités espagnoles, de la situation dans laquelle se trouve actuellement l'Espagne, confrontée à un afflux important de réfugiés, qui fait naitre un doute quant à l'effectivité des standards applicables dans ce pays et l'exposerait à un risque de violation des dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte sociale européenne. Cependant, M. A... n'établit pas que les défaillances systémiques de la procédure d'asile en Espagne qu'il invoque de manière générale, exposeraient sa demande d'asile à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Espagne alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision de transfert aux autorités espagnoles méconnaîtrait l'articles 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

8. Pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point précédent, cette même décision ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

9. Enfin, si M. A... soutient que le préfet a méconnu les dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, il ressort des énonciations mêmes de la décision contestée, que contrairement à ce qu'avance le requérant, le préfet a examiné la demande d'asile de M. A... au en prenant en compte les conséquences de sa réadmission en Espagne au regard des garanties exigées pour le respect du droit d'asile. Par ailleurs, s'il souffre de problèmes de santé pour lesquels il bénéficie de séances de kinésithérapie et d'un suivi médical, après une opération du pied qui a eu lieu le 14 janvier 2019, et d'un suivi nécessaire par un psychologue, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'il ne pourra pas bénéficier d'une prise en charge médicale appropriée à son état de santé en Espagne. Le requérant n'est ainsi pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application des stipulations de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision d'assignation :

10. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ". L'article L. 742-5 du même code énonce que : " Les articles L. 551-1 et L. 561-2 sont applicables à l'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert dès la notification de cette décision (...) ".

11. En premier lieu, l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités espagnoles n'étant pas établie, eu égard à ce qui vient d'être dit, le moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité de cette décision, soulevé à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de la décision d'assignation à résidence doit être écarté.
12. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., s'il dispose d'une domiciliation administrative fixe, est cependant dépourvu de ressources. En outre, et ainsi qu'il a été dit, les autorités espagnoles ont accepté de le prendre en charge. Par suite, son transfert vers l'Espagne constitue une perspective raisonnable. En assignant M. A... à résidence pour une durée de 45 jours et en l'obligeant à se présenter cinq jours par semaine au commissariat central de police de Nantes, ville dans laquelle il réside actuellement, le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas fait une inexacte application des dispositions combinées du 1° de l'article L. 561-2 et de l'article L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. En troisième lieu, M. A... n'a pas été empêché de contester l'arrêté portant transfert aux autorités espagnoles devant le juge administratif et de faire valoir tout moyen à son encontre, jusqu'à la clôture de l'instruction. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision d'assignation à résidence l'a privé de son droit à un recours effectif contre cet arrêté.
14. Enfin, pour le surplus, M. A... se borne à reprendre en appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance, sans plus de précisions ou de justifications et sans les assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés, d'une part, en ce qui concerne l'arrêté de transfert, qu'il est suffisamment motivé et n'est pas intervenu en méconnaissance de l'article 5 du règlement du
26 juin 2013, auquel renvoie notamment le c) du 1 de l'article 4 du même règlement, M. A... ayant bénéficié d'un entretien individuel lui permettant de fournir, à cette occasion, des informations sur les circonstances de son arrivée en France et sur sa situation personnelle et familiale et, d'autre part, en ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence, qu'il est également suffisamment motivé.
15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence doivent être rejetées les conclusions du requérant aux fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-rapporteur,
- Mme Gélard, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.


Le rapporteur
O. CoiffetLe président
H. Lenoir
Le greffier
R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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