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Ariane Web: CAA de DOUAI 24DA00126, lecture du 24 avril 2025

Décision n° 24DA00126
24 avril 2025
CAA de DOUAI

N° 24DA00126

4ème chambre
M. Heinis, président
Mme Alice Minet, rapporteure
M. Arruebo-Mannier, rapporteur public


Lecture du jeudi 24 avril 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiées (SAS) Green Project a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2018 au 31 juillet 2018, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2103422 du 24 novembre 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 janvier 2024, la SAS Green Project, représentée par Me Joël Delattre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Elle soutient que :
- elle a été privée d'un débat oral et contradictoire lors de la vérification de sa comptabilité dès lors que les entretiens des 8 octobre 2018 et 13 mars 2019 avaient pour seul objet la remise de documents et l'entretien téléphonique du 17 juin 2019 la présentation des conclusions de la vérification ;
- l'acquisition des ampoules LED auprès de son fournisseur puis la distribution gratuite auprès de bailleurs lui permettent d'obtenir des certificats d'économie d'énergie destinés à la vente, qui est passible de la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 %, de sorte que la taxe sur la valeur ajoutée payée lors de l'achat des ampoules LED est déductible.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- l'arrêt C-475/23 de la Cour de Justice de l'Union européenne du 4 octobre 2024 ;
- le code de l'énergie ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Alice Minet, première conseillère,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société par actions simplifiées (SAS) Green Project exerce une activité de valorisation de certificats d'économie d'énergie en lien avec la réalisation de projets d'économie d'énergie. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 29 septembre 2016 au 31 juillet 2018. A l'issue de ce contrôle, l'administration a, par une proposition de rectification du 18 juin 2019, remis au cause la déduction de la TVA versée lors de l'achat d'ampoules LED en mai 2018. La SAS Green Project a en conséquence été assujettie à des rappels de TVA mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2018 au 31 juillet 2018, assortis d'intérêt de retard, qui ont été mis en recouvrement par un avis du 30 septembre 2020.



2. Sa réclamation ayant été rejetée par une décision du 12 mars 2021, la SAS Green Project a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille en lui demandant de prononcer la décharge des rappels de TVA mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2018 au 31 juillet 2018, ainsi que des pénalités correspondantes. La SAS Green Project relève appel du jugement du 24 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.


Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. Aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables (...) ".

4. Dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat.

5. Il résulte de l'instruction qu'un avis de vérification de comptabilité a été adressé à la SAS Green Project le 3 avril 2018, portant sur la période du 29 septembre 2016 au 28 février 2018. Un avis de vérification complémentaire lui a été adressé le 11 septembre 2018, portant sur la période du 1er mars au 31 juillet 2018. Pour l'ensemble de la période vérifiée, cinq entretiens se sont déroulés les 25 et 26 avril 2018, 8 octobre 2018, 13 mars 2019 et 17 juin 2019.

6. Concernant la période du 1er janvier 2018 au 31 juillet 2018, il est constant que deux entretiens avec le vérificateur se sont déroulés au siège de la société les 8 octobre 2018 et 13 mars 2019 et qu'un entretien téléphonique a eu lieu le 17 juin 2019.

7. La société requérante soutient que les deux entretiens au siège de la société ont eu pour seul objet respectivement la remise au vérificateur des copies sur clé USB de ses fichiers d'écritures comptables et des factures du fournisseur des ampoules LED acquises en mai 2018, alors que l'entretien téléphonique s'est limité à la présentation des conclusions du contrôle.

8. Toutefois, le point faisant l'objet du rappel en cause était circonscrit et portait sur des éléments sans caractère de nouveauté provenant de la comptabilité de l'entreprise et la société requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir que le vérificateur lui aurait refusé le débat oral et contradictoire auquel elle avait droit au cours des opérations sur place et, notamment, qu'il se serait refusé à un échange de vues avec elle à propos des documents remis.

9. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la société a été privée de la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur doit être écarté.




Sur le bien-fondé de l'imposition :

10. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. - 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) II. - 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ".

11. Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des dispositions de l'article 1er et de l'article 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, que dans la mesure où l'assujetti, agissant en tant que tel au moment où il acquiert un bien, utilise le bien pour les besoins de ses opérations taxées, il est autorisé à déduire la TVA due ou acquittée pour ce bien.

12. L'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la TVA soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit.

13. Le droit à déduction de la TVA grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction.

14. En l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire la TVA ayant grevé des biens et services lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti.

15. Dans le cadre de l'application du critère du lien direct par les administrations fiscales et les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations concernées et de tenir compte des seules opérations qui sont objectivement liées à l'activité imposable de l'assujetti. L'existence d'un tel lien doit ainsi être appréciée au regard du contenu objectif de l'opération en question.

16. Il résulte de l'instruction que l'activité de la SAS Green Project consistait, dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE) prévu aux articles L. 221-1 et suivants du code de l'énergie, dans un premier temps à générer des certificats d'économie d'énergie (CEE) en faisant réaliser des économies d'énergie, directement ou indirectement, par des fournisseurs d'énergie, les " obligés ", puis, dans un deuxième temps, à vendre ces certificats sur le marché consacré.

17. La SAS Green Project a conclu le 3 avril 2017 une convention de partenariat avec la société EcoGam en vue de la mise à sa disposition d'ampoules LED destinées à être distribuées à des bailleurs sociaux situés en métropole et à la Réunion et à des particuliers en situation de précarité domiciliés à la Réunion.


18. Pour refuser la déduction de la TVA versée par la SAS Green Project à la société EcoGam pour l'acquisition des ampoules LED le 30 mai 2018, l'administration s'est fondée sur la gratuité de la distribution de ces ampoules aux bailleurs sociaux et aux particuliers et sur l'absence de contrepartie versée par ces derniers à la SAS Green Project.

19. La circonstance que la distribution des ampoules aux bailleurs sociaux et aux particuliers en situation de précarité a été gratuite ne saurait conduire à refuser à la SAS Green Project le droit à déduction de la TVA relative à l'acquisition des ampoules si l'existence d'un lien direct et immédiat est établie entre cette acquisition et soit une ou plusieurs opérations taxées effectuées en aval par la société requérante, soit l'ensemble de l'activité économique de celle-ci, ce qu'il appartient au juge de vérifier.

20. Or il résulte de l'instruction que les ampoules LED ont été acquises par la SAS Green Project pour être distribuées gratuitement aux bailleurs sociaux et aux particuliers en situation de précarité dans le but d'inciter ces consommateurs à réaliser des économies d'énergie. Cette opération était au nombre des projets tendant à la réalisation d'économies d'énergie que conduisait la SAS Green Project afin de se voir délivrer des certificats d'économie d'énergie, dont elle assurait ensuite la valorisation en les cédant à titre onéreux dans le cadre d'une vente sur le marché consacré qui était elle-même soumise à la TVA.

21. Toutefois, il résulte également de l'instruction, et notamment des mentions expresses de la facture émise par la société EcoGam le 8 juin 2018, que si la SAS Green Project a acquis des ampoules LED auprès de la société EcoGam pour un montant de 881 508,57 euros, seule une fraction des ampoules, pour un montant de 566 445,68 euros, a fait l'objet d'une distribution gratuite aux consommateurs en vue de l'obtention de certificats d'économie d'énergie, l'autre fraction, d'un montant de 315 062,89 euros, n'ayant pas été distribuée.

22. Dans ces conditions, les dépenses engagées par la SAS Green Project pour l'acquisition des ampoules LED constituaient, à hauteur de 566 445,68 euros, un moyen pour la société de réaliser son activité économique de valorisation des certificats d'économie d'énergie, de sorte qu'elles faisaient partie de ses frais généraux et étaient, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens fournis par elle.

23. Il s'ensuit que l'administration a fait une inexacte application de l'article 271 du code général des impôts en remettant en cause la déduction de la TVA versée par la SAS Green Project pour l'achat d'ampoule LED le 30 mai 2018 pour un montant de 566 445,68 euros.

24. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Green Project est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande dans la mesure de ce qui vient d'être dit au point précédent.


Sur les frais liés au litige :

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement de la somme de 2 000 euros à la SAS Green Project au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.


DECIDE :


Article 1er : La SAS Green Project est déchargée, en droits et pénalités, des rappels de TVA mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2018 au 31 juillet 2018 et résultant de la remise en cause de la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée versée par elle pour l'acquisition d'ampoules LED à hauteur de 566 445,68 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 24 novembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la SAS Green Project sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Green Project et à la ministre chargée des comptes publics.

Copie en sera adressée à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 3 avril 2025 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.


La rapporteure,





Signé : A. Minet Le président de chambre,





Signé : M. A...
La greffière,





Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth HELENIAK