CAA de PARIS
N° 23PA01023
7ème chambre
Mme la Pdte. FOMBEUR, présidente
Mme Perrine HAMON, rapporteure
Mme JURIN, rapporteure publique
CABINET JEAUSSERAND AUDOUARD, avocats
Lecture du lundi 16 juin 2025
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Accor a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 148 797 330 euros, à parfaire s'il y a lieu, ainsi que celle de 34 950 705,59 euros correspondant au montant des intérêts moratoires, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus de l'Etat de lui restituer l'intégralité du précompte mobilier acquitté en 1999, 2000 et 2001 sur les dividendes reçus de ses filiales installées dans d'autres Etat membres de la Communauté européenne et, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles portant sur l'interprétation de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990.
Par un jugement n° 1507241 du 11 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 mars 2023, 12 octobre 2023 et 19 février 2024, la société Accor, représentée par Me Espasa-Mattei, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser, en réparation du préjudice subi du fait de la méconnaissance de la directive 90/435/CEE du Conseil, la somme de 148 797 330 euros, augmentée de la somme de 34 950 705,59 euros au titre des intérêts moratoires qu'elle a dû verser, à parfaire s'il y a lieu, ces sommes étant elles-mêmes assorties des intérêts moratoires ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser, en ce qui concerne le précompte acquitté en 2000, la somme de 31 199 090 euros, augmentée des intérêts moratoires qu'elle a dû verser, à parfaire s'il y a lieu, ces sommes étant elles-mêmes assorties des intérêts moratoires ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir omis de statuer sur le moyen tiré de la responsabilité de l'Etat du fait de la méconnaissance de la directive 90/435, soulevé avant la clôture de l'instruction intervenue trois jours francs avant l'audience ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la violation manifeste, par la décision du Conseil d'Etat n° 317075 du 3 juillet 2009, du droit de l'Union européenne en ce qui concerne la compatibilité du système français de précompte avec la directive 90/435 du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la violation manifeste, par la décision du Conseil d'Etat n° 317075 du 10 décembre 2012, des principes de liberté d'établissement et de liberté de circulation garantis par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qui concerne la non-prise en compte de l'imposition acquittée par les sous-filiales établies dans un Etat membre de l'Union autre que la France ;
- l'Etat devait tirer toutes les conséquences de l'arrêt en manquement C-416/17 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 4 octobre 2018 et sa responsabilité est engagée de ce fait de plein droit ;
- le Conseil d'Etat n'a pas exécuté son obligation de renvoi préjudiciel et a ainsi méconnu l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de sa fonction normative et de la mise en oeuvre de la loi par l'administration, le système du précompte prévu par la loi fiscale française étant incompatible avec la directive 90/435 ;
- à titre principal, le préjudice résultant de la contrariété du système du précompte au droit de l'Union lui ouvre doit à une réparation équivalente à la restitution intégrale du précompte relatif aux années en litige, soit 49 283 574 euros pour 1999, 54 757 157 euros pour 2000 et 52 024 962 euros pour 2001 ;
- le préjudice total de 148 797 330 euros doit être augmenté de la somme de 34 950 705,59 euros correspondant au montant des intérêts moratoires perçus après le jugement de première instance, qu'elle a dû reverser ;
- à titre subsidiaire, son préjudice est équivalent au montant de l'imposition supportée par sa filiale belge CIWLT au titre de 1998, qui n'a pas été retenue pour gager un crédit d'impôt imputable sur le précompte de l'année 2000, soit 31 119 090 euros, assortis des intérêts moratoires.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 mai 2023, le Garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- il s'en remet aux observations du ministre de l'économie et des finances en ce qui concerne l'existence d'un éventuel préjudice.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à titre principal, la demande indemnitaire formée par la requérante en ce qui concerne l'impôt acquitté par sa filiale CIWLT n'est pas fondée en l'absence de violation manifeste du droit de l'Union, repose sur un fondement différent de l'absence de prise en compte des impositions des sous-filiales et a été présentée sur des impositions qui étaient encore contestées ;
- à titre subsidiaire, le préjudice résultant du refus de prendre en compte l'impôt acquitté par cette filiale ne saurait excéder la somme de 27 299 202 euros.
Par ordonnance du 13 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2024.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions fondées sur la responsabilité de l'Etat du fait de son activité normative en raison de l'exception de recours parallèle, le juge de l'impôt ayant statué définitivement par la décision n° 317075 du 10 décembre 2012.
Par un mémoire enregistré le 24 avril 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que le moyen que la cour envisage de relever d'office est fondé.
Par un mémoire enregistré le 24 avril 2025, la société Accor soutient que le moyen que la cour envisage de relever d'office n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 90/435 du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 30 septembre 2003 Köbler (C-224/01) et du 22 décembre 2008 Belgique c/ Truck Center SA (C-282/07) et les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 28 juillet 2016 Tomá?ová (C-168/15), du 22 novembre 2018 Sofina SA (C-575/17), du 29 juillet 2019 Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe (C-620/17) et du 10 janvier 2020 A. K. et autres (C-585/18, C-624/18, C-625/18) ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteur public,
- les observations de Me Espasa-Mattei pour la société Accor,
- et les observations de M. A... pour la ministre chargée des comptes publics.
Une note en délibéré, enregistrée le 29 avril 2025, a été présentée pour la société Accor.
Considérant ce qui suit :
1. La société Accor, qui a son siège social en France, a perçu en 1998, 1999 et 2000 des dividendes versés par ses filiales établies dans d'autres Etats membres de la Communauté européenne. Lors de la redistribution de ces dividendes à ses propres associés, elle a acquitté, en application des dispositions combinées du 2 de l'article 146 et des articles 158 bis et 223 sexies du code général des impôts, un précompte s'élevant au titre des années 1999, 2000 et 2001 respectivement à 323 279 053 francs, 359 183 404 francs et 341 261 380 francs. Par une décision n° 317075 du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 20 mai 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles avait confirmé le jugement du 21 décembre 2006 du tribunal administratif de Versailles accordant à la société Accor la restitution des sommes ainsi versées au titre du précompte mobilier, puis, réglant l'affaire au fond, a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle. Par une seconde décision, du 10 décembre 2012, il a jugé que les dispositions alors en vigueur du code général des impôts régissant l'avoir fiscal et le précompte méconnaissaient la liberté d'établissement et la liberté de circulation des capitaux garanties par les articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et que la société Accor pouvait, par suite, prétendre à la restitution du précompte en litige, calculée de telle sorte que les dispositions régissant l'avoir fiscal et le précompte soient neutres au regard de ces libertés. Il a néanmoins, par cette seconde décision, remis à la charge de la société Accor, compte tenu de l'application de ce principe et des justificatifs produits, les sommes de 47 529 474 euros au titre de l'année 1999, de 52 475 733 euros au titre de l'année 2000 et de 49 756 481 euros au titre de l'année 2001.
2. La société Accor a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du refus de l'Etat de lui restituer l'intégralité du précompte mobilier acquitté en 1999, 2000 et 2001 sur les dividendes reçus de ses filiales installés dans d'autres Etat membres de la Communauté européenne, en invoquant la méconnaissance du droit communautaire par ces décisions n° 317075 du 4 juillet 2009 et du 10 décembre 2012 du Conseil d'Etat et la contrariété des dispositions relatives au précompte mobilier et de leur application avec ce droit. Elle s'est prévalue, en cours d'instance, de l'arrêt C-416/17 du 4 octobre 2018 par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a déclaré que la France avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'arrêt C-556/20 du 12 mai 2022 par lequel cette Cour a interprété, à titre préjudiciel, le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990. Elle relève appel du jugement du 11 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
3. Il résulte de l'instruction que, par un mémoire enregistré le 7 décembre 2022, la société Accor a pour la première fois invoqué, comme autre fondement à sa demande indemnitaire, la responsabilité de l'Etat du fait de la contrariété au droit communautaire des dispositions relatives au précompte et de la faute commise par les services fiscaux en en faisant application.
4. Si, par une ordonnance du 15 septembre 2020, l'instruction de la première instance avait été close à compter du 7 octobre 2020, le tribunal administratif a toutefois communiqué l'ensemble de la procédure au ministre chargé du budget, pour observations, le 2 septembre 2021, et doit ainsi être regardé comme ayant rouvert l'instruction de l'affaire. En l'absence de nouvelle ordonnance de clôture, l'instruction a en conséquence été close trois jours francs avant l'audience du 14 décembre 2022, soit le 10 décembre 2022 à minuit, en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.
5. Par suite, en omettant de statuer sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec le droit communautaire et de la faute commise par les services fiscaux en en faisant application, le tribunal a entaché le jugement attaqué d'irrégularité et la société requérante est fondée à en demander l'annulation dans cette mesure.
6. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par la société Accor devant le tribunal administratif de Paris sur ce fondement et, par la voie de l'effet dévolutif, sur le surplus de ses conclusions.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait de la décision juridictionnelle du 3 juillet 2009 :
7. En vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité. Si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l'État peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.
8. Pour apprécier si le contenu d'une décision juridictionnelle de l'ordre administratif est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne, il appartient au juge administratif, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts Köbler (C-224/01) du 30 septembre 2003, Tomá?ová (C-168/15) du 28 juillet 2016 et Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe (C-620/17) du 29 juillet 2019, de tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui lui est soumise, notamment du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l'Union en question, de l'étendue de la marge d'appréciation que cette règle laisse aux autorités nationales, du caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, du caractère excusable ou inexcusable de l'éventuelle erreur de droit, de la position prise, le cas échéant, par une institution de l'Union européenne et ayant pu contribuer à l'adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l'Union ainsi que de la méconnaissance, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre du troisième alinéa de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En particulier, une violation du droit de l'Union est suffisamment caractérisée lorsque la décision juridictionnelle concernée est intervenue en méconnaissance manifeste d'une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union européenne en la matière. Il y a lieu, pour le juge administratif saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée sur ce fondement, de rechercher si la décision juridictionnelle en cause a manifestement méconnu le droit de l'Union européenne au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de cette décision.
9. Aux termes du I de l'article 158 bis du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur pendant les années 1999, 2000 et 2001 sur lesquelles a statué le Conseil d'Etat dans sa décision du 3 juillet 2009 : " Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué : a) par les sommes qu'elles reçoivent de la société ; b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor (...) ". Aux termes du I de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères (...), touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ". Aux termes du 1 de l'article 223 sexies du même code : " (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. (...) Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ". Enfin, le 2 de l'article 146 du même code dispose que : " Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...) encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus. (...) ".
10. Par sa décision n° 317075 du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a écarté le moyen, soulevé par la société Accor, tiré de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, au motif qu'il résultait clairement de l'article 1er de la directive que ses dispositions s'appliquaient aux distributions de bénéfices reçues par une société mère située dans un Etat membre et provenant de ses filiales établies dans d'autres Etats membres de la Communauté européenne et que le précompte, qui n'avait ni pour objet ni pour effet d'imposer de tels bénéfices mais était exigible seulement lors de la redistribution, par une société mère à ses actionnaires, de dividendes reçus de ses filiales, n'entrait pas dans son champ d'application.
11. Par un arrêt du 12 mai 2022, Schneider Electric SE et autres (C-556/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère d'un Etat membre est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales établies dans d'autres Etats membres, donnant lieu à l'attribution d'un avoir fiscal, lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de cet article 4.
12. La société requérante soutient que cet arrêt ne peut être regardé comme une évolution de la jurisprudence de la Cour de justice et que la question avait déjà été abordée par son arrêt Test Claimants du 12 décembre 2006 (C-446/04). Il ressort toutefois des termes de ce dernier arrêt qu'il ne s'est prononcé que sur une législation telle que celle régissant le système britannique de l' " advance corporation tax " ou impôt anticipé sur les sociétés, visant à éviter la double imposition dans le champ de la directive, question qui demeurait ainsi non tranchée par la jurisprudence. Il ressort par ailleurs des conclusions de l'avocat général dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt C-310/09 du 15 septembre 2011, par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a répondu à la question préjudicielle posée par la décision du 3 juillet 2009, que celui-ci partageait l'appréciation selon laquelle la directive ne se rapportait qu'aux distributions des bénéfices entre une filiale et sa société mère établies dans deux États membres différents et ne préjugeait donc pas du régime fiscal de la redistribution de produits de participation par la société mère à ses propres actionnaires. C'est seulement par ses arrêts X c/ Ministerraad (C-68/15) et Association française des entreprises privées et autres (C-365/16) du 17 mai 2017 que la Cour de justice a jugé que l'article 4 de la directive du 23 janvier 1990 interdisait aux États membres d'imposer la société mère au titre des bénéfices qui lui étaient distribués par sa filiale, sans distinguer selon que l'imposition de la société mère avait pour fait générateur la réception de ces bénéfices ou leur redistribution, ce dont il résultait que le précompte mobilier était susceptible d'entrer dans le champ d'application de ces dispositions. Enfin, par ses conclusions dans l'affaire Schneider Electric SE et autres (C-556/20), l'avocate générale a proposé à la Cour de justice de répondre que les dispositions de l'article 4, lues conjointement avec l'article 7, paragraphe 2, de la directive du 23 juillet 1990, ne s'opposaient pas à une disposition prévoyant, aux fins de l'application d'un régime d'imposition correcte de l'actionnaire, un prélèvement lors de la redistribution de bénéfices, afin de neutraliser un crédit d'impôt correspondant du bénéficiaire ultérieur de la distribution, y compris lorsque ces bénéfices ont été antérieurement distribués à la société mère par une filiale établie dans un autre État membre de l'Union européenne.
13. Par ailleurs, si la méconnaissance par une juridiction nationale statuant en dernier ressort de l'obligation de procéder à un renvoi préjudiciel prévue par l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, laquelle ne crée pas de droit au renvoi préjudiciel dans le chef des particuliers, constitue un des éléments que le juge national doit prendre en considération pour statuer sur une demande en réparation fondée sur la méconnaissance manifeste du droit de l'Union par une décision juridictionnelle, elle ne constitue en revanche pas une cause autonome d'engagement de la responsabilité d'un État membre. En l'espèce, par sa décision du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la compatibilité du régime du précompte mobilier avec les stipulations du traité instituant la Communauté européenne relatives à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux, et considéré que ressortait clairement de l'article 1er de la directive l'interprétation selon laquelle une imposition exigible seulement lors de la redistribution, par une société mère à ses actionnaires, de dividendes reçus de ses filiales, au surplus dans le seul but de neutraliser le crédit d'impôt accordé aux actionnaires, n'entrait pas dans le champ d'application de ce texte.
14. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le fait que la décision du Conseil d'Etat du 3 juillet 2009 a écarté le moyen tiré de l'incompatibilité du mécanisme du précompte mobilier avec l'article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 caractériserait une violation manifeste, par le juge national, du droit de l'Union européenne tel qu'il résultait notamment de la jurisprudence de la Cour de justice existant à la date de sa décision.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec le droit communautaire et de la faute commise par les services fiscaux :
15. Si la requérante soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée du seul fait de l'adoption d'une législation fiscale contraire au droit de l'Union européenne, de même que du fait de son application par l'administration, il ressort de l'ensemble de ses écritures, y compris de son mémoire du 24 avril 2025, que les conclusions qu'elle présente sur ce fondement tendent à l'obtention d'une "indemnité" d'un montant égal à celui du précompte acquitté au titre des années 1999, 2000 et 2001 restant en litige, en réparation du "préjudice" que sa charge a constitué pour elle, par le moyen que ce préjudice est imputable à l'incompatibilité des dispositions du code général des impôts relatives au précompte mobilier avec les objectifs de la directive du 23 juillet 1990. Ces conclusions ont dès lors, en réalité, le même objet que celles, aux fins de restitution de ce précompte, rejetées par la décision du Conseil d'Etat du 10 décembre 2012 statuant comme juge de l'impôt. Cette circonstance fait, en tout état de cause, obstacle à la recevabilité d'une demande en réparation qui n'invoque pas de préjudice autre que celui résultant du paiement du précompte.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait d'un manquement au droit de l'Union européenne en raison de l'absence de prise en considération de l'imposition sur les bénéfices subie par les sous-filiales non résidentes :
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
16. Aux termes de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. / Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne ". L'article 260 de ce même traité stipule que : " 1. Si la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour. / 2. Si la Commission estime que l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'État membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances. / Si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte. (...) ".
17. Par un arrêt C-416/17 du 4 octobre 2018, ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 258 précité du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, d'une part, qu'en refusant de prendre en compte, pour le calcul du remboursement du précompte mobilier acquitté par une société mère résidente au titre de la distribution de dividendes versés par une sous-filiale non résidente par l'intermédiaire d'une filiale non résidente, l'imposition sur les bénéfices sous-jacents à ces dividendes subie par cette sous-filiale non résidente, dans l'État membre où elle est établie, alors même que le mécanisme national de prévention de la double imposition économique permet, dans le cas d'une chaîne de participation purement interne, de neutraliser l'imposition qu'ont subie les dividendes distribués par une société à chaque échelon de cette chaîne de participation, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. La Cour de justice a jugé, d'autre part, qu'en raison de l'omission du Conseil d'État de la saisir dans le litige opposant les sociétés Accor et Rhodia à l'Etat afin de déterminer s'il y avait lieu de refuser de prendre en compte, pour le calcul du remboursement du précompte mobilier acquitté par une société résidente au titre de la distribution de dividendes versés par une société non résidente par l'intermédiaire d'une filiale non résidente, l'imposition subie par cette seconde société sur les bénéfices sous-jacents à ces dividendes, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 267, troisième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
18. L'exécution de cet arrêt de la Cour de justice implique nécessairement que la société Accor obtienne la réparation du préjudice résultant du défaut de restitution d'une fraction du précompte mobilier en litige dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du Conseil d'Etat du 10 décembre 2012 du fait du refus de prendre en compte l'imposition, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes versés par une sous-filiale non résidente par l'intermédiaire d'une filiale non résidente, subie par cette sous-filiale non résidente dans l'État membre où elle est établie. Par suite, à défaut de remboursement, après cet arrêt du 4 octobre 2018 et encore après l'engagement d'une procédure sur le fondement du paragraphe 2 de l'article 260 précité, de cette fraction du précompte mobilier qu'elle a acquitté, la société est fondée à demander la condamnation de l'Etat, qui a ainsi manqué aux obligations qui lui incombent et dont la responsabilité est, par suite, engagée à son égard, à réparer le préjudice que lui a directement causé ce manquement et dont elle justifie, sans que puisse lui être opposée une exception de recours parallèle.
En ce qui concerne le préjudice :
19. Dans le dernier état de ses écritures, la société requérante soutient que le manquement de l'Etat français lui a directement causé un préjudice équivalent à la différence entre le montant du précompte mobilier qu'elle a acquitté, au titre de l'année 2000, à raison de la distribution à ses associés des dividendes qu'elle a reçus en 1999 de sa filiale belge CIWLT, et le montant de précompte qu'elle aurait dû acquitter si, en particulier, avait été pris en compte, dans sa détermination, le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par la société CIWLT en 1998 au titre de l'établissement stable qu'elle possédait en France, soit un préjudice d'un montant au moins égal à 29 961 254 euros.
20. Il résulte toutefois de ce qui est dit au point 18 que le seul préjudice subi par la société Accor, du fait de l'acquittement du précompte mobilier pour la distribution en 2000 des dividendes reçus de la société CIWLT, qui présente un lien de causalité direct avec le manquement de l'Etat est constitué par la fraction de ce précompte dont elle n'a pas obtenu la restitution du fait de l'absence de prise en compte de l'imposition subie par la société Accoordination, filiale de sa propre filiale la société CIWLT, dans les mêmes conditions que si ces deux sociétés avaient été établies en France.
21. A cet égard, il résulte de l'instruction, notamment des éléments produits en première instance par la requérante, que, sur décision de son assemblée générale du 2 juin 1998, la société Accoordination a régulièrement distribué à la société CIWLT, au plus tard le 25 juin 1998, des dividendes pour un montant s'élevant, compte tenu du nombre d'actions détenues par CIWLT, à la somme de 63 757 370 francs belges, et, sur décision de son assemblée générale du 25 juin 1999, la société CIWLT, détenue à hauteur de 99,48 % par la société Accor, a régulièrement distribué à cette dernière société, le 6 juillet 1999, des dividendes pour un montant s'élevant à 3 610 779 899 francs belges. Il résulte également de l'instruction que les résultats de la société Accoordination au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1997 et des quatre exercices précédents, susceptibles d'être pris en considération en vertu du 2 de l'article 146 du code général des impôts cité au point 9, ont été assujettis à l'impôt sur les sociétés en Belgique au taux de 39 % pour un montant de 13 845 511 francs belges sur une base de 35 501 310 francs belges, soit 880 054 euros.
22. Le préjudice subi par la société Accor ne peut excéder le montant de l'impôt supporté par la société Accoordination en Belgique auquel aurait été attaché, si cette société et la société CIWLT avaient été établies en France, un avoir fiscal qu'elle aurait pu imputer sur le montant de précompte mobilier qu'elle a acquitté en 2000 lors de la distribution à ses associés des dividendes provenant d'Accoordination qui lui avaient été distribués en 1999 par CIWLT. Eu égard au taux normal de l'impôt français, soit 33,33 %, alors applicable, inférieur au taux de l'impôt sur les sociétés appliqué aux résultats de la société Accoordination, le montant de restitution de précompte dont la requérante a été privée peut être arrêté à cette fraction de la somme de 880 054 euros, soit 293 322 euros.
23. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'en exécution de la décision du Conseil d'Etat n° 317075 du 10 décembre 2012, la société Accor a dû procéder au reversement des restitutions de précompte que le juge de première instance lui avait octroyées, ainsi qu'au reversement des intérêts moratoires acquittés par l'administration en exécution du jugement de première instance. Ces intérêts constituent également, en tant qu'ils ont porté sur la somme déterminée au point précédent, un préjudice dont la requérante est fondée à demander la réparation dès lors qu'ils lui auraient été conservés en l'absence de manquement de l'Etat.
24. Enfin, la société Accor a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes mentionnées aux points 22 et 23 à compter de la date du 31 décembre 2014 à laquelle la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration.
25. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens ayant la même portée, que la société Accor est seulement fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 293 351 euros, augmentée des intérêts moratoires acquittés sur cette somme et des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014, et que le surplus de ses conclusions doit être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
26. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 11 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec le droit communautaire et de la faute commise par les services fiscaux en en faisant application et réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société Accor la somme de 293 322 euros, augmentée des intérêts moratoires acquittés sur cette somme tels que précisés au point 23 du présent arrêt et assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014.
Article 3 : L'Etat versera à la société Accor la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Accor est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Accor, au Garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la cour,
- Mme Chevalier-Aubert, présidente,
- Mme Hamon, présidente assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2025
La rapporteure,
P. HamonLa présidente,
P. Fombeur
La greffière,
C. Buot
La République mande et ordonne au Garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°
N° 23PA01023
7ème chambre
Mme la Pdte. FOMBEUR, présidente
Mme Perrine HAMON, rapporteure
Mme JURIN, rapporteure publique
CABINET JEAUSSERAND AUDOUARD, avocats
Lecture du lundi 16 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Accor a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 148 797 330 euros, à parfaire s'il y a lieu, ainsi que celle de 34 950 705,59 euros correspondant au montant des intérêts moratoires, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus de l'Etat de lui restituer l'intégralité du précompte mobilier acquitté en 1999, 2000 et 2001 sur les dividendes reçus de ses filiales installées dans d'autres Etat membres de la Communauté européenne et, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles portant sur l'interprétation de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990.
Par un jugement n° 1507241 du 11 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 mars 2023, 12 octobre 2023 et 19 février 2024, la société Accor, représentée par Me Espasa-Mattei, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser, en réparation du préjudice subi du fait de la méconnaissance de la directive 90/435/CEE du Conseil, la somme de 148 797 330 euros, augmentée de la somme de 34 950 705,59 euros au titre des intérêts moratoires qu'elle a dû verser, à parfaire s'il y a lieu, ces sommes étant elles-mêmes assorties des intérêts moratoires ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser, en ce qui concerne le précompte acquitté en 2000, la somme de 31 199 090 euros, augmentée des intérêts moratoires qu'elle a dû verser, à parfaire s'il y a lieu, ces sommes étant elles-mêmes assorties des intérêts moratoires ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir omis de statuer sur le moyen tiré de la responsabilité de l'Etat du fait de la méconnaissance de la directive 90/435, soulevé avant la clôture de l'instruction intervenue trois jours francs avant l'audience ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la violation manifeste, par la décision du Conseil d'Etat n° 317075 du 3 juillet 2009, du droit de l'Union européenne en ce qui concerne la compatibilité du système français de précompte avec la directive 90/435 du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la violation manifeste, par la décision du Conseil d'Etat n° 317075 du 10 décembre 2012, des principes de liberté d'établissement et de liberté de circulation garantis par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qui concerne la non-prise en compte de l'imposition acquittée par les sous-filiales établies dans un Etat membre de l'Union autre que la France ;
- l'Etat devait tirer toutes les conséquences de l'arrêt en manquement C-416/17 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 4 octobre 2018 et sa responsabilité est engagée de ce fait de plein droit ;
- le Conseil d'Etat n'a pas exécuté son obligation de renvoi préjudiciel et a ainsi méconnu l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de sa fonction normative et de la mise en oeuvre de la loi par l'administration, le système du précompte prévu par la loi fiscale française étant incompatible avec la directive 90/435 ;
- à titre principal, le préjudice résultant de la contrariété du système du précompte au droit de l'Union lui ouvre doit à une réparation équivalente à la restitution intégrale du précompte relatif aux années en litige, soit 49 283 574 euros pour 1999, 54 757 157 euros pour 2000 et 52 024 962 euros pour 2001 ;
- le préjudice total de 148 797 330 euros doit être augmenté de la somme de 34 950 705,59 euros correspondant au montant des intérêts moratoires perçus après le jugement de première instance, qu'elle a dû reverser ;
- à titre subsidiaire, son préjudice est équivalent au montant de l'imposition supportée par sa filiale belge CIWLT au titre de 1998, qui n'a pas été retenue pour gager un crédit d'impôt imputable sur le précompte de l'année 2000, soit 31 119 090 euros, assortis des intérêts moratoires.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 mai 2023, le Garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- il s'en remet aux observations du ministre de l'économie et des finances en ce qui concerne l'existence d'un éventuel préjudice.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à titre principal, la demande indemnitaire formée par la requérante en ce qui concerne l'impôt acquitté par sa filiale CIWLT n'est pas fondée en l'absence de violation manifeste du droit de l'Union, repose sur un fondement différent de l'absence de prise en compte des impositions des sous-filiales et a été présentée sur des impositions qui étaient encore contestées ;
- à titre subsidiaire, le préjudice résultant du refus de prendre en compte l'impôt acquitté par cette filiale ne saurait excéder la somme de 27 299 202 euros.
Par ordonnance du 13 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2024.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions fondées sur la responsabilité de l'Etat du fait de son activité normative en raison de l'exception de recours parallèle, le juge de l'impôt ayant statué définitivement par la décision n° 317075 du 10 décembre 2012.
Par un mémoire enregistré le 24 avril 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que le moyen que la cour envisage de relever d'office est fondé.
Par un mémoire enregistré le 24 avril 2025, la société Accor soutient que le moyen que la cour envisage de relever d'office n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 90/435 du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 30 septembre 2003 Köbler (C-224/01) et du 22 décembre 2008 Belgique c/ Truck Center SA (C-282/07) et les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 28 juillet 2016 Tomá?ová (C-168/15), du 22 novembre 2018 Sofina SA (C-575/17), du 29 juillet 2019 Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe (C-620/17) et du 10 janvier 2020 A. K. et autres (C-585/18, C-624/18, C-625/18) ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteur public,
- les observations de Me Espasa-Mattei pour la société Accor,
- et les observations de M. A... pour la ministre chargée des comptes publics.
Une note en délibéré, enregistrée le 29 avril 2025, a été présentée pour la société Accor.
Considérant ce qui suit :
1. La société Accor, qui a son siège social en France, a perçu en 1998, 1999 et 2000 des dividendes versés par ses filiales établies dans d'autres Etats membres de la Communauté européenne. Lors de la redistribution de ces dividendes à ses propres associés, elle a acquitté, en application des dispositions combinées du 2 de l'article 146 et des articles 158 bis et 223 sexies du code général des impôts, un précompte s'élevant au titre des années 1999, 2000 et 2001 respectivement à 323 279 053 francs, 359 183 404 francs et 341 261 380 francs. Par une décision n° 317075 du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 20 mai 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles avait confirmé le jugement du 21 décembre 2006 du tribunal administratif de Versailles accordant à la société Accor la restitution des sommes ainsi versées au titre du précompte mobilier, puis, réglant l'affaire au fond, a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle. Par une seconde décision, du 10 décembre 2012, il a jugé que les dispositions alors en vigueur du code général des impôts régissant l'avoir fiscal et le précompte méconnaissaient la liberté d'établissement et la liberté de circulation des capitaux garanties par les articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et que la société Accor pouvait, par suite, prétendre à la restitution du précompte en litige, calculée de telle sorte que les dispositions régissant l'avoir fiscal et le précompte soient neutres au regard de ces libertés. Il a néanmoins, par cette seconde décision, remis à la charge de la société Accor, compte tenu de l'application de ce principe et des justificatifs produits, les sommes de 47 529 474 euros au titre de l'année 1999, de 52 475 733 euros au titre de l'année 2000 et de 49 756 481 euros au titre de l'année 2001.
2. La société Accor a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du refus de l'Etat de lui restituer l'intégralité du précompte mobilier acquitté en 1999, 2000 et 2001 sur les dividendes reçus de ses filiales installés dans d'autres Etat membres de la Communauté européenne, en invoquant la méconnaissance du droit communautaire par ces décisions n° 317075 du 4 juillet 2009 et du 10 décembre 2012 du Conseil d'Etat et la contrariété des dispositions relatives au précompte mobilier et de leur application avec ce droit. Elle s'est prévalue, en cours d'instance, de l'arrêt C-416/17 du 4 octobre 2018 par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a déclaré que la France avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'arrêt C-556/20 du 12 mai 2022 par lequel cette Cour a interprété, à titre préjudiciel, le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990. Elle relève appel du jugement du 11 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
3. Il résulte de l'instruction que, par un mémoire enregistré le 7 décembre 2022, la société Accor a pour la première fois invoqué, comme autre fondement à sa demande indemnitaire, la responsabilité de l'Etat du fait de la contrariété au droit communautaire des dispositions relatives au précompte et de la faute commise par les services fiscaux en en faisant application.
4. Si, par une ordonnance du 15 septembre 2020, l'instruction de la première instance avait été close à compter du 7 octobre 2020, le tribunal administratif a toutefois communiqué l'ensemble de la procédure au ministre chargé du budget, pour observations, le 2 septembre 2021, et doit ainsi être regardé comme ayant rouvert l'instruction de l'affaire. En l'absence de nouvelle ordonnance de clôture, l'instruction a en conséquence été close trois jours francs avant l'audience du 14 décembre 2022, soit le 10 décembre 2022 à minuit, en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.
5. Par suite, en omettant de statuer sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec le droit communautaire et de la faute commise par les services fiscaux en en faisant application, le tribunal a entaché le jugement attaqué d'irrégularité et la société requérante est fondée à en demander l'annulation dans cette mesure.
6. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par la société Accor devant le tribunal administratif de Paris sur ce fondement et, par la voie de l'effet dévolutif, sur le surplus de ses conclusions.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait de la décision juridictionnelle du 3 juillet 2009 :
7. En vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité. Si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l'État peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.
8. Pour apprécier si le contenu d'une décision juridictionnelle de l'ordre administratif est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne, il appartient au juge administratif, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts Köbler (C-224/01) du 30 septembre 2003, Tomá?ová (C-168/15) du 28 juillet 2016 et Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe (C-620/17) du 29 juillet 2019, de tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui lui est soumise, notamment du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l'Union en question, de l'étendue de la marge d'appréciation que cette règle laisse aux autorités nationales, du caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, du caractère excusable ou inexcusable de l'éventuelle erreur de droit, de la position prise, le cas échéant, par une institution de l'Union européenne et ayant pu contribuer à l'adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l'Union ainsi que de la méconnaissance, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre du troisième alinéa de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En particulier, une violation du droit de l'Union est suffisamment caractérisée lorsque la décision juridictionnelle concernée est intervenue en méconnaissance manifeste d'une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union européenne en la matière. Il y a lieu, pour le juge administratif saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée sur ce fondement, de rechercher si la décision juridictionnelle en cause a manifestement méconnu le droit de l'Union européenne au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de cette décision.
9. Aux termes du I de l'article 158 bis du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur pendant les années 1999, 2000 et 2001 sur lesquelles a statué le Conseil d'Etat dans sa décision du 3 juillet 2009 : " Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué : a) par les sommes qu'elles reçoivent de la société ; b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor (...) ". Aux termes du I de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères (...), touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ". Aux termes du 1 de l'article 223 sexies du même code : " (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. (...) Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ". Enfin, le 2 de l'article 146 du même code dispose que : " Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...) encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus. (...) ".
10. Par sa décision n° 317075 du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a écarté le moyen, soulevé par la société Accor, tiré de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, au motif qu'il résultait clairement de l'article 1er de la directive que ses dispositions s'appliquaient aux distributions de bénéfices reçues par une société mère située dans un Etat membre et provenant de ses filiales établies dans d'autres Etats membres de la Communauté européenne et que le précompte, qui n'avait ni pour objet ni pour effet d'imposer de tels bénéfices mais était exigible seulement lors de la redistribution, par une société mère à ses actionnaires, de dividendes reçus de ses filiales, n'entrait pas dans son champ d'application.
11. Par un arrêt du 12 mai 2022, Schneider Electric SE et autres (C-556/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère d'un Etat membre est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales établies dans d'autres Etats membres, donnant lieu à l'attribution d'un avoir fiscal, lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de cet article 4.
12. La société requérante soutient que cet arrêt ne peut être regardé comme une évolution de la jurisprudence de la Cour de justice et que la question avait déjà été abordée par son arrêt Test Claimants du 12 décembre 2006 (C-446/04). Il ressort toutefois des termes de ce dernier arrêt qu'il ne s'est prononcé que sur une législation telle que celle régissant le système britannique de l' " advance corporation tax " ou impôt anticipé sur les sociétés, visant à éviter la double imposition dans le champ de la directive, question qui demeurait ainsi non tranchée par la jurisprudence. Il ressort par ailleurs des conclusions de l'avocat général dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt C-310/09 du 15 septembre 2011, par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a répondu à la question préjudicielle posée par la décision du 3 juillet 2009, que celui-ci partageait l'appréciation selon laquelle la directive ne se rapportait qu'aux distributions des bénéfices entre une filiale et sa société mère établies dans deux États membres différents et ne préjugeait donc pas du régime fiscal de la redistribution de produits de participation par la société mère à ses propres actionnaires. C'est seulement par ses arrêts X c/ Ministerraad (C-68/15) et Association française des entreprises privées et autres (C-365/16) du 17 mai 2017 que la Cour de justice a jugé que l'article 4 de la directive du 23 janvier 1990 interdisait aux États membres d'imposer la société mère au titre des bénéfices qui lui étaient distribués par sa filiale, sans distinguer selon que l'imposition de la société mère avait pour fait générateur la réception de ces bénéfices ou leur redistribution, ce dont il résultait que le précompte mobilier était susceptible d'entrer dans le champ d'application de ces dispositions. Enfin, par ses conclusions dans l'affaire Schneider Electric SE et autres (C-556/20), l'avocate générale a proposé à la Cour de justice de répondre que les dispositions de l'article 4, lues conjointement avec l'article 7, paragraphe 2, de la directive du 23 juillet 1990, ne s'opposaient pas à une disposition prévoyant, aux fins de l'application d'un régime d'imposition correcte de l'actionnaire, un prélèvement lors de la redistribution de bénéfices, afin de neutraliser un crédit d'impôt correspondant du bénéficiaire ultérieur de la distribution, y compris lorsque ces bénéfices ont été antérieurement distribués à la société mère par une filiale établie dans un autre État membre de l'Union européenne.
13. Par ailleurs, si la méconnaissance par une juridiction nationale statuant en dernier ressort de l'obligation de procéder à un renvoi préjudiciel prévue par l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, laquelle ne crée pas de droit au renvoi préjudiciel dans le chef des particuliers, constitue un des éléments que le juge national doit prendre en considération pour statuer sur une demande en réparation fondée sur la méconnaissance manifeste du droit de l'Union par une décision juridictionnelle, elle ne constitue en revanche pas une cause autonome d'engagement de la responsabilité d'un État membre. En l'espèce, par sa décision du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la compatibilité du régime du précompte mobilier avec les stipulations du traité instituant la Communauté européenne relatives à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux, et considéré que ressortait clairement de l'article 1er de la directive l'interprétation selon laquelle une imposition exigible seulement lors de la redistribution, par une société mère à ses actionnaires, de dividendes reçus de ses filiales, au surplus dans le seul but de neutraliser le crédit d'impôt accordé aux actionnaires, n'entrait pas dans le champ d'application de ce texte.
14. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le fait que la décision du Conseil d'Etat du 3 juillet 2009 a écarté le moyen tiré de l'incompatibilité du mécanisme du précompte mobilier avec l'article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 caractériserait une violation manifeste, par le juge national, du droit de l'Union européenne tel qu'il résultait notamment de la jurisprudence de la Cour de justice existant à la date de sa décision.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec le droit communautaire et de la faute commise par les services fiscaux :
15. Si la requérante soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée du seul fait de l'adoption d'une législation fiscale contraire au droit de l'Union européenne, de même que du fait de son application par l'administration, il ressort de l'ensemble de ses écritures, y compris de son mémoire du 24 avril 2025, que les conclusions qu'elle présente sur ce fondement tendent à l'obtention d'une "indemnité" d'un montant égal à celui du précompte acquitté au titre des années 1999, 2000 et 2001 restant en litige, en réparation du "préjudice" que sa charge a constitué pour elle, par le moyen que ce préjudice est imputable à l'incompatibilité des dispositions du code général des impôts relatives au précompte mobilier avec les objectifs de la directive du 23 juillet 1990. Ces conclusions ont dès lors, en réalité, le même objet que celles, aux fins de restitution de ce précompte, rejetées par la décision du Conseil d'Etat du 10 décembre 2012 statuant comme juge de l'impôt. Cette circonstance fait, en tout état de cause, obstacle à la recevabilité d'une demande en réparation qui n'invoque pas de préjudice autre que celui résultant du paiement du précompte.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait d'un manquement au droit de l'Union européenne en raison de l'absence de prise en considération de l'imposition sur les bénéfices subie par les sous-filiales non résidentes :
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
16. Aux termes de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. / Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne ". L'article 260 de ce même traité stipule que : " 1. Si la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour. / 2. Si la Commission estime que l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'État membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances. / Si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte. (...) ".
17. Par un arrêt C-416/17 du 4 octobre 2018, ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 258 précité du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, d'une part, qu'en refusant de prendre en compte, pour le calcul du remboursement du précompte mobilier acquitté par une société mère résidente au titre de la distribution de dividendes versés par une sous-filiale non résidente par l'intermédiaire d'une filiale non résidente, l'imposition sur les bénéfices sous-jacents à ces dividendes subie par cette sous-filiale non résidente, dans l'État membre où elle est établie, alors même que le mécanisme national de prévention de la double imposition économique permet, dans le cas d'une chaîne de participation purement interne, de neutraliser l'imposition qu'ont subie les dividendes distribués par une société à chaque échelon de cette chaîne de participation, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. La Cour de justice a jugé, d'autre part, qu'en raison de l'omission du Conseil d'État de la saisir dans le litige opposant les sociétés Accor et Rhodia à l'Etat afin de déterminer s'il y avait lieu de refuser de prendre en compte, pour le calcul du remboursement du précompte mobilier acquitté par une société résidente au titre de la distribution de dividendes versés par une société non résidente par l'intermédiaire d'une filiale non résidente, l'imposition subie par cette seconde société sur les bénéfices sous-jacents à ces dividendes, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 267, troisième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
18. L'exécution de cet arrêt de la Cour de justice implique nécessairement que la société Accor obtienne la réparation du préjudice résultant du défaut de restitution d'une fraction du précompte mobilier en litige dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du Conseil d'Etat du 10 décembre 2012 du fait du refus de prendre en compte l'imposition, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes versés par une sous-filiale non résidente par l'intermédiaire d'une filiale non résidente, subie par cette sous-filiale non résidente dans l'État membre où elle est établie. Par suite, à défaut de remboursement, après cet arrêt du 4 octobre 2018 et encore après l'engagement d'une procédure sur le fondement du paragraphe 2 de l'article 260 précité, de cette fraction du précompte mobilier qu'elle a acquitté, la société est fondée à demander la condamnation de l'Etat, qui a ainsi manqué aux obligations qui lui incombent et dont la responsabilité est, par suite, engagée à son égard, à réparer le préjudice que lui a directement causé ce manquement et dont elle justifie, sans que puisse lui être opposée une exception de recours parallèle.
En ce qui concerne le préjudice :
19. Dans le dernier état de ses écritures, la société requérante soutient que le manquement de l'Etat français lui a directement causé un préjudice équivalent à la différence entre le montant du précompte mobilier qu'elle a acquitté, au titre de l'année 2000, à raison de la distribution à ses associés des dividendes qu'elle a reçus en 1999 de sa filiale belge CIWLT, et le montant de précompte qu'elle aurait dû acquitter si, en particulier, avait été pris en compte, dans sa détermination, le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par la société CIWLT en 1998 au titre de l'établissement stable qu'elle possédait en France, soit un préjudice d'un montant au moins égal à 29 961 254 euros.
20. Il résulte toutefois de ce qui est dit au point 18 que le seul préjudice subi par la société Accor, du fait de l'acquittement du précompte mobilier pour la distribution en 2000 des dividendes reçus de la société CIWLT, qui présente un lien de causalité direct avec le manquement de l'Etat est constitué par la fraction de ce précompte dont elle n'a pas obtenu la restitution du fait de l'absence de prise en compte de l'imposition subie par la société Accoordination, filiale de sa propre filiale la société CIWLT, dans les mêmes conditions que si ces deux sociétés avaient été établies en France.
21. A cet égard, il résulte de l'instruction, notamment des éléments produits en première instance par la requérante, que, sur décision de son assemblée générale du 2 juin 1998, la société Accoordination a régulièrement distribué à la société CIWLT, au plus tard le 25 juin 1998, des dividendes pour un montant s'élevant, compte tenu du nombre d'actions détenues par CIWLT, à la somme de 63 757 370 francs belges, et, sur décision de son assemblée générale du 25 juin 1999, la société CIWLT, détenue à hauteur de 99,48 % par la société Accor, a régulièrement distribué à cette dernière société, le 6 juillet 1999, des dividendes pour un montant s'élevant à 3 610 779 899 francs belges. Il résulte également de l'instruction que les résultats de la société Accoordination au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1997 et des quatre exercices précédents, susceptibles d'être pris en considération en vertu du 2 de l'article 146 du code général des impôts cité au point 9, ont été assujettis à l'impôt sur les sociétés en Belgique au taux de 39 % pour un montant de 13 845 511 francs belges sur une base de 35 501 310 francs belges, soit 880 054 euros.
22. Le préjudice subi par la société Accor ne peut excéder le montant de l'impôt supporté par la société Accoordination en Belgique auquel aurait été attaché, si cette société et la société CIWLT avaient été établies en France, un avoir fiscal qu'elle aurait pu imputer sur le montant de précompte mobilier qu'elle a acquitté en 2000 lors de la distribution à ses associés des dividendes provenant d'Accoordination qui lui avaient été distribués en 1999 par CIWLT. Eu égard au taux normal de l'impôt français, soit 33,33 %, alors applicable, inférieur au taux de l'impôt sur les sociétés appliqué aux résultats de la société Accoordination, le montant de restitution de précompte dont la requérante a été privée peut être arrêté à cette fraction de la somme de 880 054 euros, soit 293 322 euros.
23. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'en exécution de la décision du Conseil d'Etat n° 317075 du 10 décembre 2012, la société Accor a dû procéder au reversement des restitutions de précompte que le juge de première instance lui avait octroyées, ainsi qu'au reversement des intérêts moratoires acquittés par l'administration en exécution du jugement de première instance. Ces intérêts constituent également, en tant qu'ils ont porté sur la somme déterminée au point précédent, un préjudice dont la requérante est fondée à demander la réparation dès lors qu'ils lui auraient été conservés en l'absence de manquement de l'Etat.
24. Enfin, la société Accor a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes mentionnées aux points 22 et 23 à compter de la date du 31 décembre 2014 à laquelle la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration.
25. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens ayant la même portée, que la société Accor est seulement fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 293 351 euros, augmentée des intérêts moratoires acquittés sur cette somme et des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014, et que le surplus de ses conclusions doit être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
26. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 11 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'incompatibilité des dispositions relatives au précompte avec le droit communautaire et de la faute commise par les services fiscaux en en faisant application et réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société Accor la somme de 293 322 euros, augmentée des intérêts moratoires acquittés sur cette somme tels que précisés au point 23 du présent arrêt et assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014.
Article 3 : L'Etat versera à la société Accor la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Accor est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Accor, au Garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la cour,
- Mme Chevalier-Aubert, présidente,
- Mme Hamon, présidente assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2025
La rapporteure,
P. HamonLa présidente,
P. Fombeur
La greffière,
C. Buot
La République mande et ordonne au Garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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