Conseil d'État
N° 212179 212211
Publié au recueil Lebon
Lecture du vendredi 30 novembre 2001
26-055-02-01 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par les protocoles- Droit au respect de ses biens (art- er du protocole additionnel)-
a) Caractère de créance des pensions civiles et militaires de retraite - Existence - b) Loi dite de "cristallisation" des pensions civiles et militaires de retraites servies aux nationaux des pays et territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France (article 71 de la loi du 26 décembre 1959) - Méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la Convention et de l'article 1er de son premier protocole additionnel - Existence - Différence de traitement entre pensionnés à raison de leur nationalité ne pouvant être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec les buts de la loi.
a) En vertu de l'article L.1 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi du 20 septembre 1948, les pensions sont des allocations pécuniaires, personnelles et viagères auxquelles donnent droit les services accomplis par les agents publics énumérés par cet article, jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Ces pensions constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. b) Aux termes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 : "I. A compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation..". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec l'objet de la loi. Il ressort des termes mêmes de l'article 71 précité de la loi du 26 décembre 1959 que les ressortissants des pays qui y sont mentionés reçoivent désormais, à la place de leur pension, en application de ces dispositions, une indemnité non revalorisable dans les conditions prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite. Dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité. Les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération destinée à leur assurer des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées. La différence de situation existant entre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence de traitement. S'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 26 décembre 1959 que les dispositions litigieuses avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance des pays mentionnés à cet article et de l'évolution désormais distincte de leurs économies et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation de ces pensions en fonction de l'évolution des traitements servis aux fonctionnaires français, la différence de traitement qu'elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de pensions, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif. Ces dispositions sont de ce fait incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
48-03-07 : Pensions- Régimes particuliers de retraite- Pensions des nationaux des pays ou des territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placé sous le protectorat ou sous la tutelle de la France-
a) Caractère de créance au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - Existence - b) Loi dite de "cristallisation" des pensions civiles et militaires de retraites servies aux nationaux des pays et territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France (article 71 de la loi du 26 décembre 1959) - Méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la Convention et de l'article 1er de son premier protocole additionnel - Existence - Différence de traitement entre retraités à raison de leur nationalité ne pouvant être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec les buts de la loi.
a) En vertu de l'article L.1 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi du 20 septembre 1948, les pensions sont des allocations pécuniaires, personnelles et viagères auxquelles donnent droit les services accomplis par les agents publics énumérés par cet article, jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Ces pensions constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. b) Aux termes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 : "I. A compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation..". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec l'objet de la loi. Il ressort des termes mêmes de l'article 71 précité de la loi du 26 décembre 1959 que les ressortissants des pays qui y sont mentionés reçoivent désormais, à la place de leur pension, en application de ces dispositions, une indemnité non revalorisable dans les conditions prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite. Dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité. Les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération destinée à leur assurer des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées. La différence de situation existant entre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence de traitement. S'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 26 décembre 1959 que les dispositions litigieuses avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance des pays mentionnés à cet article et de l'évolution désormais distincte de leurs économies et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation de ces pensions en fonction de l'évolution des traitements servis aux fonctionnaires français, la différence de traitement qu'elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de pensions, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif. Ces dispositions sont de ce fait incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
N° 212179 212211
Publié au recueil Lebon
Lecture du vendredi 30 novembre 2001
26-055-02-01 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par les protocoles- Droit au respect de ses biens (art- er du protocole additionnel)-
a) Caractère de créance des pensions civiles et militaires de retraite - Existence - b) Loi dite de "cristallisation" des pensions civiles et militaires de retraites servies aux nationaux des pays et territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France (article 71 de la loi du 26 décembre 1959) - Méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la Convention et de l'article 1er de son premier protocole additionnel - Existence - Différence de traitement entre pensionnés à raison de leur nationalité ne pouvant être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec les buts de la loi.
a) En vertu de l'article L.1 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi du 20 septembre 1948, les pensions sont des allocations pécuniaires, personnelles et viagères auxquelles donnent droit les services accomplis par les agents publics énumérés par cet article, jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Ces pensions constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. b) Aux termes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 : "I. A compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation..". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec l'objet de la loi. Il ressort des termes mêmes de l'article 71 précité de la loi du 26 décembre 1959 que les ressortissants des pays qui y sont mentionés reçoivent désormais, à la place de leur pension, en application de ces dispositions, une indemnité non revalorisable dans les conditions prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite. Dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité. Les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération destinée à leur assurer des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées. La différence de situation existant entre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence de traitement. S'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 26 décembre 1959 que les dispositions litigieuses avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance des pays mentionnés à cet article et de l'évolution désormais distincte de leurs économies et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation de ces pensions en fonction de l'évolution des traitements servis aux fonctionnaires français, la différence de traitement qu'elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de pensions, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif. Ces dispositions sont de ce fait incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
48-03-07 : Pensions- Régimes particuliers de retraite- Pensions des nationaux des pays ou des territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placé sous le protectorat ou sous la tutelle de la France-
a) Caractère de créance au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - Existence - b) Loi dite de "cristallisation" des pensions civiles et militaires de retraites servies aux nationaux des pays et territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France (article 71 de la loi du 26 décembre 1959) - Méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la Convention et de l'article 1er de son premier protocole additionnel - Existence - Différence de traitement entre retraités à raison de leur nationalité ne pouvant être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec les buts de la loi.
a) En vertu de l'article L.1 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi du 20 septembre 1948, les pensions sont des allocations pécuniaires, personnelles et viagères auxquelles donnent droit les services accomplis par les agents publics énumérés par cet article, jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Ces pensions constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. b) Aux termes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 : "I. A compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation..". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec l'objet de la loi. Il ressort des termes mêmes de l'article 71 précité de la loi du 26 décembre 1959 que les ressortissants des pays qui y sont mentionés reçoivent désormais, à la place de leur pension, en application de ces dispositions, une indemnité non revalorisable dans les conditions prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite. Dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité. Les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération destinée à leur assurer des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées. La différence de situation existant entre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence de traitement. S'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 26 décembre 1959 que les dispositions litigieuses avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance des pays mentionnés à cet article et de l'évolution désormais distincte de leurs économies et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation de ces pensions en fonction de l'évolution des traitements servis aux fonctionnaires français, la différence de traitement qu'elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de pensions, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif. Ces dispositions sont de ce fait incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.