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Ariane Web: Conseil d'État 308996, lecture du 9 mai 2012

Analyse n° 308996
9 mai 2012
Conseil d'État

N° 308996
Publié au recueil Lebon

Lecture du mercredi 9 mai 2012



19-04-02-01-08-01 : Contributions et taxes- Impôts sur les revenus et bénéfices- Revenus et bénéfices imposables règles particulières- Bénéfices industriels et commerciaux- Calcul de l'impôt- Crédits d'impôt-

Crédit d'impôt institué pour une durée de trois ans pour les entreprises créatrices d'emplois - Suppression au cours des trois ans - Invocation par le requérant de l'article 1P1 - 1) a) Particularités liées à l'institution de ce crédit d'impôt - Conséquences - Dispositif de nature à laisser espérer son application sur l'ensemble de la période prévue - b) Circonstances permettant d'en prévoir la suppression pour l'année 1999 - Absence - c) Conséquence - Invocabilité de l'article 1P1 - Existence (1) - 2) Bien-fondé du moyen - a) Principe (2) - b) Application en l'espèce.




1) a) L'article 81 de la loi de finances pour 1998 avait institué, pour une durée de trois ans, un dispositif fiscal assurant les entreprises créatrices d'emploi durant la période considérée de recevoir en échange un crédit d'impôt reportable. L'espérance de bénéficier de ce crédit d'impôt pouvait être entièrement fondée sur ces dispositions, dès lors que l'essentiel du dispositif était fixé dès l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 1998. Le législateur avait fixé dès l'institution de ce crédit d'impôt la période de trois ans durant laquelle il était possible d'escompter en bénéficier, dès lors qu'il avait prévu de solder les crédits et débits d'impôt en résultant sur l'ensemble de la période de trois ans et non au terme de chaque année. Ainsi, ce dispositif était de nature à laisser espérer son application sur l'ensemble de la période prévue, contrairement à d'autres mesures fiscales adoptées sans limitation de durée. b) La suppression de ce dispositif pour les emplois créés au cours de l'année 1999 résulte d'un amendement parlementaire au projet de loi de finances pour 2000 proposé en première lecture le 22 octobre 1999. Si la suppression du crédit d'impôt en cause a été envisagée publiquement pour la première fois dans le rapport du 7 juillet 1999 de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, ce rapport, parmi les suggestions qu'il comportait, ne se prononçait explicitement qu'en ce qui concerne sa suppression, brièvement évoquée dans une annexe, pour l'année 2000. Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu ni que ce rapport parlementaire justifiait la nécessité de cette suppression dès l'année 1999, ni que les entreprises qui escomptaient bénéficier d'un crédit d'impôt pour les emplois créés au cours de l'année 1999 avaient été avisées de la suppression du dispositif à temps pour qu'elles puissent adapter leur comportement à cette suppression, la loi de finances la décidant ayant été définitivement adoptée le 21 décembre 1999. Par conséquent, à la date où elle a décidé de recruter des salariés supplémentaires, la société requérante pouvait légitimement espérer avoir droit au bénéfice du crédit d'impôt correspondant, lequel pouvait être regardé comme suffisamment certain et établi avant sa suppression. c) Il en résulte que la société pouvait utilement invoquer une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel (1P1) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. 2) a) Si les stipulations de l'article 1P1 ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier. b) En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour établir ces motifs d'intérêt général, l'administration invoquait les « effets d'aubaine » que le crédit d'impôt offrait aux entreprises et l'augmentation de recettes budgétaires résultant de la suppression de cette dépense fiscale. Toutefois, d'une part, ni l'ampleur ni la nature de ces « effets d'aubaine » n'avaient fait l'objet d'études précises, et, d'autre part, le montant annuel de la dépense était, conformément aux prévisions et sans qu'aucune dérive ait été alléguée, de l'ordre d'un milliard de francs par an au sein de dépenses publiques en faveur de la création d'emploi de l'ordre de 350 milliards de francs par an. Dès lors, la suppression du crédit d'impôt, en tant qu'elle avait été décidée à titre rétroactif pour les créations d'emploi réalisées au cours de l'année 1999, était disproportionnée faute de motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier.





26-055-02-01 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par les protocoles- Droit au respect de ses biens (art- er du premier protocole additionnel)-

Crédit d'impôt institué pour une durée de trois ans pour les entreprises créatrices d'emplois - Suppression au cours des trois ans - Invocation par le requérant de l'article 1P1 - 1) a) Particularités liées à l'institution de ce crédit d'impôt - Conséquences - Dispositif de nature à laisser espérer son application sur l'ensemble de la période prévue - b) Circonstances permettant d'en prévoir la suppression pour l'année 1999 - Absence - c) Conséquence - Invocabilité de l'article 1P1 - Existence (1) - 2) Bien-fondé du moyen - a) Principe (2) - b) Application en l'espèce - 3) Contrôle du juge de cassation sur l'existence d'un bien ou d'une espérance - Contrôle de qualification juridique des faits - Existence.




1) a) L'article 81 de la loi de finances pour 1998 avait institué, pour une durée de trois ans, un dispositif fiscal assurant les entreprises créatrices d'emploi durant la période considérée de recevoir en échange un crédit d'impôt reportable. L'espérance de bénéficier de ce crédit d'impôt pouvait être entièrement fondée sur ces dispositions, dès lors que l'essentiel du dispositif était fixé dès l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 1998. Le législateur avait fixé dès l'institution de ce crédit d'impôt la période de trois ans durant laquelle il était possible d'escompter en bénéficier, dès lors qu'il avait prévu de solder les crédits et débits d'impôt en résultant sur l'ensemble de la période de trois ans et non au terme de chaque année. Ainsi, ce dispositif était de nature à laisser espérer son application sur l'ensemble de la période prévue, contrairement à d'autres mesures fiscales adoptées sans limitation de durée. b) La suppression de ce dispositif pour les emplois créés au cours de l'année 1999 résulte d'un amendement parlementaire au projet de loi de finances pour 2000 proposé en première lecture le 22 octobre 1999. Si la suppression du crédit d'impôt en cause a été envisagée publiquement pour la première fois dans le rapport du 7 juillet 1999 de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, ce rapport, parmi les suggestions qu'il comportait, ne se prononçait explicitement qu'en ce qui concerne sa suppression, brièvement évoquée dans une annexe, pour l'année 2000. Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu ni que ce rapport parlementaire justifiait la nécessité de cette suppression dès l'année 1999, ni que les entreprises qui escomptaient bénéficier d'un crédit d'impôt pour les emplois créés au cours de l'année 1999 avaient été avisées de la suppression du dispositif à temps pour qu'elles puissent adapter leur comportement à cette suppression, la loi de finances la décidant ayant été définitivement adoptée le 21 décembre 1999. Par conséquent, à la date où elle a décidé de recruter des salariés supplémentaires, la société requérante pouvait légitimement espérer avoir droit au bénéfice du crédit d'impôt correspondant, lequel pouvait être regardé comme suffisamment certain et établi avant sa suppression. c) Il en résulte que la société pouvait utilement invoquer une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel (1P1) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention EDH). 2) a) Si les stipulations de l'article 1P1 ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier. b) En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour établir ces motifs d'intérêt général, l'administration invoquait les « effets d'aubaine » que le crédit d'impôt offrait aux entreprises et l'augmentation de recettes budgétaires résultant de la suppression de cette dépense fiscale. Toutefois, d'une part, ni l'ampleur ni la nature de ces « effets d'aubaine » n'avaient fait l'objet d'études précises, et, d'autre part, le montant annuel de la dépense était, conformément aux prévisions et sans qu'aucune dérive ait été alléguée, de l'ordre d'un milliard de francs par an au sein de dépenses publiques en faveur de la création d'emploi de l'ordre de 350 milliards de francs par an. Dès lors, la suppression du crédit d'impôt, en tant qu'elle avait été décidée à titre rétroactif pour les créations d'emploi réalisées au cours de l'année 1999, était disproportionnée faute de motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier. 3) Le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits sur l'appréciation de l'existence d'un bien ou d'une espérance légitime au sens de l'article 1P1 de la Convention EDH.





54-08-02-02-01-02 : Procédure- Voies de recours- Cassation- Contrôle du juge de cassation- Bienfondé- Qualification juridique des faits-

Existence d'un bien ou d'une espérance légitime au sens de l'article 1P1 de la conv. EDH.




Le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits sur l'appréciation de l'existence d'un bien ou d'une espérance légitime au sens de l'article premier du premier protocole additionnel (1P1) à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv. EDH).


(1) Rappr. CEDH, 3 juillet 2003, Buffalo Srl en liquidation c/ Italie, n° 38746/97, §§ 28-29. (2) Cf. CE, Assemblée, 27 mai 2005, Provin, n° 277975, p. 212.

Voir aussi