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Ariane Web: Conseil d'État 349789, lecture du 30 juillet 2014

Analyse n° 349789
30 juillet 2014
Conseil d'État

N° 349789
Publié au recueil Lebon

Lecture du mercredi 30 juillet 2014



09-02 : Arts et lettres- Arts plastiques-

?uvres spoliées ou présumées spoliées inscrites au répertoire MNR - 1) Soumission à un régime distinct du droit commun applicable aux oeuvres détenues par les personnes publiques, y compris acquises dans le cadre d'opérations de guerre - Existence - Portée - Absence d'appropriation par l'Etat et d'incorporation au domaine public - Possibilité pour le propriétaire légitime d'en demander la restitution à tout moment en l'absence de disposition législative instituant une prescription - 2) Recours dirigé contre un refus de restitution - a) Acte de gouvernement - Absence (1) - b) Champ de la contestation - i) Exclusion - Actes de saisie de l'oeuvre - ii) Inclusion - Motifs du refus de restitution - c) Conditions de légalité de la conservation - Inclusion - ?uvre spoliée ou présumée spoliée sur la base d'un faisceau d'indices - 3) Espèce - a) Légalité du refus de restitution au regard des textes de droit interne - Existence - b) Compatibilité avec les stipulations de la convention EDH et de l'article 1P1 - Existence.




1) Il résulte de l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques que, à moins que le législateur n'en dispose autrement, les oeuvres détenues par une personne morale de droit public, y compris lorsqu'elle les a acquises dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre ou dans des circonstances relevant de l'exercice de la souveraineté nationale à l'occasion desquelles elle se les est appropriées, appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables. Si les actes qui ont conduit à l'incorporation de ces biens au domaine peuvent être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir, toute demande de restitution par une personne se prévalant d'en avoir été le propriétaire ou de venir aux droits de celui-ci est, après expiration des délais de recours pour contester les modalités de cette incorporation, tardive et, par suite, irrecevable. Les oeuvres répertoriées " Musées Nationaux récupération " (MNR) sont toutefois soumises à un régime spécifique. Il résulte des articles 1er de l'ordonnance du 12 novembre 1943, qui renvoie à la déclaration interalliée du 5 janvier 1943, de l'ordonnance du 14 novembre 1944 et de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, ainsi que des articles 1er et 5 du décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949, que l'Etat n'a pas entendu s'en attribuer la propriété, ni par suite les incorporer au domaine public. Il s'en est seulement institué le gardien à fin de restitution aux propriétaires spoliés par les actes de la puissance occupante et à leurs ayants droit en mettant en place un service public de la conservation et de la restitution de ces oeuvres. Les autorités compétentes sont tenues de restituer les oeuvres aux propriétaires légitimes, puis à leurs ayants droit, sur leur demande, soit qu'ils aient été victimes d'une telle spoliation, soit qu'aucune spoliation n'ayant eu lieu, ils en étaient et demeurent les propriétaires légitimes. En l'absence de dispositions législatives contraires, et dans la mesure où une restitution demeure en principe envisageable et s'avère d'ailleurs effectivement possible, aucune prescription particulière ou de droit commun ne peut être opposée à cette demande. 2) a) Un refus de restitution, qui est une décision administrative prise dans l'exercice de la mission du service public de conservation et de restitution des oeuvres MNR, peut être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative. b) i) Les actes de saisie des oeuvres répertoriées MNR, effectués par les forces alliées de la France, dans les zones de combat ou d'occupation, ou par les administrations françaises placées sous l'autorité du commandement militaire pendant les opérations de guerre ou d'occupation, sont inséparables de la conduite des opérations de guerre et des relations internationales et ne sont par suite pas susceptibles d'être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir. ii) En revanche, les motifs du refus de procéder à une restitution peuvent être critiqués à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir, les difficultés sérieuses pouvant s'élever à cette occasion en matière de propriété ou de régularité des transactions devant être portées, par la voie d'une question préjudicielle, devant le juge judiciaire. c) La conservation des oeuvres répertoriées MNR en vue de leur restitution à leurs propriétaires légitimes ou à leurs ayants droit s'impose dans les cas où les spoliations sont établies. Elle est également légalement fondée lorsqu'un faisceau d'indices, tirés notamment de la date des transactions opérées, après le 16 juin 1940, des parties à la transaction, connues pour leur implication auprès de la puissance occupante, et des conditions, motifs et buts de la transaction, notamment le fait qu'elle soit destinée aux territoires et aux intérêts de la puissance occupante, permet de présumer l'existence d'une spoliation, que celle-ci résulte d'agissements d'appropriation ou de transactions ayant les apparences de la régularité mais accomplies sous la contrainte ou l'inspiration de cette puissance. 3) En l'espèce, ayants droit contestant le refus de faire droit à leur demande de restitution d'oeuvres, vendues en 1940 et 1941 à Paris par un marchand d'art de double nationalité allemande et autrichienne à un galeriste autrichien mandaté par les responsables autrichiens en vue de constituer un musée d'art régional à Salzbourg, revendues ensuite à l'un de leurs ascendants et saisies dans l'après-guerre. a) Le refus de faire droit à la demande de restitution des oeuvres en cause n'est pas illégal dès lors que, à défaut d'être établie, l'existence d'une spoliation pouvait être présumée compte tenu, en l'absence d'indication sur l'origine de propriété de ces oeuvres, du fait que les transactions sont intervenues à une période qui permettait de présumer que l'achat initial des oeuvres avait été contraint, que les marchands d'art allemand et autrichien ayant procédé aux transactions étaient connus pour leurs relations privilégiées avec les dirigeants nazis, et que les transactions avaient été opérées, pour des prix trois à quatre fois supérieurs au prix d'achat, à la demande, avec les fonds et pour satisfaire les attentes de responsables nazis en Autriche. b) Ce refus n'est pas incompatible avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) et de l'article 1er de son premier protocole additionnel (1P1). D'une part, le régime des oeuvres répertoriées MNR contribue, au regard de ses motifs, à la mise en oeuvre de la convention. D'autre part, il existe des voies de recours, qui étaient effectivement à la disposition de la personne dont les oeuvres ont été saisies et de ses ayants droit, permettant au propriétaire légal, pendant toute la durée de la garde de ces oeuvres, de faire valoir ses droits et d'obtenir, le cas échéant, une réparation équitable, soit, lorsque sont en cause des biens spoliés ou présumés spoliés, en faisant constater la nullité de leur transaction et obtenir la restitution du prix payé, soit en contestant l'existence de la spoliation et obtenir, le cas échéant, la réparation du préjudice causé par la saisie irrégulière de ses biens.





17-02-02 : Compétence- Actes échappant à la compétence des deux ordres de juridiction- Actes de gouvernement-

Absence - Refus de restituer une oeuvre inscrite au répertoire MNR (1).




La décision de refus de restituer une oeuvre inscrite au répertoire " Musées Nationaux récupération " (MNR) créé pour assurer la garde d'oeuvres spoliées en France pendant la Seconde Guerre mondiale et retrouvées hors de France, à fin de restitution aux propriétaires légitimes et à leurs ayants droit, prise dans l'exercice de la mission du service public de conservation et de restitution des oeuvres de ce répertoire, peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.





26-04-04 : Droits civils et individuels- Droit de propriété- Actes des autorités administratives concernant les biens privés-

?uvres spoliées ou présumées spoliées inscrites au répertoire MNR - 1) Soumission à un régime distinct du droit commun applicable aux oeuvres détenues par les personnes publiques, y compris acquises dans le cadre d'opérations de guerre - Existence - Portée - Absence d'appropriation par l'Etat et d'incorporation au domaine public - Possibilité pour le propriétaire légitime d'en demander la restitution à tout moment en l'absence de disposition législative instituant une prescription - 2) Recours dirigé contre un refus de restitution - a) Acte de gouvernement - Absence (1) - b) Champ de la contestation - i) Exclusion - Actes de saisie de l'oeuvre - ii) Inclusion - Motifs du refus de restitution - c) Conditions de légalité de la conservation - Inclusion - ?uvre spoliée ou présumée spoliée sur la base d'un faisceau d'indices - 3) Espèce - a) Légalité du refus de restitution au regard des textes de droit interne - Existence - b) Compatibilité avec les stipulations de la convention EDH et de l'article 1P1 - Existence.




1) Il résulte de l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques que, à moins que le législateur n'en dispose autrement, les oeuvres détenues par une personne morale de droit public, y compris lorsqu'elle les a acquises dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre ou dans des circonstances relevant de l'exercice de la souveraineté nationale à l'occasion desquelles elle se les est appropriées, appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables. Si les actes qui ont conduit à l'incorporation de ces biens au domaine peuvent être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir, toute demande de restitution par une personne se prévalant d'en avoir été le propriétaire ou de venir aux droits de celui-ci est, après expiration des délais de recours pour contester les modalités de cette incorporation, tardive et, par suite, irrecevable. Les oeuvres répertoriées " Musées Nationaux récupération " (MNR) sont toutefois soumises à un régime spécifique. Il résulte des articles 1er de l'ordonnance du 12 novembre 1943, qui renvoie à la déclaration interalliée du 5 janvier 1943, de l'ordonnance du 14 novembre 1944 et de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, ainsi que des articles 1er et 5 du décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949, que l'Etat n'a pas entendu s'en attribuer la propriété, ni par suite les incorporer au domaine public. Il s'en est seulement institué le gardien à fin de restitution aux propriétaires spoliés par les actes de la puissance occupante et à leurs ayants droit en mettant en place un service public de la conservation et de la restitution de ces oeuvres. Les autorités compétentes sont tenues de restituer les oeuvres aux propriétaires légitimes, puis à leurs ayants droit, sur leur demande, soit qu'ils aient été victimes d'une telle spoliation, soit qu'aucune spoliation n'ayant eu lieu, ils en étaient et demeurent les propriétaires légitimes. En l'absence de dispositions législatives contraires, et dans la mesure où une restitution demeure en principe envisageable et s'avère d'ailleurs effectivement possible, aucune prescription particulière ou de droit commun ne peut être opposée à cette demande. 2) a) Un refus de restitution, qui est une décision administrative prise dans l'exercice de la mission du service public de conservation et de restitution des oeuvres MNR, peut être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative. b) i) Les actes de saisie des oeuvres répertoriées MNR, effectués par les forces alliées de la France, dans les zones de combat ou d'occupation, ou par les administrations françaises placées sous l'autorité du commandement militaire pendant les opérations de guerre ou d'occupation, sont inséparables de la conduite des opérations de guerre et des relations internationales et ne sont par suite pas susceptibles d'être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir. ii) En revanche, les motifs du refus de procéder à une restitution peuvent être critiqués à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir, les difficultés sérieuses pouvant s'élever à cette occasion en matière de propriété ou de régularité des transactions devant être portées, par la voie d'une question préjudicielle, devant le juge judiciaire. c) La conservation des oeuvres répertoriées MNR en vue de leur restitution à leurs propriétaires légitimes ou à leurs ayants droit s'impose dans les cas où les spoliations sont établies. Elle est également légalement fondée lorsqu'un faisceau d'indices, tirés notamment de la date des transactions opérées, après le 16 juin 1940, des parties à la transaction, connues pour leur implication auprès de la puissance occupante, et des conditions, motifs et buts de la transaction, notamment le fait qu'elle soit destinée aux territoires et aux intérêts de la puissance occupante, permet de présumer l'existence d'une spoliation, que celle-ci résulte d'agissements d'appropriation ou de transactions ayant les apparences de la régularité mais accomplies sous la contrainte ou l'inspiration de cette puissance. 3) En l'espèce, ayants droit contestant le refus de faire droit à leur demande de restitution d'oeuvres, vendues en 1940 et 1941 à Paris par un marchand d'art de double nationalité allemande et autrichienne à un galeriste autrichien mandaté par les responsables autrichiens en vue de constituer un musée d'art régional à Salzbourg, revendues ensuite à l'un de leurs ascendants et saisies dans l'après-guerre. a) Le refus de faire droit à la demande de restitution des oeuvres en cause n'est pas illégal dès lors que, à défaut d'être établie, l'existence d'une spoliation pouvait être présumée compte tenu, en l'absence d'indication sur l'origine de propriété de ces oeuvres, du fait que les transactions sont intervenues à une période qui permettait de présumer que l'achat initial des oeuvres avait été contraint, que les marchands d'art allemand et autrichien ayant procédé aux transactions étaient connus pour leurs relations privilégiées avec les dirigeants nazis, et que les transactions avaient été opérées, pour des prix trois à quatre fois supérieurs au prix d'achat, à la demande, avec les fonds et pour satisfaire les attentes de responsables nazis en Autriche. b) Ce refus n'est pas incompatible avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) et de l'article 1er de son premier protocole additionnel (1P1). D'une part, le régime des oeuvres répertoriées MNR contribue, au regard de ses motifs, à la mise en oeuvre de la convention. D'autre part, il existe des voies de recours, qui étaient effectivement à la disposition de la personne dont les oeuvres ont été saisies et de ses ayants droit, permettant au propriétaire légal, pendant toute la durée de la garde de ces oeuvres, de faire valoir ses droits et d'obtenir, le cas échéant, une réparation équitable, soit, lorsque sont en cause des biens spoliés ou présumés spoliés, en faisant constater la nullité de leur transaction et obtenir la restitution du prix payé, soit en contestant l'existence de la spoliation et obtenir, le cas échéant, la réparation du préjudice causé par la saisie irrégulière de ses biens.


(1) Cf. CE, 27 mars 2009, Mme Ranely Vergé Dupré et autres, n° 283240, p. 104.

Voir aussi