Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 342468, lecture du 9 novembre 2015

Analyse n° 342468
9 novembre 2015
Conseil d'État

N° 342468
Publié au recueil Lebon

Lecture du lundi 9 novembre 2015



60-01-03-04 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique- Omissions-

Carence dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante - Répartition de la charge de la réparation du dommage entre l'Etat et l'employeur auteur d'une faute inexcusable - Cas d'une importante société de construction navale - 1) Période antérieure à 1977 - a) Faute de l'Etat de nature à engager sa responsabilité - Existence - b) Faute de la société - i) Existence - ii) Nature - c) Partage de responsabilité, eu égard à la nature et à la gravité des fautes respectives de l'Etat et de la société - 2) Période postérieure à 1977 - a) Agissements de l'Etat - b) Agissements de la société - c) Absence de preuve d'un lien de causalité direct et certain entre une carence de l'Etat et les préjudices invoqués.




1) En dépit, d'une part, de l'inaction à cette époque des organisations internationales ou européennes susceptibles d'intervenir dans le domaine de la santé au travail et, d'autre part, du temps de latence très élevé de certaines des pathologies liées à l'amiante, dont l'utilisation massive en France est postérieure à la Seconde Guerre mondiale, la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977. a) En s'abstenant de prendre, entre le milieu des années soixante, période à partir de laquelle le personnel de la société requérante a été exposé à l'amiante, et 1977, des mesures propres à éviter ou du moins limiter les dangers liés à une exposition à l'amiante, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. b) i) Une importante société de construction navale qui, bien que n'étant pas productrice d'amiante, utilisait de façon régulière et massive ce produit, fait partie des entreprises qui, dès cette période, connaissaient ou auraient dû connaître les dangers liés à l'utilisation de l'amiante. La société a ainsi commis une faute en s'abstenant de prendre des mesures de nature à protéger ses salariés. ii) Si, eu égard à l'utilisation massive de l'amiante alors acceptée en France et à la nature des activités de l'entreprise, cette faute n'a pas le caractère d'une faute d'une particulière gravité délibérément commise, qui ferait obstacle à ce que cette société puisse se prévaloir de la faute de l'administration, elle n'en a pas moins concouru à la réalisation du dommage. c) Eu égard à la nature et à la gravité des fautes commises par la société requérante et par l'Etat, il est fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du partage des responsabilités en fixant au tiers la part de l'Etat. 2) a) Si les mesures adoptées à partir de 1977 étaient insuffisantes à éliminer le risque de maladie professionnelle liée à l'amiante, elles ont néanmoins été de nature à le réduire dans les entreprises dont l'exposition des salariés aux poussières d'amiante était connue, en interdisant l'exposition au-delà d'un certain seuil et en imposant aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail. b) La société fait valoir qu'elle a cessé en 1978 de recourir à l'amiante floqué pour l'isolation thermique des bateaux et que l'amiante a ensuite été utilisé essentiellement par les soudeurs, sous forme de tapis ou de couvertures, jusqu'en 1984. Toutefois, certains salariés ont continué d'être exposés à l'amiante de façon ponctuelle lors de travaux d'entretien de bateaux floqués à l'amiante ; la décision de ne plus utiliser de joints en amiante pour la construction de bateaux neufs n'a été prise qu'en 1996 ; ce n'est qu'à partir de 1997 qu'il a été demandé aux armateurs de désamianter leurs navires avant l'intervention de ses salariés ; et la société indiquait encore dans un courrier du 21 février 2000 qu'elle continuait d'intervenir, au titre de la réparation navale, sur des navires susceptibles de contenir de l'amiante. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que certains de ses salariés ont continué d'être exposés aux poussières d'amiante sans protection appropriée ; en particulier, plusieurs jugements du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche mentionnent le caractère inadapté des systèmes de ventilation utilisés, rejetant l'air dans l'espace de travail, et l'absence d'équipement de protection individuelle. Enfin, à l'appui de son affirmation selon laquelle elle respectait la réglementation, la société ne produit aucun des résultats des contrôles qu'elle devait effectuer en vertu du décret n° 77-949 du 17 août 1977, au cours de la période pour laquelle elle recherche la responsabilité de l'Etat, mais seulement des comptes-rendus d'analyses effectuées par un organisme accrédité postérieurement à cette période. c) Dans ces conditions, et alors qu'il est admis que le risque de développer une maladie s'accroît en fonction de l'intensité de l'exposition à l'amiante, la société requérante n'établit pas, ainsi qu'il lui appartient de le faire, que les maladies professionnelles que ses salariés ont développées du fait d'une exposition à l'amiante postérieure à 1977 trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat à prévenir les risques liés à l'usage de l'amiante à cette époque, pour les activités de la nature de celles qu'elle exerçait.





60-05-03 : Responsabilité de la puissance publique- Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité, aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale- Subrogation-

Action de l'auteur d'un dommage condamné par le juge judiciaire contre la collectivité publique co-auteur du dommage (1) - 1) Ouverture - Existence, y compris lorsqu'il a commis une faute inexcusable au sens de l'art. L. 452-1 du CSS (2) - 2) Caractère subrogatoire - Existence - Conséquences (3) - 3) Opposabilité de sa propre faute - Existence - 4) Cas où il a délibérément commis une faute d'une particulière gravité - Rejet.




1) Lorsque la faute de l'administration et celle d'un tiers ont concouru à la réalisation d'un même dommage, le tiers co-auteur qui a été condamné par le juge judiciaire à indemniser la victime peut se retourner contre l'administration en invoquant la faute de cette dernière, y compris lorsqu'il a commis une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale (CSS). 2) La demande du tiers co-auteur a le caractère d'une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l'égard de l'administration. Il peut donc se voir opposer l'ensemble des moyens de défense qui auraient pu l'être à la victime. 3) Eu égard à l'objet d'une telle action, qui vise à assurer la répartition de la charge de la réparation du dommage entre ses co-auteurs, la propre faute du tiers co-auteur lui est opposable. 4) Dans le cas où le tiers co-auteur a délibérément commis une faute d'une particulière gravité, il ne peut se prévaloir de la faute que l'administration aurait elle-même commise en négligeant de prendre les mesures qui auraient été de nature à l'empêcher de commettre le fait dommageable.





61-03 : Santé publique- Lutte contre les fléaux sociaux-

Obligations s'imposant aux autorités publiques - Obligation de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs - Obligation d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, les mesures pour limiter et si possible éliminer ces dangers (4).




Si, en application de la législation du travail désormais codifiée à l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité (5), il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers.





66-03-03 : Travail et emploi- Conditions de travail- Hygiène et sécurité-

Obligations s'imposant aux autorités publiques - Obligation de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs - Obligation d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, les mesures pour limiter et si possible éliminer ces dangers (4).




Si, en application de la législation du travail désormais codifiée à l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité (5), il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers.


(1)Cf. décision du même jour, MAIF et association Centre lyrique d'Auvergne, n° 359548, à publier au Recueil. (2)Ab. jur. CE, 18 avril 1984, Société Souchon, n° 34967, p. 167. Cf., sur la faculté de l'employeur auteur d'une faute inexcusable de se retourner contre le tiers coauteur du dommage, Cass. soc., 18 janvier 1996, M. Briotet c/ L'Union des assurances de Paris (UAP), n° 93-15.675, Bull. civ. V, n° 18. (3)Cf. CE, 31 décembre 2008, Société Foncière Ariane, n° 294078, p. 498. (4)Cf. CE, Assemblée, 3 mars 2003, Ministre de l'emploi et de la solidarité c/ consorts Botella, n° 241151, p. 125 ; CE, Assemblée, 3 mars 2003, Ministre de l'emploi et de la solidarité c/ consorts Thomas, n° 241152, p. 127. (5) Cf., sur cette obligation de sécurité de résultat, Cass. soc., 19 décembre 2002, Société Eternit Industrie c/ Caisse Nationale d'Assurance Maladie et autres, n° 99-21.255, Bull. civ. V, n° 81.

Voir aussi