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Ariane Web: Conseil d'État 416689, lecture du 5 janvier 2018

Analyse n° 416689
5 janvier 2018
Conseil d'État

N° 416689
Publié au recueil Lebon

Lecture du vendredi 5 janvier 2018



54-035-03-04 : Procédure- Procédures instituées par la loi du juin - Référé tendant au prononcé de mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale (art- L- du code de justice administrative)- Pouvoirs et devoirs du juge-

Juge du référé-liberté saisi d'une décision prise par un médecin d'interrompre ou de ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable et dont l'exécution porterait de manière irréversible une atteinte à la vie - Office particulier - Portée (1).




Il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA), d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors, le cas échéant en formation collégiale conformément à ce que prévoit le troisième alinéa de l'article L. 511-2 du CJA, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.





61-05 : Santé publique- Bioéthique-

Décision prise par un médecin sur le fondement du CSP et conduisant à interrompre ou ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable - 1) Juge du référé-liberté lorsqu'il est saisi d'une telle décision et que son exécution porterait de manière irréversible une atteinte à la vie - Office particulier - Portée (1) - 2) Procédure de décision - a) Compétence du médecin en charge du patient pour décider (3) - b) Conditions - Décision devant être prise à l'issue d'une procédure collégiale et dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut, après consultation de la personne de confiance désignée par lui ou, à défaut, de sa famille et de ses proches - 3) Cas d'un patient mineur (3) (5) - a) Obligation de rechercher si la volonté de l'enfant a pu trouver à s'exprimer antérieurement et de tenter de parvenir à un accord avec les personnes titulaires de l'autorité parentale - Existence - b) Obligation de permettre aux titulaires de l'autorité parentale d'exercer en temps utile un recours contre la décision de limitation ou d'arrêt des traitements - Existence - c) Appréciation des conditions d'un arrêt des traitements (6) - Obligation pour le médecin de rechercher l'accord des titulaires de l'autorité parentale, d'agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l'égard de l'enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale - Existence - 4) Espèce - Obstination déraisonnable - Existence.




1) Il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA), d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique (CSP), et conduisant à arrêter ou ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors, le cas échéant en formation collégiale conformément à ce que prévoit le troisième alinéa de l'article L. 511-2 du CJA, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable. 2) a) Il résulte des articles L. 1110-1, L. 1110-2, L. 1110-5, L. 1110-5-1, L. 1110-5-2, L. 1111-4 et du III de l'article R. 4127-37-2 du CSP, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté d'arrêter ou de ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. b) Dans pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement, et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du CSP, dans le respect des directives anticipées du patient, ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches. 3) a) Quand le patient hors d'état d'exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l'âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s'exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l'article R. 4127-42 du CSP, de s'efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l'article 371-1 du code civil, de l'autorité parentale. Dans l'hypothèse où le médecin n'est pas parvenu à un tel accord, il lui appartient, s'il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en oeuvre la procédure collégiale, de prendre la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. b) La décision du médecin de limitation ou d'arrêt des traitements d'un patient mineur hors d'état d'exprimer sa volonté doit être notifiée à ses parents ou à son représentant légal afin notamment de leur permettre d'exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier que le médecin ne peut mettre en oeuvre cette décision avant que les parents ou le représentant légal du jeune patient, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d'un recours, n'aient pu le faire et obtenir une décision de sa part. c) Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend d'un mode artificiel d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit, dans le cas d'un patient mineur, rechercher l'accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l'égard de l'enfant et faire de son intérêt supérieur une considération primordiale. 4) Adolescente de quatorze ans qui souffrait d'une myasthénie auto-immune sévère placée, à la suite d'un arrêt cardio-respiratoire, en permanence en état de décubitus dorsal, intubée, ventilée artificiellement et porteuse d'une sonde naso-gastrique et d'une sonde oro-pharyngée en aspiration continue afin d'aspirer les abondantes sécrétions salivaires, étant dans l'incapacité de déglutir de manière autonome. Elle ne présente aucune mobilité, spontanée, volontaire ou en réponse à la douleur, et aucun réflexe cornéen n'est visible. Si quelques mouvements respiratoires ponctuels capables de déclencher le respirateur ont été observés, de même que l'occurrence d'ouverture spontanée des yeux, ces mouvements sont de plus en plus rares et sont qualifiés de réflexes. Rapport des médecins experts soulignant le caractère "catastrophique" du pronostic neurologique de l'adolescente, cette dernière se trouvant dans un état végétatif persistant, incapable de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage, le caractère irréversible des lésions neurologiques étant certain dans l'état actuel de la science, et concluant expressément au caractère déraisonnable du maintien des soins. Absence d'informations permettant de déterminer quelle aurait été la volonté de l'adolescente et parents s'opposant de manière ferme et constante à l'arrêt des traitements de leur fille. Au vu de l'état irréversible de perte d'autonomie de l'adolescente qui la rend tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et en l'absence de contestation sérieuse tant de l'analyse médicale des services hospitaliers que des conclusions du rapport du collège d'experts mandaté par le tribunal administratif, il résulte de l'instruction, nonobstant l'opposition des parents qui ont toujours été associés à la prise de décision, qu'en l'état de la science médicale, la poursuite des traitements est susceptible de caractériser une obstination déraisonnable, au sens des dispositions de l'article L. 1110-5-1 du CSP.


(1) Cf. CE, Assemblée, 14 février 2014, Mme et autres, n°s 375081, 375090, 375091, p. 31. (3) Cf. CE, 6 décembre 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC), n° 403944, à paraître au Recueil. (5) Cf., en précisant, CE, Juge des référés, 8 mars 2017, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, n° 408146, p. 83. Rappr., s'agissant du droit du patient mineur de consentir un traitement médical CE, Juge des référés, 26 juillet 2017, M. et Mme , n° 412618, à paraître au Recueil. (6) Cf., en précisant s'agissant des mineurs, CE, Assemblée, 24 juin 2014, n°s 375081, 375090; 375091, Mme et autres, p.175.

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