Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 408822, lecture du 21 juin 2018

Analyse n° 408822
21 juin 2018
Conseil d'État

N° 408822
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du jeudi 21 juin 2018



24-01-01-01-01 : Domaine- Domaine public- Consistance et délimitation- Domaine public artificiel- Biens faisant partie du domaine public artificiel-

Régime d'acquisition par prescription des biens relevant du domaine national (décret des 22 novembre et 1er décembre 1790) - Cas d'une statuette ayant été incorporée au domaine national en 1789, auquel elle a été ensuite soustraite, puis détenue par une personne privée depuis le début du 19ème siècle - 1) Prescription acquisitive - Absence, dès lors qu'un décret formel du corps législatif autorisant expressément son aliénation n'a pas été pris - Conséquence - Appartenance au domaine public - Existence (1) - 2) Bien au sens de l'article 1P1 à la Convention EDH - Existence - Méconnaissance de cet article - Absence.




1) Il résulte du décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 et de l'article 8 du décret de l'Assemblée constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 relatif aux domaines nationaux, aux échanges et concessions et aux apanages que si en mettant fin à la règle d'inaliénabilité du "domaine national", le décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 a rendu possible, pendant qu'il était en vigueur, l'acquisition par prescription des biens relevant de ce domaine, cette possibilité n'a été ouverte que pour les biens dont "un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi" avait préalablement autorisé l'aliénation. Le "pleurant n° 17" appartient à un ensemble d'une quarantaine de statuettes qui ornaient le tombeau de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, édifié entre 1340 et 1410 dans l'oratoire de la chartreuse de Champmol. A ce titre, il a été incorporé au domaine national en vertu du décret du 2 novembre 1789. Les tombeaux des ducs de Bourgogne et leurs ornements, qui ont été expressément exclus de la vente des biens de la chartreuse réalisée le 4 mai 1791, ont été transférés en 1792 au sein de l'abbatiale Saint-Bénigne de Dijon, un inventaire dressé le 11 mai 1792 attestant qu'à cette date, la statuaire des tombeaux était complète. La délibération du conseil général de la commune de Dijon du 8 août 1793 décidant de la destruction des tombeaux des ducs de Bourgogne en a exclu les statuettes de chartreux pour qu'elles soient "conservées et déposées dans un lieu convenable". Le "pleurant n° 17" a ensuite été soustrait au domaine national à une date et dans des circonstances indéterminées. Sa trace fut retrouvée en 1811 chez un collectionneur privé, puis en 1813 chez une autre personne. Depuis lors, il a été transmis par voie successorale jusqu'aux actuelles détentrices. Par suite, le "pleurant n° 17" n'a jamais cessé, depuis sa mise à disposition de la Nation en 1789, d'appartenir au domaine national puis au domaine public dont il a été irrégulièrement soustrait et en l'absence d'un décret formel du corps législatif autorisant expressément son aliénation, il n'a pu faire l'objet d'une prescription acquisitive au profit de ses détenteurs successifs, quelle que soit leur bonne foi. 2) Existence, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt patrimonial à en jouir suffisamment reconnu et important pour constituer un bien au sens du l'article 1er du protocole additionnel à la convention EDH compte tenu notamment de la durée pendant laquelle la statuette litigieuse avait été détenue par les requérantes sans initiative de l'Etat pour la récupérer. Toutefois, la reconnaissance de son appartenance au domaine public justifiait qu'il soit rendu à son propriétaire, l'Etat, sans que soit méconnue l'exigence de respect d'un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l'intérêt public majeur qui s'attache à la protection de cette oeuvre d'art.





26-055-02-01 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par les protocoles- Droit au respect de ses biens (art- er du premier protocole additionnel)-

Cas d'une statuette ayant été incorporée au domaine national en 1789, auquel elle a été ensuite soustraite, puis détenue par une personne privée depuis le début du 19ème siècle - Appartenance au domaine public - Existence - Bien au sens de l'article 1P1 à la Convention EDH - Existence - Méconnaissance de cet article - Absence.




Le "pleurant n° 17" appartient à un ensemble d'une quarantaine de statuettes qui ornaient le tombeau de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, édifié entre 1340 et 1410 dans l'oratoire de la chartreuse de Champmol. A ce titre, il a été incorporé au domaine national en vertu du décret du 2 novembre 1789. Les tombeaux des ducs de Bourgogne et leurs ornements, qui ont été expressément exclus de la vente des biens de la chartreuse réalisée le 4 mai 1791, ont été transférés en 1792 au sein de l'abbatiale Saint-Bénigne de Dijon, un inventaire dressé le 11 mai 1792 attestant qu'à cette date, la statuaire des tombeaux était complète. La délibération du conseil général de la commune de Dijon du 8 août 1793 décidant de la destruction des tombeaux des ducs de Bourgogne en a exclu les statuettes de chartreux pour qu'elles soient "conservées et déposées dans un lieu convenable". Le "pleurant n° 17" a ensuite été soustrait au domaine national à une date et dans des circonstances indéterminées. Sa trace fut retrouvée en 1811 chez un collectionneur privé, puis en 1813 chez une autre personne. Depuis lors, il a été transmis par voie successorale jusqu'aux actuelles détentrices. Le "pleurant n° 17" n'a jamais cessé, depuis sa mise à disposition de la Nation en 1789, d'appartenir au domaine national puis au domaine public dont il a été irrégulièrement soustrait et en l'absence d'un décret formel du corps législatif autorisant expressément son aliénation, il n'a pu faire l'objet d'une prescription acquisitive au profit de ses détenteurs successifs, quelle que soit leur bonne foi. Existence, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt patrimonial à en jouir suffisamment reconnu et important pour constituer un bien au sens du l'article 1er du protocole additionnel à la convention EDH compte tenu notamment de la durée pendant laquelle la statuette litigieuse avait été détenue par les requérantes sans initiative de l'Etat pour la récupérer. Toutefois, absence d'erreur de droit à avoir jugé que la reconnaissance de son appartenance au domaine public justifiait qu'il soit rendu à son propriétaire, l'Etat, sans que soit méconnue l'exigence de respect d'un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l'intérêt public majeur qui s'attache à la protection de cette oeuvre d'art.


(1) Cf. CE, Section, 10 juillet 1970, Société civile du Domaine de Suroit, n° 74606, p. 480.

Voir aussi